Retraites : quand la mauvaise réforme chasse la bonne !

Par Philippe Mabille  |   |  683  mots
La communication du gouvernement est affaiblie par le flou dans lequel il a, à dessein, entretenu les Français. (Crédits : POOL New)
ÉDITO. Mal maîtrisés, les effets induits par la réforme Macron ont réveillé 42 tigres dans chacun des 42 régimes et inquiété tous les futurs retraités du nouveau régime universel en mettant la valeur du point, donc leur future retraite, entre les mains d'une logique purement comptable. Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction.

Des millions de Français vont être, à partir de ce jeudi 5 décembre, les otages d'un mouvement de grève massif contre un projet de réforme des retraites dont personne, peut-être pas même ses instigateurs, n'est encore capable de dessiner les contours futurs, ni de mesurer les conséquences sur le niveau des pensions que recevront les futurs retraités. Étrange paradoxe bien français qui veut voir se répéter la grande grève de 1995, laquelle s'était terminée par une défaite du gouvernement Juppé, Jacques Chirac n'ayant mis fin au mouvement qu'en renonçant à mettre à bas les « régimes spéciaux » du secteur public.

2019 n'est pourtant pas 1995 et, un quart de siècle plus tard, la France a bien changé. L'opinion, qui avait soutenu les salariés de la RATP et de la SNCF en 1995 dans une sorte de grève par procuration, semble moins encline à tolérer le maintien de régimes spéciaux dont la justification n'apparaît plus aller de soi, en tout cas au regard de la pénibilité réelle du travail des salariés concernés. Le gouvernement, qui défend son projet d'unifier les 42 régimes de retraite existants au nom de l'égalité réelle, ne se prive pas d'insister sur les coûts pour le contribuable des avantages dont bénéficient les régimes spéciaux : 8 milliards d'euros par an selon les calculs du ministre des Comptes publics. Ainsi, à la RATP, où l'on promet un blocage total, 49. 000 salariés cotisent pour 42 .000 retraités, ce qui oblige l'État à verser 750 millions d'euros chaque année pour équilibrer le régime.

Flou sur les objectifs, flou sur les conséquences

Pour autant, la communication du gouvernement est affaiblie par le flou dans lequel il a à dessein entretenu les Français. Flou sur les objectifs de la réforme dont le texte de loi n'est d'ailleurs toujours pas connu, sinon ce qu'en propose Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux Retraites. Et donc flou sur ses conséquences pour le plus grand nombre, qui entretient l'anxiété de l'opinion dans un climat social toujours marqué par une grande défiance à l'égard d'Emmanuel Macron. Alors que les « gilets jaunes » manifesteront de leur côté samedi pour l'anniversaire du 1er décembre 2018, celui de la « prise de l'Arc de Triomphe », les jours qui viennent seront un test majeur de la capacité du chef de l'État à remporter cette bataille de l'opinion et, pour cela, il va falloir sortir de l'ambiguïté une réforme dans laquelle rien n'est clair.

À l'origine, l'objectif de remplacer les 42 régimes par un régime universel où chaque euro cotisé donnerait le même nombre de points pour tous était inattaquable sur le plan des principes. Mais tout a changé dès lors qu'il est apparu que cette manœuvre, sous couvert de revaloriser les petites retraites et d'assurer l'équité femmes-hommes, laissait dans l'ombre des objectifs plus sombrement budgétaires : derrière l'unicité, en effet, Bercy cherchait à faire financer par les excédents des régimes complémentaires du secteur privé, 120 milliards d'euros quand même, un secteur public structurellement déficitaire.

Mal maîtrisés, les effets induits par la réforme Macron ont réveillé 42 tigres dans chacun des 42 régimes et inquiété tous les futurs retraités du nouveau régime universel en mettant la valeur du point, donc leur future retraite, entre les mains d'une logique purement comptable. Résultat, auquel Emmanuel Macron ne s'attendait sans doute pas, tout le monde a peur d'être perdant, et a le sentiment confus que son intérêt est que la réforme soit, sinon abandonnée, du moins reportée dans le temps. Ce n'est plus la clause du « grand-père », mais celle du « petit-fils », que le premier ministre Édouard Philippe brandit pour se sortir de l'impasse, en envisageant de décaler dans le temps l'application du régime par points, à l'origine pensée pour la génération 1963 à partir de 2025, et désormais promise à être décalée à la Saint-Glinglin !