Les dangers du plan Juncker

Le plan Juncker revient à la constitution en Europe d'un énorme budget fictif. Il va contribuer à entraver les processus de marché, et donc limiter la croissance.

De nouveaux détails sur le plan d'investissement de la Commission européenne d'un montant de 315 milliards d'euros (390 milliards de dollars) pour 2015-2017 ont été finalement révélés. Ce programme, annoncé par le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker en novembre, représente un énorme budget fictif, deux fois supérieur au budget annuel officiel de l'Union européenne, qui va financer les projets d'investissements publics et va finalement aider les gouvernements à contourner les limites d'endettement établies dans le Pacte de Stabilité et de Croissance.

Les pays de l'UE doivent garantir ce fonds

L'emprunt sera organisé par le nouveau Fonds Européen d'Investissement Stratégique (EFSI), sous l'égide de la Banque Européenne d'Investissement. L'EFSI sera doté de 5 milliards d'euros de financement de démarrage, produits par la réévaluation des actifs existants de la BEI et sera soutenu par 16 milliards d'euros de garanties de la Commission européenne. Le fonds devrait en profiter pour acquérir près de 63 milliards d'euros en prêts, avec des investisseurs privés contribuant par la suite pour chaque tranche de 5 milliards d'euros prêtés, ce qui porte l'investissement total à un objectif de 315 milliards d'euros.

Même si les pays de l'UE ne doivent pas contribuer en fonds réels, ils doivent fournir des garanties implicites et explicites aux investisseurs privés, dans un arrangement qui ressemble étrangement à une obligation solidaire incarnée par des euro-obligations. Face au rejet catégorique des euro-obligations par la Chancelière allemande Angela Merkel, l'UE a engagé une horde de spécialistes financiers pour trouver une façon créative de le contourner. D'où l'invention de l'EFSI.

2000 projets potentiels, pour un total de 1300 milliards d'euros

 Même si ce fonds ne sera pas opérationnel avant mi-2015, les pays membres de l'UE ont déjà proposé des projets pour le compte de la Commission européenne. Début décembre, l'ensemble des 28 gouvernements de l'UE ont présenté des demandes, et il en arrive d'autres.

Une évaluation des documents d'application, menée par l'Institut de recherches économiques Ifo que je préside, a constaté que près de 2 000 projets potentiels devraient coûter au total 1300 milliards d'euros, dont environ 500 milliards seront dépensés avant fin 2017. Près de 53% de ces coûts correspondent à des projets publics, 15% à des partenariats public-privé (PPP), 21% à des projets privés et un peu plus de 10% à des projets qui n'ont pas pu être classés.

Les projets publics impliqueront vraisemblablement un financement EFSI et les gouvernements vont assumer les paiements des intérêts et de l'amortissement. Le PPP entraînera un financement mixte, avec des entités privées qui prendront une part du risque et des retours. Les projets privés comprendront la fourniture d'infrastructures, dont le coût doit être remboursé au moyen de péages ou de frais d'utilisation perçus par un opérateur privé.

Un réel soutien de la demande en Europe

Contrairement à d'autres critiques, je ne m'attends pas à ce que le programme ne parvienne pas à soutenir la demande dans l'économie européenne. Après tout, les 315 milliards attendus qui doivent être distribués sur trois ans représentent 2,3% du PIB annuel de l'UE. Un tel niveau considérable d'investissements doit nécessairement avoir un impact.

 Une distorsion des processus de marché qui entravera la croissance

Mais le programme reste juridiquement contestable, car il crée un énorme budget fictif financé par des emprunts qui fonctionneront parallèlement aux budgets nationaux de l'UE et constitueront ainsi un fardeau considérable de partage des risques sur les contribuables. Parce que chaque pays indépendamment de sa solvabilité peut emprunter au même taux d'intérêt, les projets seront entrepris dans les pays qui ont emprunté récemment de telles quantités énormes de capitaux, qu'ils ne peuvent plus exploiter les marchés financiers pour leur financement. Tout comme les nombreuses autres mesures « protectrices » prises pendant la crise, cette distorsion des processus du marché contribuera à cimenter l'allocation sous-optimale du capital d'investissement européen, ce qui entrave la croissance économique pour les années à venir.

Pour aggraver encore les choses, seule une fraction du nouvel emprunt autorisé par la mutualisation de la responsabilité sera prise en compte dans les budgets nationaux. Ainsi les accords de gestion de la dette à l'échelle européenne n'auront plus de raison d'être, y compris le Pacte de Stabilité et de Croissance, qui limite le déficit global à 3% du PIB, et le « pacte fiscal » de 2012 qui stipule que les pays dont le pourcentage de dette par rapport au PIB dépasse la limite de 60% doivent les réduire d'un vingtième par an jusqu'à ce qu'ils soient conformes.

Au cours des dernières années, les banques ont été réprimandées pour l'utilisation de budgets fictifs, sous forme d'entités ad hoc et de fonds multicédants et pour des prises de risques excessives. Il est à tout le moins inquiétant que l'UE ait maintenant recours à des astuces similaires.

Hans-Werner Sinn, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, est président de l'Institut de recherche économique Ifo et siège au Conseil consultatif du Ministère allemand de l'économie. Il a publié tout dernièrement The Euro Trap: On Bursting Bubbles, Budgets, and Beliefs.

© Project Syndicate 1995-2015

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