1956, 2016, Guy Mollet, François Hollande, des rapprochements

Entre la pratique du gouvernement de gauche aux affaires il y a cinquante ans, emmené par Guy Mollet, et l'exécutif dirigé par François Hollande, des parallèles sont possibles. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Il y a cinquante ans, un gouvernement de gauche était aux affaires. Il s'était fait élire sur le thème de la paix en Algérie. Son chef, Guy Mollet, était le Secrétaire général d'un parti théoriquement anticolonialiste, la SFIO. L'ancien président du conseil, Pierre Mendès-France, négociateur de l'autonomie interne en Tunisie et mis en minorité un an plus tôt par les adversaires de toute politique libérale en Algérie était ministre d'Etat aux côtés de François Mitterrand.

Une politique contraire à celle annoncée

La politique mise en œuvre fut tout le contraire de la politique annoncée. Ce gouvernement fit la guerre tout en refusant d'employer le mot ; rappel du contingent, intensification des combats, refus de toute négociation officielle avec les « fellaghas » et leurs représentants, renforcement des pouvoirs des forces de l'ordre et de l'armée, dénonciation d'un complot international qui conduisit au fiasco de Suez.
Une propagande fut mise au service de cette politique. Les terroristes et leurs alliés étaient manipulés par les bolcheviks ou la Ligue Arabe (au choix), la victoire était proche (le dernier quart d'heure), seules des réformes économiques et sociale assureraient l'émancipation réelle des FSNA (Français de Souche Nord Africaine) et non une indépendance illusoire.

Cette propagande retourna l'opinion. La majorité des électeurs du « Front Républicain » crurent leurs dirigeants tandis que le parti communiste restait passif. La généralisation de la torture fut acceptée de même que l'expédition de Suez, sous l'étendard de la lutte de l'Occident contre les Arabes, qu'ils soient à l'étranger ou qu'ils « polluent » nos villes. Aucun de nos dirigeants-dits de gauche- ne prit en compte le tournant intervenu un an plus tôt à Bandoeng, où était apparu un nouvel équilibre du monde incluant la fin de toute colonisation, qui avait reçu l'appui des Etats-Unis. Il a fallu attendre 1959 pour qu'un gouvernant français reconnaisse le droit à l'autodétermination de l'Algérie et la fin de « l'époque de la marine à voile ». Ce fut le général de Gaulle.

 La gravité et la complexité des problèmes à résoudre

Ce rappel ne veut pas dire que la situation de la France soit identique en 2016 et en 1956, même si des rapprochements sont éclairants.
Ce qui est comparable, c'est la gravité et la complexité des problèmes à résoudre.
Faire la paix en Algérie était extrêmement difficile, ce que les générations actuelles ont aujourd'hui de la peine à comprendre. L'Algérie, c'était pour l'immensité des Français les trois départements, une importante communauté européenne, des grandes villes qui faisaient penser à Marseille et une Mitidja aux paysages provençaux.

Nos adversaires, des inconnus qui tuaient des civils innocents dans des attentats et leurs coreligionnaires dans des règlements de comptes. Cette grande majorité des Français ignoraient le sang que nous avions fait couler depuis la conquête jusqu'aux révoltes successives (Kabylie, Sétif en 1945) la confiscation quasi permanente des terres, les élections truquées qui avaient abouti à l'élimination d'une représentation pacifique ouvrant la voie de la violence et un appauvrissement aggravé par la pression démographique et la faible scolarisation.

Un temps long pour résoudre la crise

Mettre fin au terrorisme et à la radicalisation est au moins aussi difficile. L'ignorance des Français sur les raisons qui expliquent la situation actuelle est comparable. On leur a caché ce qui se passait dans les banlieues depuis une quinzaine d'années : le refus par une minorité de jeunes de notre société et la recherche d'un « paradis » dans une violence extrême sur notre territoire ou à l'étranger. On ne leur a guère expliqué les aspects internationaux qui sont d'une grande complexité et on leur a fait croire qu'ils étaient à l'abri derrière les frontières.
Ce qui est comparable, c'est le temps nécessaire pour résoudre la crise, qui sera plus long que la décolonisation de l'Algérie. Ceux qui prétendent avoir les moyens de régler en quelques mois des problèmes en suspens depuis des dizaines d'années font erreur.
Ce qui est comparable, c'est la nécessité de mettre le politique au premier plan et la combinaison nécessaire entre la fermeté, la patience et le respect de nos valeurs démocratiques

Une "génération algérienne"

La « génération algérienne », c'est-à-dire celle qui dès 1956 luttait pour la décolonisation de l'Algérie, pour autant qu'elle soit en état de s'exprimer, n'a nulle solution miracle à proposer mais elle n'est pas prête à accepter le renouvellement d'une approche et de pratiques qui ont conduit à un quasi effondrement de la République et à l'échec.
Elle sait que donner des pouvoirs exceptionnels aux forces de l'ordre, comme les perquisitions administratives ou les obligations de résidence aboutit nécessairement à des erreurs et à des abus. Une bonne part des renseignements collectés est incomplète, périmée, voire fausse ; les dénonciations anonymes inexactes sont de tous les temps. Les interventions nocturnes, faites en partie pour faire peur, évitent difficilement la brutalité. L'arbitraire et la violence font basculer une partie des victimes dans le camp de ceux que l'on veut combattre.
De telle opérations sont inévitables, au moins un temps mais elles doivent rester sous le contrôle du juge et les abus corrigés ou sanctionnés.

Face aux demandes des forces de sécurité, afficher des limites et s'y tenir

Elle sait que la demande de pouvoirs supplémentaires est sans fin et que se fondant sur des cas nouveaux, les forces de sécurité en demanderont toujours plus. Il est impératif d'afficher des limites et de s'y tenir. La tentation sera forte, lorsque surviendra un nouvel attentat (hypothèse malheureusement plausible) d'élargir les pouvoirs exceptionnels, au risque de multiplier les bavures, d'aggraver les tensions et de renforcer le camp des adversaires de la République. Rappelons qu'un des objectifs de Daech est de susciter un début de guerre civile dans notre pays et qu'ils ont échoué lors des attentats de novembre, la quasi-totalité de la population d'origine maghrébine ayant manifesté sa réprobation. Cette hostilité est un des meilleurs remparts au développement d'un djihadisme français.
Dans un autre contexte, l'excès de la répression policière dans les années 60 avait précipité le ralliement au FLN de la quasi-totalité de la population maghrébine.

 Quelle naïveté?

Elle sait que l'impartialité de la République ne doit pas être soupçonnée dans les moments de crise nationale ; une diversion, comme l'insertion dans la constitution d'une clause concernant la déchéance de nationalité, rejetée par ceux qui ne sont pas nés français, est donc nuisible, sans avoir d'effet dissuasif. Il n'est pas trop tard pour y renoncer.
Elle sait encore que le respect difficile des droits de l'homme dans les prisons est une des conditions de la « déradicalisation » et que l'invention d'un Guantanamo à la française conduirait à l'impasse.
J'entends les railleries. Cette « génération algérienne » : une bande de naïfs ! Nullement, nous étions les réalistes. Les naïfs, c'étaient ceux qui croyaient que la guerre serait gagnée dans les djebels, que la torture viendrait à bout des militants nationalistes, que le « dernier quart d'heure » était pour demain, que l'on pouvait indéfiniment bafouer les valeurs de la République sans compromettre l'avenir de la démocratie et affaiblir notre pays.

Au gouvernement de guider l'opinion, et non pas de la suivre

Naïfs sont ceux aujourd'hui qui croient que l'essentiel du combat est militaire et se joue à l'extérieur, alors qu'il est politique et se joue dans nos banlieues et dans une jeunesse en chômage qui se juge abandonnée. Naïfs sont ceux qui proclament que chercher à comprendre ce qui se passe dans nos sociétés nuit à l'efficacité. Naïfs sont ceux qui cherchent à convaincre que l'affaiblissement des institutions et des procédures judiciaires est bénéfique.
Dans une démocratie, la vigilance ne saurait exclure le respect des principes qui sont au cœur du pacte républicain. Naïfs sont ceux qui s'appuyant sur de « bons » sondages pensent qu'il faut en faire encore plus. Lors d'un drame national, ce sont les gouvernants qui ont le devoir de guider l'opinion et non pas de la suivre.
Pour sa part, la « génération algérienne » ne s'en laissera pas compter. La prétendue efficacité, les « coups de menton » contre les adversaires politiques et l'appui de l'opinion ne seront jamais ses critères d'appréciation.

Pierre-Yves Cossé
Mars 2016

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Commentaires 3
à écrit le 17/03/2016 à 9:14
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60 ans: comme le temps passe

à écrit le 14/03/2016 à 10:15
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Bonjour, je suis assez d'accord, mais on peut aussi faire le parallèle avec les gouvernements de Troisième Force, au début des années 1950 : une alliance entre la SFIO (le PS de l'époque) et la droite modérée, pour tenir les communistes et les gau...

à écrit le 10/03/2016 à 15:08
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C'est en effet un parallèle intéressant grâce auquel on se rend compte que les partis politiques sont d'abord là pour servir les intérêts de la classe dirigeante. Ne pas oublier que la fête des pères a été lancée sur l'idée du patron d'une entrep...

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