Art contemporain : un aperçu de l'avant-garde à Paris...

Entre expérimentations au Palais de Tokyo et résurrection du vitrail par Manessier. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Si l'avant-garde artistique vous donne de l'eczéma, ne vous arrêtez pas devant le Palais de Tokyo, passez votre chemin. Les amateurs, eux, entreront. ils sont jeunes, anglophones, portent le bermuda ou la jupe courte.
Ils méditeront au niveau 2 devant des verres de table en mille morceaux, des verres non cassés enduits de noir de fumée, une camisole de force semi transparente en ailes d'abeilles (plutôt élégante) une délicate armure japonaise, des coquilles d'œuf, du papier carbonisé. Ces objets fragiles sont des « expérimentations » de Patrick Neu, qui « inverse les matériaux et leurs usages ».

Une Asie multicolore et hermétique

Au niveau 1, ils seront plus dépaysés avec l'irruption d'une Asie multicolore et hermétique. Les ingrédients du jeune thaïlandais Konkarit Arunadonchai sont variés : peintures, notamment sur toile, sculptures, vidéos et aménagements, dont un bassin et disséminés dans deux grandes salles. Les couleurs sont violentes. Une sorte d'art brut. Le thème est obscur : un « esprit en survol » visitant un « palais de la mémoire ». La première salle est intitulée « Body painting », un « paysage » surchargé d'objets incongrus (mannequins) que je suis incapable de décrire, des vidéos. Dans la seconde, un film (de nombreux corps nus peinturlurés) qui porte le titre « Painting with history in a room filled with peopole with funny names » est censé raconter l'échange entre l'artiste et un être imaginaire, Chantri. Pour vous pénétrer de cette « fusion entre l'art et la vie, l'imagination et la réalité, la science et l'incorporalité » vautrez-vous dans une semi obscurité sur de confortables coussins, où mes voisins faisaient la sieste.
A côté, le chinois Tianzhuo Chen's, dont l'imagination est aussi débordante, se complait dans le kitsch et le paradis des drogues. Se mêlent là aussi aménagement, vidéos, sculptures et peintures, avec des références aux différentes symboliques religieuses, dont le bouddhisme tibétain. Ce jeune artiste « prometteur » illustre « l'effondrement des représentations morales et des croyances » Les gags visuels de deux petits personnages de la vidéo sont réussis.

"Questionner ainsi les limites du corps et de l'individualité"

Poursuivez dans la galerie  et au fond d'un espace obscur, vous verrez sur deux écrans une jeune fille et un enfant handicapée. Ces deux personnages sont « un point de départ à l'exploration des concepts de capacitisme et d'autonomisation pour questionner ainsi les limites du corps et de l'individualité ». Ces créations sont l'œuvre de Jesper Just qui vit à New-York
Pour éviter la migraine qui menace, asseyez- vous devant les trois abstractions géométriques monochromes d'Isabelle Cornaro, qui vit à Paris, dont l'éclairage varie subtilement. C'est harmonieux et reposant.

Avant de retrouver la lumière du jour, regardez bien les murs de béton sales et noirâtres. Une partie est recouverte d'un élégant papier peint doré, richement ornementé de motifs floraux. Des particules de poussière recueillies dans les couloirs du Palais (cueillette facile) et dans l'église Saint Meri ainsi que les cendres de ses papiers précédents. « Phenix in ruins » ont été incorporés au papier. C'est l'œuvre d'une artiste australienne, Hannah Bertran, « qui dessine une relation entre décoration, poussière et mort ».

Promenade en barque

Réservez pour la fin la surprise de l'exposition, le « paysage lacustre » de Célestin Boursier-Mougenot, au niveau un du Palais de Tokyo. Il est appelé « aquaalta » par référence à « l'inondation annuelle touchant la lagune vénitienne ». Vous ferez la queue pour accéder à une barque dans une semi obscurité. La navigation sinueuse sur plusieurs dizaines de mètres est agrémentée d'un « zombieedrome « dispositif faisant apparaitre sur les murs les visiteurs en mouvement et produisant un son lancinant. « Ce flux d'images crée les prémices d'un voyage halluciné qui amène le voyageur à traverser à travers sa propre psyché ».  Vous débarquerez sur une « île » et vous vous allongerez sur de confortables coussins pour vous « noyer dans les images environnantes et laisser votre « imagination voguer vers Narcisse dans son reflet ou vers Ulysse résistant au chant des sirènes...votre rapport entre nature et culture ayant été inversé » Vous n'y parviendrez peut-être pas, une distraction venant du spectacle des pagayeurs et des pagayeuses plus ou moins habiles dans le maniement des barques et une gêne, de l'odeur fétide de l'eau- (comme dans la lagune vénitienne) qui doit être traitée.
Puis vous regagnerez la terre ferme.

Le contribuable obtus s'interrogera in petto sur le cout de cette expérimentation, qui va se prolonger jusqu'au 13 septembre et sur d'éventuelles infiltrations dans un bâtiment qui n'a pas été conçu pour la navigation.

De Manessier à la résurrection du vitrail


A l'abri du bruit de la rue de Vaugirard, au fond d'une impasse bordée d'arbres et de fleurs se tient le bel édifice art-déco, lumineux et fonctionnel, construit par Robert Mallet- Stevens (1932) pour son ami, le maître verrier Louis Barillet. Le propriétaire a changé, l'hôtel industriel a été transformé avant d'être restauré. Subsistent, outre les mosaïques au sol et un vitrail monochrome au dessin géométrique, l'architecture d'ensemble, la grande verrière de la façade principale avec sa mezzanine.

Il abrite depuis 2014 le Musée Mendjisky- Ecoles de Paris. Le mot « écoles de Paris » est au pluriel car Serge Mendjisky, peintre et photographe, veut célébrer la seconde Ecole de Paris regroupant des peintres non figuratifs, Estève, Pignon, Bazaine, Manessier et son ami Le Moal, ainsi que le père de Serge, Maurice, peintre méconnu selon lui.

Le musée accueille jusqu'au 15 octobre, sur quatre niveaux, cinquante œuvres de Manessier, qui a longtemps vécu dans un immeuble tout proche rue de Vaugirard. L'exposition intitulée « Du crépuscule au matin clair » mérite que l'on y consacre du temps. Manessier est le peintre de la lenteur, ses tableaux appellent à la méditation et au silence intérieur. L'on reste saisi d'émotion, à l'écoute, devant ses visions nocturnes, en particulier et leur gamme de bleu et de noir. Les peintures à l'huile du début, la baie de Somme où il découvre la nature et la lumière du Nord, montrent que Manessier aurait pu devenir un excellent peintre figuratif. Il s'est aussi essayé, avec la même réussite à la tapisserie et au vitrail. Pour en savoir et en voir plus sur le vitrail, il vous faudra monter jusqu'au Trocadéro et visiter l'exposition sur le vitrail contemporain à la cité de l'architecture et du patrimoine.

L'art du vitrail laïcisé

En France, le vitrail est lié à l'architecture religieuse. Ce n'est pas le cas aux Etats- Unis, où Tiffany a transformé l'art du vitrail et l'a « laïcisé » le vitrail en remplaçant les scènes religieuses par des paysages, des fleurs et des fruits. Il en existe de superbes spécimens au musée du vitrail à Chicago, où ils ont été déposés lors des destructions de gratte ciel, qui sont fréquentes.
Dans notre pays, le renouveau du vitrail a été plus tardif. On le doit dans une large mesure aux Dominicains, principalement au Père Couturier, qui l'ont imposé à la hiérarchie et aux fidèles longtemps réticents. Pourtant, le vitrail non figuratif suscite le silence intérieur, crée une atmosphère propice à l'écoute de l'Esprit ou d'une musique ineffable et conduit à la perception de la transcendance. C'est cette résurrection du vitrail après la seconde guerre mondiale que l'exposition présente.

Manessier est présent par une réplique du vitrail de l'église Saint Michel dans le Doubs (1948) : un paysage bleuté qui rappelle les pins de la montagne. Les seize ensembles de Manessier méritaient plus. C'est dans le vitrail qu'il atteint le sommet de son art et que la plénitude du regardeur est la plus intense.

Une trentaine d'artistes

Une trentaine d'artistes, auteurs de 130 œuvres réalisés dans 44 édifices différents sont représentés dans l'exposition. Elle débute par l'église du Plateau d'Assy (Haute Savoie) où une vingtaine d'artistes majeurs (Braque, Léger, Lurçat, Matisse, Germaine Richier...) en ont fait un superbe manifeste de la modernité ; pour les vitraux, les concepteurs principaux ont été Bazaine, Rouault, Chagall.
A Vence, l'incroyant Matisse répondant à la demande des Dominicains décore la chapelle du couvent: simplicité, pureté des lignes, combinaison merveilleuse de bleu, de jaune et de vert ; tout est priant.
Le Corbusier est là avec la chapelle de Ronchamp, œuvre marquante et émouvante réalisée en fin de vie.
Les peintres modernes, après quelques combats, sont sollicités lors de la restauration de monuments historiques. Dans la cathédrale de Metz, les vitraux modernes sont en harmonie parfaite avec les vitraux gothiques et renaissants ; les petits personnages de Chagall tirés de la Bible voltigent dans un chatoiement de rouge, bleu et violet.

Des réalisation tumultueuses

Après 1975, les réalisations se diversifient, qu'il s'agisse des techniques et des artistes. Le décor vitrifié est confié à un seul artiste. Certaines sont tumultueuses. A Nevers, le feuilleton dure trente ans, François Mitterrand s'en mêle, Alberola succède à Markus Rüpertz.
A Conques, Soulages choisit la modestie avec des vitraux d'accompagnement de l'architecture romane et des tons de la pierre ; le verre fabriqué spécialement par Saint-Gobain est incolore et translucide comme l'albâtre.
Le retour à la figuration, généralement stylisée retrouve une place ; ND de l'Arche d'Alliance dans le quinzième (Raysse) Saint Martin de Tours (les pèlerins, les sans-abri de Collin- Thiebaud...) l'abbatiale Sait Gildas des Bois et ses Enfants Aliénés, en cristal monochrome, de Pascal Convert, qui regardent le visiteur.
Enfin, l'exposition montre quelques exemples de vitraux dans l'architecture civile : appartement de Le Corbusier (1950) parkings, université.

Ne quittez pas la cité de l'architecture sans regarder quelques uns des films projetés au niveau supérieur, au moins un échantillon, car l'ensemble dure deux heures. Ils montrent le rôle essentiel des maîtres-verriers et la combinaison des techniques et outils les plus modernes avec l'artisanat traditionnel. Les recherches sur les couleurs et les matériaux sont détaillées. Certains films sont admirables sur le plan esthétique. Celui réalisé sur les céramiques, sculptures et vitraux de la Chapelle Sant Pere dans la cathédrale gothique de Palma de Majorque, conçus par Miquel Barcelo, s'impose par son côté expressionniste, voire surréaliste, des scènes d'évangile traités dans un style néo primitif.

Pierre-Yves Cossé
Aout 2015

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Commentaire 1
à écrit le 19/08/2015 à 16:07
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Bonjour, Si l'exposition Patrick Neu vous a plu, ne manquez pas le documentaire Le complexe de la salamandre tous les samedis de l'été à 14h au Cinéma Grand Action. http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19554479&cfilm=238575.html http:...

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