Jean-Louis Beffa signe une ode à la politique industrielle

La crise européenne rapproche la France de l'Allemagne. Ce n'est donc pas une surprise si Jean-Louis Beffa, président d'honneur de Saint-Gobain, exige dans un ouvrage intéressant , "La France doit choisir", l'abandon du modèle «libéral-financier» - puisqu'il est d'avis que la Grande Nation se plie entièrement à l'esprit anglo-saxon - et de lui insuffler les vertus allemandes d'un modèle «commercial-industriel».
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Dans son livre, Jean-Louis Beffa prône également un «nouveau compromis européen», qui demanderait aux Allemands de consentir des transferts financiers pour soutenir le déséquilibre du commerce extérieur français. Et en retour aux Français de se plier aux règles allemandes de rigueur. Le diagnostic est intéressant. Il permet de mieux comprendre l'état d'esprit actuel des élites françaises, plus mercantiliste que jamais. Quant à sa conclusion sur une politique de soutien aux industries qui symbolisent «l'art de vivre» français, elle traduit moins une piste prometteuse qu'un constat d'échec.

L'auteur est un parfait représentant de la grande industrie, un ingénieur des mines qui commença sa carrière au Ministère de l'industrie et qui dirigea longuement le groupe Saint-Gobain, un leader des matériaux. Il en fut directeur général en 1982, lors de la nationalisation effectuée sous Mitterrand, PDG dès 1986, lors de la privatisation, et jusqu'en juin 2007.

La clé du succès économique : l'action de l'Etat

Pour Jean-Louis Beffa, le succès d'un modèle économique dépend en premier lieu de l'action de l'Etat. Il en veut pour preuve que les «champions» français ont été l'objet d'une politique active, du nucléaire à l'agroalimentaire. A l'évidence, le patronat français ignore les errements passés de la politique des filières industrielles résultant de l'incapacité à prévoir les innovations. Ils ont pourtant été admirablement analysés par Noël Amenc et Benoît Mafféï dans L'impuissance publique. En dépit de cet échec largement documenté, pour Jean-Louis Beffa, l'innovation est une affaire d'Etat. Il rejette ainsi l'idée de dispersion du savoir chère à Friedrich von Hayek.

La vision de Beffa voudrait que l'Etat attende des entreprises «qu'elles créent de la croissance, de l'emploi, développent leurs investissements sur le territoire national» et qu'elles «contribuent au solde positif du commerce extérieur». Face à la rareté des ressources naturelles, le salut n'existe pas sans excédent commercial. «L'économie n'est pas définie par l'affrontement entre le capital et le travail, mais par la bataille entre les Etats pour les ressources rares», écrit-il. L'excédent commercial est donc «une contrainte» économique. L'admiration de l'auteur va à l'Allemagne, au Japon, à la Chine, à la Corée du Sud. Pour satisfaire cette contrainte, l'Etat doit amener les entreprises à adopter une vision à long terme, favoriser la coopération sociale (au détriment de l'actionnaire et à l'avantage d'un conseil d'administration où siègent les représentants du personnel), redécouvrir les mérites des conglomérats, favoriser les participations croisées (contre les OPA) et renforcer la taxation des plus-values lors des cessions de titres avant un an. Le monde selon Beffa ignore la destruction créatrice et le renouvellement du tissu industriel.

Une interprétation lacunaire de l'économie sociale de marché

Si l'auteur vante les mérites des grands groupes tels que Siemens, il oublie que 47% de la valeur ajoutée allemande provient du «Mittelstand» et de ses innombrables entreprises familiales. Son interprétation de l'«économie sociale de marché» est lacunaire. Lars Feld, l'un des «sages» du gouvernement allemand, revenait fort à propos ce dimanche sur le sens apporté par les initiants de ce modèle, de Walter Eucken à Wilhelm Röpke («Sprechstunde Philosophie», sur SF1). Le modèle allemand visait à créer un Etat fort mais limité, qui délaisse la gestion au quotidien pour éviter d'avoir à distribuer les privilèges. Wilhelm Röpke n'est pas Colbert. Le terme de social renvoie pour sa part au besoin d'une vaste concurrence pour éviter la concentration du pouvoir économique au sein de grands groupes. Berlin reste donc très éloigné de Paris. La décentralisation est au c?ur de la réussite des PME allemandes et de leur innovation.

Jean-Louis Beffa a certes raison de parler d'une «inconstance française» contrastant avec la «continuité allemande». Mais il la présente comme le fruit d'une indécision alors qu'elle est un héritage du système politique et des institutions. Beffa distingue trois grandes périodes: d'abord un «modèle autocentré» français entre 1945 et 1958, fait de nationalisations et de contrôle du crédit, illustré par la création du commissariat au plan par Jean Monnet et l'imposition du salaire minimum. De 1958 à 1983, la France adopta le modèle commercial-industriel. L'activité industrielle de l'Etat résultait d'une dualité entre secteurs privilégiés (nucléaire, aéronautique) et secteurs délégués au privé. Cette époque a été brisée par la «désinflation compétitive» de Jacques Delors, puis la «transition vers le modèle libéral-financier» (de 1990 à nos jours), avec pour corollaire la montée de la dette publique. Jean-Louis Beffa ressent un «alignement sur les convictions et, plus dangereusement, les intérêts de la City de Londres». C'est une lecture originale de l'histoire récente. L'Etat serait même devenu «passif».

Plus les moyens de son ambition industrielle

L'auteur propose une piste bien française, celle de l'art de vivre. Pourquoi ne pas investir dans les patrimoines naturel, culturel et gastronomique? Il suggère une utilisation optimale des atouts du pays: tourisme, cosmétique, luxe, produits alimentaires haut de gamme. Ce choix laisse pourtant de côté l'important débat sur la productivité. Un pays qui privilégie le tourisme ou la construction ne pourra jamais offrir les salaires d'un concurrent performant par exemple dans la pharma et la finance.

Il n'est pas sûr que cette approche soit salutaire ou qu'elle assure un retour aux excédents commerciaux et à l'innovation. De toute manière, la France n'a plus les moyens de ses ambitions industrielles.

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