Covid-19 : les défis de la supply chain

OPINION. L'apparition du nouveau coronavirus dans la province chinoise du Hubei fin janvier a révélé les vulnérabilités de notre supply chain. Plutôt que de pointer notre trop grande dépendance envers la Chine, c'est une réévaluation de l'ensemble du système qui doit s'imposer. Par Peter Taylor, manager au sein du Centre d'excellence mondiale de CGI dédié à la transformation digitale de la Supply Chain.
Plusieurs usines de transformation de viande, parmi les plus grandes du pays, ont été contraintes de fermer. L'usine de transformation de porc de Smithfield, dans le Dakota du Sud, qui représente à elle seule 4 à 5 % de l'approvisionnement en viande de porc de tout le pays, n'est qu'un exemple parmi tant d'autres... Le résultat de ces fermetures, c'est que les rayons des supermarchés en aval se sont vidés, tandis que les fermes en amont se sont retrouvées avec des milliers de bêtes sur les bras.
Plusieurs usines de transformation de viande, parmi les plus grandes du pays, ont été contraintes de fermer. L'usine de transformation de porc de Smithfield, dans le Dakota du Sud, qui représente à elle seule 4 à 5 % de l'approvisionnement en viande de porc de tout le pays, n'est qu'un exemple parmi tant d'autres... Le résultat de ces fermetures, c'est que les rayons des supermarchés en aval se sont vidés, tandis que les fermes en amont se sont retrouvées avec des milliers de bêtes sur les bras. (Crédits : Reuters)

Le but même de la supply chain est de faire correspondre l'offre aussi étroitement et efficacement que possible à la demande. C'est la raison pour laquelle la supply chain a été mise sous les feux des projecteurs pendant cette crise. Les pratiques standard en matière de gestion de la supply chain passent en revue les périodes passées et y adjoignent des informations commerciales (sur les clients, l'entreprise et ses concurrents) afin de créer des stratégies pour l'avenir. Tout au long de la crise, ces pratiques standard n'étaient plus des ajustements de routine pour prévoir, mais plutôt des reconfigurations fondamentales des modèles d'exploitation.

Comme la demande est replanifiée pour les périodes futures, il est essentiel d'identifier s'il s'agit d'un changement de consommation, d'un changement dans le timing de consommation ou d'un changement qui concerne le canal de distribution et la gamme de produits. Le papier hygiénique, par exemple, a disparu des rayons. Mais le besoin et la consommation du produit ont-ils réellement changé ? Pas vraiment. Il est donc essentiel de comprendre que la demande pour les périodes futures a été anticipée afin de constituer des stocks de biens ménagers et de prévoir une demande réduite avec une plus grande propension des ménages à acheter des grandes marques. Les mêmes principes s'appliquent à l'ensemble du panier de biens ménagers. La farine n'était pas en pénurie parce que les familles cuisinaient davantage à la maison. Au contraire, les sacs grand format habituellement destinés aux restaurants ont dû être reconditionnés et acheminés alors que les magasins étaient en surcapacité.

La filière américaine de la viande dans la tourmente

Les usines de transformation de viande aux États-Unis ont en particulier été scrutés à la loupe. Les employés ont subi des pressions pour maintenir l'approvisionnement en viande du pays tout en travaillant en forte proximité les uns des autres. Des centaines d'employés ont été touchés par le virus et donc de nombreux décès ont été à déplorer. Plusieurs usines de transformation de viande, parmi les plus grandes du pays, ont été contraintes de fermer. L'usine de transformation de porc de Smithfield, dans le Dakota du Sud, qui représente à elle seule 4 à 5 % de l'approvisionnement en viande de porc de tout le pays [1], n'est qu'un exemple parmi tant d'autres... Le résultat de ces fermetures, c'est que les rayons des supermarchés en aval se sont vidés, tandis que les fermes en amont se sont retrouvées avec des milliers de bêtes sur les bras.

Lire aussi : Covid-19 : vers une réhabilitation du concept de coût de pénurie

Il est impossible d'analyser cette crise sans prêter attention à la question des équipements de protection individuelle. Nous avons déjà expliqué pourquoi la pénurie d'approvisionnement a créé un risque avec de graves conséquences pour les entreprises qui sont restées ouvertes. Les équipements de protection étaient également très demandés pour prévenir la propagation du virus, en particulier par le personnel hospitalier qui était en première ligne. Ce niveau d'utilisation a représenté un changement de la demande si radical sur une période tellement courte qu'il n'a pu être satisfait. Avant l'apparition du virus, la Chine produisait 50 % des masques chirurgicaux et des respirateurs dans le monde [2].

La Chine dépassée par la demande mondiale en masques

Cela nous ramène inévitablement au débat sur la dépendance de notre supply chain à l'égard de la Chine. L'enchaînement des événements a aggravé ce déséquilibre. Comme l'épidémie est partie de Chine, il y a eu une augmentation massive de la demande de masques de protection en Chine d'abord. Cette situation a entraîné une intervention du gouvernement pour coordonner la production nationale en fonction des besoins locaux. Même avec ce niveau de production et de coordination à l'échelle nationale, la Chine a dû importer en février des masques chirurgicaux des États-Unis, d'Europe et d'autres pays asiatiques. Cependant, la situation et donc le besoin en masques se sont rapidement étendus au monde entier. En mars, la Chine avait multiplié par douze sa capacité de production, mais cela ne suffisait toujours pas à répondre à la demande mondiale. L'allocation d'une offre limitée a conduit à la thésaurisation et à la hausse des prix, ce qui a empêché d'acheminer les produits là où ils étaient les plus nécessaires.

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Corriger un point de rupture particulier ne suffira pas

Nous avons déjà évoqué la réaction impulsive qui consiste à souligner notre dépendance excessive à l'égard de la Chine. Le problème de cette conclusion, c'est que nous revenons sur des décisions du passé qui ont été prises dans des circonstances particulières. La pénurie de masques en est un excellent exemple. Les épidémies de grippe H1N1 (2009) et de SRAS (2003) ont provoqué des pénuries similaires. La France a réagi en créant un stock national de 1,6 milliard de masques [3] et Prestige Ameritech, une entreprise américaine, a investi dans la production nationale [4]. Ces décisions ont coûté de l'argent et n'étaient plus en vigueur pour l'épidémie que nous connaissons aujourd'hui. Cette crise a mis en évidence les vulnérabilités de notre supply chain. Mais être obnubilés par ces vulnérabilités ne nous préparera pas à la prochaine crise. En matière de supply chain, la clé consiste à évaluer le fonctionnement du système de bout en bout. Cette évaluation doit tenir compte des coûts totaux du système par rapport aux coûts de transaction. Les coûts totaux du système doivent également être évalués par rapport à leur niveau de risque. Corriger un point de rupture particulier qui s'est produit dans le passé équivaut à essayer de conduire une voiture en regardant dans le rétroviseur. Nombreux sont ceux qui utilisent le terme de « black swan » - un événement inattendu aux conséquences dramatiques - pour parler de l'épidémie de Covid-19.  Selon cette définition, anticiper la future pandémie mondiale ne nous protégera pas contre le prochain « black swan ».

__________________

[1] https://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-52311877

[2] https://www.nytimes.com/2020/03/13/business/masks-china-coronavirus.html

[3] https://www.publicsenat.fr/article/politique/penurie-de-masques-une-responsabilite-partagee-par-les-gouvernements-successifs

[4] https://www.wired.com/story/surreal-frenzy-inside-us-biggest-mask-maker/

Lire aussi : Comment les entreprises peuvent-elles se projeter dans le futur pour anticiper les crises ?

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