La formule n'a échappé à personne : lors de ses voeux de nouvelle année, le président Emmanuel Macron a demandé à son Premier ministre Édouard Philippe de trouver « un compromis rapide » sur l'épineux dossier des retraites. Histoire de faire monter encore un peu plus la pression sur l'ancien maire du Havre, et de lui faire porter l'entière responsabilité d'un éventuel échec des négociations (de la dernière chance) avec les syndicats.
Suite à ce véritable ultimatum présidentiel, l'actuel locataire de Matignon se retrouve encore un peu plus sous pression. Comme nous l'écrivions dans notre précédente chronique, Edouard Philippe apparaît à beaucoup comme un fusible idéal pour le président de la République. Dans la plus pure tradition de la Ve République, cela fait plus d'un mois que l'Élysée veille à ne pas se retrouver en première ligne. Un jeu de rôle mené à la perfection ? Au contraire, la multiplication des effets d'annonce contradictoires, et autres ballons d'essai, dénote une grande fébrilité dans les couloirs du pouvoir.
Prendre de vitesse « Jupiter » ?
Pour faire taire les rumeurs, Édouard Philippe a enclenché au cours des fêtes une opération communication : séance photo au Havre, reportage du journal de télévisé France 2 l'accompagnant dans ses déplacements, et dans lequel il tient à réaffirmer qu'il est « sur la même ligne » que le président. Pour éviter de jouer le rôle de fusible, certains de ses proches le poussent jusqu'à prendre de vitesse « Jupiter » en claquant la porte de Matignon comme un certain Jacques Chirac en 1976. Grâce au Canard Enchaîné, on apprend pourtant que Philippe a affirmé à ses proches :
« Des gens disent que joue ceci, d'autres que je joue cela, parce qu'ils ont toujours fait de la politique comme ça ! Ben, pas moi ! Je bosse pour le président. Point barre. »
Jusqu'à quand ?
Ce mois de janvier est donc crucial pour le couple exécutif. Pour ne rien arranger, face au front syndical, et à la multiplication des colères, le gouvernement tente de colmater les brèches ici ou là, au point que son projet initial sur « l'universalité » des retraites est devenu au fil des jours pour le moins flou... et les Français semblent y être toujours massivement opposés, et ce, malgré le blocage des transports en commun. Une récente enquête d'opinion Odoxa-Dentsu montre même que près des trois-quart des moins de 45 ans sont contre le projet. Signe inquiétant pour le jeune président : les nouvelles générations sont désormais les plus sceptiques vis-à-vis de son action et de sa promesse d'un « nouveau monde ».
Pour Macron, le fils spirituel de Juppé est un concurrent sérieux
Dans ce contexte difficile, on comprend mieux pourquoi une personnalité politique comme Édouard Philippe, fils spirituel d'Alain Juppé, et ancien jeune rocardien, peut apparaître à Emmanuel Macron comme un concurrent sérieux. Les proches du président n'ont pas attendu le conflit sur les retraites pour se soucier des éventuelles ambitions du Premier ministre. En réalité, depuis le début du quinquennat, les relations entre les deux hommes n'ont jamais été au beau fixe. Mais c'est au courant de l'été 2018 que leurs rapports se sont dégradés. L'affaire Benalla aurait été fatale au couple exécutif.
Lors des déclarations tonitruantes du président à la Maison de l'Amérique Latine - « Qu'ils viennent me chercher ! » - Philippe était apparu en retrait devant les caméras. En privé, le Premier ministre, qui n'a jamais pris sa carte chez En Marche !, se retrouve alors face à un président qui se mûre dans le silence et à un cabinet présidentiel qui se replie sur l'équipe de campagne. Au cours de cet été si particulier, Macron n'a pas adressé un mot à Philippe durant plus de quinze jours, ne répondant à aucun de ses textos, aucun de ses messages Telegram.
« Il s'est réfugié dans le mutisme. Il y a véritablement un avant et un après l'affaire Benalla », nous confie un proche d'Edouard Philippe.
À l'origine, les deux hommes se connaissent par un ami commun, Frédéric Mion, l'actuel patron de Sciences Po, parrain des enfants de Philippe. Mais les deux n'avaient jamais travaillé ensemble. Bien avant le conflit sur les retraites, la crise des gilets jaunes a fini par fracturer définitivement le couple exécutif.
N'en déplaise à l'entourage de Philippe qui continue d'expliquer aux journalistes qu'il n'y a « pas une feuille de papier à cigarette » entre lui et Macron, le Premier ministre n'a plus qu'une question à se poser à lui-même : a-t-il encore envie de servir le président de la République ?
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