Et si l'on pouvait rire (intelligemment) de l'économie ?

Par Romaric Godin et Mathias Thépot  |   |  1014  mots
Vincent Veillon et Vincent Kucholl se produisent au Théâtre l'Européen à Paris du 2 au 4 octobre.
Un duo d'humoristes suisses s'attaquent avec brio à la tâche ardue de mêler humour et vulgarisation économique.

L'économie n'est pas une matière que les humoristes intègrent volontiers à leurs propos. Il est vrai que ce sujet semble souvent trop obscur, trop technique, trop lointain. En France, les humoristes se contentent souvent de l'écume de cette vie économique, celle qui est la plus visible dans la vie quotidienne. Mais, en Suisse, un duo entend ne pas reculer devant cette tâche a priori impossible : faire rire de l'économie, tout en la faisant mieux comprendre et en faisant réfléchir sur sa place dans nos sociétés contemporaines.

Un duo sans limite

Vincent Kucholl et Vincent Veillon ont sévi durant presque cinq ans chaque matin sur la Radio télévision suisse romande (RTS) dans l'émission « 120 secondes ». La Suisse francophone est tombée sous le charme de leur humour. Alors qu'ils affichent salles combles de l'autre côté du Jura, ils sont de passage à Paris du 2 au 4 octobre au théâtre de l'Européen pour jouer une version adaptée à la France de leur nouveau spectacle intitulé pour l'occasion « 120" présente La Suisse expliquée aux pauvres Français ».

Le champ d'application du duo ne se limite pas à l'économie. C'est une satire complète de la société suisse qui se décline autour d'une palette de personnages symboliques qui va de l'enfant perdu du Jura Bernois au militaire alémanique, en passant par le professeur « de gauche » ou l'adolescent complexé. Mais la Suisse étant ce qu'elle est, l'économie a pris une place centrale dans le propos du duo. Autour de quelques personnages dont l'homme d'affaires zurichois Reto Zehnhäuser, un habitué du World Economic Forum de Davos.

Le tour de force des « deux Vincent » est de ne pas reculer devant les sujets complexes. Ainsi, cette chronique où le duo parvient à décortiquer le bilan de la Banque nationale suisse (BNS) et ses rapports avec la Confédération, la banque centrale helvétique, tout en parvenant à jouer sur la clownerie du fonctionnaire du ministère fédéral des Finances.

« L'humour est souvent une bonne manière de vulgariser, et l'économie fait partie des sujets où la vulgarisation est nécessaire », explique Vincent Kucholl qui, avant de se lancer dans cette aventure, avait été coauteur d'un petit ouvrage de vulgarisation sur l'économie suisse.

« Dans nos chroniques, comme dans notre spectacle, nous ne refusons pas de relever le défi de rendre accessibles des sujets difficiles », poursuit-il.

Les politiques économiques décomplexées dans le collimateur

Relever ce défi a également une fonction « politique ».

« Détricoter par l'humour le jargon économique, c'est aussi toucher à la puissance que ce jargon permet de renforcer. Le langage économique est une défense des puissants contre la compréhension et donc l'engagement des gens », poursuit Vincent Kucholl, pour qui l'humour a aussi une fonction didactique et donc politique.

Ainsi en va-t-il de cette chronique où beaucoup d'économistes se reconnaîtront peut-être.

Par l'humour, ce duo suisse rend dérisoire, mais aussi cruel le discours économique. Sur des sujets plus « faciles » comme le salaire des grands patrons, les deux humoristes suisses vont plus loin que la seule critique morale de la question, ils mettent à nu le cynisme qui préside à la logique qui est à l'œuvre dans ces pratiques.

Là encore, le duo ne tombe pas dans la facilité. Faire un sketch sur les pertes records d'UBS semblerait une gageure à plus d'un. Mais le duo n'hésite pas à lier la critique à la pédagogie, non sans un certain brio.

On aurait cependant tort de croire que le duo d'humoriste est seulement une critique « de gauche » classique et moralisatrice. Les « deux Vincent » sont particulièrement attachés, en bons Suisses, à une certaine neutralité. Ainsi, si les patrons ne sont pas épargnés, les employés, les fonctionnaires et les syndicats ne le sont guère plus.

L'indolence de l'employé des chemins de fer qui a comme ambition de réduire le trafic pour « être tranquille » est aussi dénoncée par le rire. Mais la preuve principale de cette « neutralité » est sans doute cette chronique sur le sauvetage d'un site de Novartis dans le canton de Vaud où, au cynisme patronal, répond le sens de la communication des politiques et la naïveté des syndicats.

Dernier point, assez parlant pour les Français aujourd'hui, c'est la mainmise des Suisses alémaniques sur l'économie nationale. L'économiste sûr de lui, le patron de PME, le banquier, l'homme d'affaires sont très souvent des Alémaniques.

« Ce sont nos grands frères, ceux qui sont le plus nombreux et ceux qui décident de tout, il est normal qu'on ait des rapports tendus et un mélange d'amour-haine », résume Vincent Veillon.

Un rapport ambivalent où l'économie a un rôle central. L'Alémanique est souvent prompt à donner des leçons aux « pauvres Romands », comme dans le cas de cette société de presse zurichoise qui rachète un titre francophone. Une situation qui n'est pas sans rappeler les affres et les difficultés de la relation franco-allemande aujourd'hui...

Ce qui frappe, lorsque l'on parle avec ce duo, c'est l'accueil que les acteurs de l'économie suisse ont eu de leur travail.

« Nous n'avons jamais été inquiétés, même par UBS ou Novartis, que l'on n'a pas ménagé dans nos chroniques », assure Vincent Kucholl.

Ces grands groupes ne se sont jamais exprimés sur ce sujet, mais ont affirmé « connaître les sketchs. »

« Nous avons découvert le sentiment d'autodérision des Suisses », explique le duo.

Un sentiment qui leur a permis de se faire applaudir lors du prix du journalisme de Zurich ou devant un parterre de décideurs à l'invitation de la conseillère fédérale aux Finances, Eveline Widmer Schlumpf ! C'est peut-être cette absence d'autodérision des élites françaises qui rend l'émergence d'un tel duo si difficile en France aujourd'hui.

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* Vincent Kucholl et Vincent Veillon se produisent au Théâtre l'Européen, 5 rue Biot, 75017 Paris du 2 au 4 octobre et du 17 au 26 novembre prochains.