Comment le G20 a changé les banques depuis 2009

Si des régulations ont été imposées, le modèle de banque universelle n'a pas été remis en cause. Le vrai danger pour les banques traditionnelles, de plus en plus grandes, vient des innovations des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). par Alexandre Kateb, directeur du cabinet Compétence Finance et maître de conférence à Sciences Po

 En avril 2009, six mois après la faillite de Lehman Brothers, les dirigeants du G20 se sont réunis à Londres pour mettre sur pied un programme ambitieux de réforme du secteur financier, en mettant l'accent sur les banques et les infrastructures de marché. Près de six ans après, il est intéressant de faire un bilan sur ce qui a été accompli, et sur les conséquences que cela peut avoir pour les acteurs financiers, et plus particulièrement pour les banques américaines et européennes, qui continuent de dominer le système financier mondial, en attendant la convertibilité du "renminbi" et l'internationalisation effective des banques chinoises. C'est l'objet d'une étude que j'ai réalisée en collaboration avec le cabinet de conseil Chappuis Halder & Cie.

Aux origines de la crise...

 La crise financière de 2007-2008 est née d'une conjonction de facteurs macroéconomiques (politique monétaire laxiste et bulle immobilière aux Etats-Unis), financiers (vulnérabilité sous-jacente aux crédits subprime et aux modèles mathématiques destinés à évaluer les produits dérivés basés sur ces crédits), et comportementaux (un ensemble d'incitations faussées des différents acteurs que l'on peut regrouper sous le terme d'aléa moral). Les réponses apportées à cette crise par les gouvernements et les législateurs ont-elles été satisfaisantes ? Pour le comprendre il faut plonger au coeur des arcanes de la finance internationale.

 Un "momentum" réglementaire impressionnant

 De fait, la donne réglementaire a été profondément modifiée au cours des cinq dernières années : nouvelles normes prudentielles, dites Bâle III, introduites par le Comité de Bâle, gardes-fous supplémentaires pour les institutions financières à caractère systémique, lois de séparation bancaire qui redéfinissent les contours et les modes opératoires des grandes banques universelles, nouveaux régimes de supervision et de résolution bancaire, nouvelles règles pour sécuriser les transactions sur les produits dérivés. Le momentum réglementaire a été impressionnant.

Avant la crise, les banques étaient des structures passives...

 Avant la crise, les banques étaient essentiellement perçues comme des structures passives destinées à gérer le risque de crédit d'un portefeuille de prêts adossé à des ressources relativement stables. La crise a révélé la fragilité d'un refinancement des banques de plus en plus dépendant du marché interbancaire, accroissant le risque de contagion à l'ensemble du système bancaire d'un problème concernant un seul établissement. La liquidité interbancaire elle-même est devenue dépendante de la liquidité des autres marchés d'actifs, à travers les variations du prix du collatéral adossé au prêts interbancaires, et des décôtes appliquées sur ce collatéral, qui augmentent mécaniquement en période de forte volatilité des marchés.

Les produits dérivés, "armes de destruction massive"

L'économiste Markus Brunnermeier, professeur à l'Université de Princeton, explique très bien cela dans un papier lumineux consacré aux origines de la crise financières. C'est pourquoi les nouvelles normes prudentielles, dites Bâle III, ont ciblé en priorité ce risque de liquidité et ses répercussions systémiques.

Les régulateurs se sont également attaqués à ces "armes financières de destruction massive", - selon l'expression de Warren Buffet -, que sont devenues au fil des ans les centaines de trillions de dollars d'encours de produits dérivés de taux d'intérêt, de change et de crédit accumulés dans les bilans des grandes banques et compagnies d'assurances internationales. Avec de nouvelles règles relatives à l'enregistrement obligatoire des transactions portant sur les produits dérivés de gré à gré, et l'obligation d'une compensation centralisée de la plupart de ces transactions - c'est à dire le passage par une chambre de compensation centrale qui assume le risque de contrepartie - , les régulateurs ont voulu mettre de l'ordre dans une énorme pelotte, aussi emmelée que fragile.

Pour certains, obliger tous les acteurs financiers à passer par des chambres de compensation centralisée ne ferait que transférer le risque vers ces dernières, sans qu'une évaluation précise ait été réalisée de l'impact que cette concentration des risques pourrait avoir en période de crise. Cette critique a été prise en compte par les régulateurs du G20 avec le renforcement des exigences réglementaires en matière de fonds propres et de gestion des risques pour les chambres de compensation.

Des barrières entre activités classiques et de marché

Enfin, pour éviter que les contribuables ne supportent les coûts exorbitants de sauvetage d'institutions bancaires devenues Too Big to fail - trop importantes pour faire faillite -, les législateurs ont voulu ériger des barrières entre les activités d'intermédiation classique des banques, adossées à des dépôts bénéficiant d'une garantie explicite, et les activités de marché qui détournaient une partie de ces ressources à des fins plus spéculatives. Pour les partisans de la séparation, dans l'état actuel des choses, l'impossibilité de distinguer ces deux types d'activité lorsqu'elles étaient consolidées au sein des mêmes bilans, se traduisait par un encouragement inconsidéré à la prise de risque au regard du coût social de ce risque. Après des décennies de déréglementation et de libéralisation financière, on assistait à une inversion de tendance.

 En Grande-Bretagne où des ressources fiscales considérables ont été mobilisées pour sauver des banques universelles comme la Royal Bank of Scotland et la Lloyds, les députés ont appliqué au pied de la lettre les recommandations de la commission Vickers, prônant une stricte séparation entre les activités de banque commerciale et de marché. Ils ont même "électrifié" la barrière, donnant la possibilité au régulateur de démanteler une banque en cas d'infraction répétée à la loi.

Aux Etats-Unis, la règle Volcker, qui a été intégrée à la loi Dodd-Frank, a prohibé les opérations de marché pour compte propre et les investissements des banques dans des fonds spéculatifs. Selon la même règle, les transactions sur les produits dérivés auraient du être transférées à une filiale ad hoc ne bénéficiant pas de la garantie fédérale des dépôts. Mais l'industrie bancaire a obtenu que les activités de tenue de marché et de couverture sur les produits dérivés de taux, de change et de crédit ne soient pas concernées par la règle Volcker.

Une séparation bancaire en Europe?

 Dans l'Union Européenne, la Commission Barroso a également formulé en 2013 les grands principes d'une loi de séparation, sur la base des recommandations du rapport Liikanen. Mais suite au vote de la législation britannique très dure en la matière, et à la promulgation de lois de séparation très édulcorées en France et en Allemagne, la nouvelle Commission Juncker ne manifeste pas un grand enthousiasme pour faire aboutir une législation commune.

Au niveau européen, la priorité consiste désormais à parachever l'Union bancaire, portée sur les fonds baptismaux en décembre 2013, et à donner à la BCE les moyens nécessaires pour qu'elle exerce son rôle de superviseur unique au sein de la zone euro. Il n y a donc guère qu'en Grande-Bretagne où une loi de séparation des activités bancaires digne de ce nom ait été votée et promulguée.

Changement de modèle d'activité pour les banques

 Prises dans leur ensemble, les réformes financières introduires par le G20 et transposées dans les différents pays et juridictions ont plusieurs conséquences sur les modèles d'activité des banques. Tout d'abord, elles devraient provoquer une réorganisation des fonctions liées à la gestion financière, à la gouvernance et au contrôle des risques, avec une plus grande transversalité de ces fonctions au sein d'un dispositif intégré, là où une approche en silos prévalait avant la crise. Cette dernière a en effet mis en évidence, ainsi que nous l'avons déjà évoqué plus haut, le lien fondamental entre liquidité de marché et liquidité bancaire à travers la montée en puissance du refinancement collatéralisé.

Ensuite, les nouvelles réglementations devraient se traduire par une reconfiguration du périmètres d'activité des banques européennes et américaines, en fonction de leur "pouvoir de marché", et de leur capacité à générer de réelles économies d'échelles. Une différentiation croissante devrait ainsi apparaître entre les grandes banques internationales possédant un avantage compétitif  en raison de leur taille, et les banques commerciales locales dont la pérennité dépendra de leur capacité à développer une connaissance fine de leurs clients. En outre, la standardisation des produits dérivés devrait s'accélerer, stimulée par les exigences réglementaires en matière de collatéralisation, et de compensation centralisée des transactions sur ces produits.

Enfin, un recentrage géographique devrait accompagner ce recentrage organisationnel, en raison du renchérissement des coûts des filiales étrangères (exigences en fonds propres, accès aux dépôts et à la liquidité interbancaire), et de la concurrence de plus en plus vive des acteurs locaux, notamment sur les grands marchés émergents.

Le modèle de grande banque universelle pas remis en cause

 On pourrait donc dire que les réformes financières post-crise se sont traduites par plusieurs évolutions de fond: recapitalisation des différents secteurs bancaires nationaux, nouveaux garde-fous sur le risque de liquidité et de transformation (ratios bâlois LCR et NSFR), plus grande transparence sur les produits dérivés (EMIR), et d'un recentrage géographique et fonctionnel des banques. Néanmoins, le modèle de la grande banque universelle n'a pas été remis en cause par les régulateurs. On assiste au contraire à une plus forte concentration au sein de l'industrie bancaire, les survivants ayant absorbé les institutions défaillantes et consolidé leur pouvoir de marché.

Le mouvement de consolidation s'accélère

 L'absorption des coûts liés à "l'implémentation" des nouvelles réglementations (besoins de recapitalisation, constitution de réserves de liquidité, renforcement des exigences sur la titrisation, les produits dérivés et les opérations de marché) accélère le mouvement de consolidation sectoriel engagé avant la crise. La seule différence avec la situation d'avant la crise, c'est qu'en cas de graves difficultés d'une institution à caractère systémique, des plans de résolution encadrent désormais de manière plus formalisée l'action des pouvoirs publics, en vue du redressement ou de la liquidation de cette institution. Et les créanciers de la banque - autres que les déposants - devront désormais supporter une partie du coût de cette résolution avant que l'argent public ne soit utilisé.

Le danger pour les banques: les innovations des Google, Apple, Amazon...

  Le danger pour les banques ne vient pas tellement des nouvelles réglementations, dont l'impact sera absorbé moyennant une baisse relative de leur rentabilité, vers des niveaux plus proches de celle des entreprises non financières. Le véritable danger vient plutôt des innovations technologiques disruptives portées par des acteurs non bancaires : les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les opérateurs télécom et les myriades de start-ups Fintech - contraction de finance et de technologie - qui sont en passe de révolutionner l'industrie des services financiers.

Dans un environnement concurrentiel en pleine mutation, les banques ne pourront plus reporter sur leurs clients l'intégralité des coûts de mise à niveau technologique et réglementaire. Les régulateurs quant à eux semblent en retard d'une bataille. Ils ont très peu anticipé l'émergence de ces nouveaux acteurs digitaux qui s'attaquent maintenant à la "banque de Papa" avec ses agences physiques surdimensionnées, ses coûts de service exorbitants et ses produits formatés.

Le succès du compte Nickel en France - "le compte sans banque" - illustre cette nouvelle tendance, ainsi que l'essor des plateformes de financement participatif (ou crowd-funding) qui mettent en relation directement prêteurs et emprunteurs. Sans parler des crypto-monnaies électroniques encore balbutiantes, à l'instar de Bitcoin, qui s'attaquent à la prérogative régalienne par excellence, celle de battre la monnaie. Il faudra donc que les banques traditionnelles fassent leur mue à tous points de vue, si elles veulent conserver un place de choix au sein d'un système monétaire et financier mondial en plein bouleversement.

Les lecteurs qui souhaitent plus de détail peuvent consulter l'étude intégrale (en anglais), disponible sur le site de Chappuis Halder & Cie.

Lien : https://www.chappuishalder.com/wp-content/uploads/2014/12/CHCie-Risk-Regulation-and-Strategy-Occasional-Papers-Number-1-vfinale-15122014.pdf

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Commentaires 7
à écrit le 08/01/2015 à 18:07
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petite correction : il est nécessaire de lier valeur ajoutée et emploi et non "la valeur ajoutée" Merci de corriger !

à écrit le 08/01/2015 à 18:04
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Le gros problème de l' Économie est un problème de demande, une demande mise à mal par un excès de concurrence faisant la part trop belle au consommateur. Il est nécessaire de la valeur ajoutée et emploi par indexation de la masse salariale sur 50 % ...

à écrit le 07/01/2015 à 11:54
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Qu'a t'on fait pour lutter contre le "too big to fail" ? Rien, les banques sont encore plus grosses qu'avant Séparation des activités risquées ? Rien, on n'a pas coupé les banques en morceaux, on n'a pas osé ! Pas de Glass Steagall Act ! Pas de limi...

à écrit le 07/01/2015 à 9:10
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Étonnant qu'un tel papier omette de mentionner que les principales mesures prises ont concerné essentiellement l'accroissement et l'institutionnalisation de la socialisation des pertes. On n'a pas amélioré les choses, on a augmenté le risque des dépo...

à écrit le 07/01/2015 à 8:21
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La banque universelle, c'est formidable, mais on peut aussi penser, quand on n'est pas banquier, que l'amende américaine pour la BNP et l'histoire Kerviel à la SG, c'est exactement ce à quoi on s'expose avec ce concept. Concept qui, soit dit en pas...

à écrit le 07/01/2015 à 8:19
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C'est bien çà le problème : les régulateurs encouragent les consolidations, et les banques "too big too fail" sont de plus en plus grosses, et donc de plus en plus dangereuses. Tout çà parce que ces crânes d'oeuf se sont auto-soumis à un tabou : u...

le 07/01/2015 à 11:55
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Et si jamais sauvetage bancaire il y a, il faut virer tout le conseil d'administration de la banque et ses dirigeants, et liquider les actionnaires, comme le faisait le grand Paul Volker en personne.

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