Espagne : l'énigme du Parti populaire

Que n'aura-t-on pas entendu sur le Parti populaire (PP) ces dernières années ? Empêtrée dans de nombreuses affaires de corruption, la formation semble usée après plus de quatre années de gouvernement. Par Nicolas Klein, doctorant en espagnol à l'université d'Aix-Marseille.

La crise économique qui frappe l'Espagne depuis 2008 semble avoir emporté avec elle la crédibilité d'une grande partie des institutions nationales. La droite conservatrice n'échappe pas au mouvement général.

Le discrédit des autorités est d'autant plus grand de ce côté de l'échiquier que le bilan de la dixième législature est contrasté. La croissance est repartie et le taux de chômage a baissé, certes. Les exportations sont au beau fixe, il faut le reconnaître.

Pourtant, le sentiment de précarité et de dégradation des conditions de vie et de travail a rarement été aussi grand. Les problèmes fondamentaux du pays sont loin d'être réglés et le plus grave d'entre eux (le défi séparatiste catalan) n'a pas trouvé de réponse satisfaisante. Le Parti populaire n'a donc pas été à même de régler les incertitudes concernant l'avenir du pays.

Un dirigeant mal aimé : le cas Mariano Rajoy

Difficile de dire si Mariano Rajoy aurait été élu en 2011 en l'absence d'une grave crise économique et politique. Sans charisme, sans véritable vision, le successeur de José María Aznar à la tête du Parti populaire n'a pas su s'entourer d'une équipe convaincante, et plusieurs de ses collaborateurs ont été éclaboussés par des scandales financiers. Ce n'est pas non plus sur son rapport avec les médias (en particulier la télévision) que le président du gouvernement en fonction peut compter puisqu'il n'a jamais été à l'aise devant les caméras. Il en va de même pour son verbe, le sens de la rhétorique n'étant pas le fort de Mariano Rajoy. Contesté par ses adversaires, le dirigeant conservateur l'a aussi été par les membres de son propre parti et par son mentor politique. Tous lui reprochaient son immobilisme sur les grandes questions et son recours systématique à un juridisme étroit.

Pourtant, Mariano Rajoy et le Parti populaire sont toujours là, et les élections du 26 juin dernier en ont même renforcé la position. Une question s'impose : comment les populares peuvent-il continuer à remporter autant de suffrages de la part des Espagnols ?

La pauvreté de l'offre politique

En politique comme dans d'autres domaines, les citoyens font d'abord avec ce qu'ils ont. Or, force est de reconnaître que l'offre politique espagnole est pauvre. Le Parti populaire profite de cet état de fait et parvient à s'imposer à un Parti socialiste ouvrier très affaibli. Si son premier secrétaire, Pedro Sánchez, a réussi à éviter une débâcle humiliante le 26 juin, il ne peut masquer l'effondrement du nombre de sièges au Congrès des députés (110 en 2011, 90 en 2015, 85 en 2016). C'est d'abord parce que l'utilité de son rival est sujette à caution que le Parti populaire résiste sur la scène politique.

Il faut aussi admettre que les deux nouveaux venus dans la « cour des grands » (Podemos et Citoyens) ne parviennent pas à convaincre. La démobilisation des électeurs de gauche « radicale » démontre que Pablo Iglesias et les siens n'inspirent pas une confiance illimitée. Ils payent, tout comme Citoyens, une stratégie électorale erratique - l'alliance avec la Gauche unie dans un cas ou le PSOE dans l'autre a été mal reçue par bon nombre de leurs sympathisants. Ces deux formations ont également participé à la « cuisine » parlementaire qui dégoûte de plus en plus d'Espagnols et les cas de népotisme, voire de corruption, se sont multipliés dans leurs rangs au cours des derniers mois.

Notons enfin que le Parti populaire est le seul véritable parti de la droite parlementaire espagnole. N'ayant pas de concurrent réel, il peut compter sur la mobilisation de l'électorat modéré, libéral et conservateur.

Les barons font le travail

La perte de plusieurs mairies importantes et de nombreux exécutifs régionaux de la part du PP lors des élections de 2015 a donné le sentiment que la gauche revenait en force et que les conservateurs étaient durablement mis hors jeu. Cette impression est en partie fausse car les populares menaient encore les listes ayant recueilli le plus de suffrages. Ce n'est que par un jeu d'alliances plus ou moins complexes que les collectivités territoriales ont changé de couleur politique. Ces alliances n'avaient pour objectif que d'exclure le Parti populaire des différents gouvernements - un programme à court terme qui explique les tensions actuelles entre la gauche traditionnelle et Podemos dans un certain nombre de villes et de régions.

Les barons conservateurs ont pourtant conservé une solide emprise territoriale. L'élection ou la réélection triomphale de certains d'entre eux le 26 juin en dit long sur leur assise en Castille, à Madrid, en Galice ou encore dans les deux villes autonomes. Les dix députés ayant reçu la plus forte proportion de bulletins à leur nom sont tous issus du Parti populaire : soit Juan Bravo pour Ceuta (près de 52%), Pablo Casado pour Ávila (plus de 51%), María del Carmen Dueñas pour Melilla (quasiment la moitié des bulletins exprimés) ou bien encore Jesús Posada, ancien président du Congrès des députés, qui a triomphé dans la province de Soria (presque 45% des voix). Les candidats populares ont progressé presque partout (y compris en Catalogne). Ils ont même dépassé le PSOE dans son fief andalou (23 élus pour les conservateurs contre 20 pour les socialistes), sous l'égide de Juan Manuel Moreno.

Le camouflet est grand pour l'exécutif de Podemos dans certaines villes, notamment à Madrid, où le maire, Manuela Carmena, ne peut ignorer la « marée bleue » (40,2% des suffrages pour les conservateurs environ, contre 35,7% il y a six mois).

La structure et la conjoncture

Dans un monde et une Europe voués à l'incertitude, le Parti populaire est apparu comme la formation de la solidité, de l'expérience et de l'assurance face à des options nouvelles. Plutôt que de goûter à la nouveauté au niveau national, les citoyens espagnols ont majoritairement préféré se reporter vers ce qu'ils connaissaient déjà. Le PP et le PSOE ne sont pas les formations les plus enthousiasmantes, mais elles sont les plus rassurantes, alors que le Brexit soulève bien des questions et que l'économie nationale semble redémarrer. La conjoncture n'est pas aux innovations séduisantes mais potentiellement dangereuses, et les conservateurs l'ont bien compris. Ce n'est pas par hasard si Mariano Rajoy a axé sa campagne sur la peur de changements trop brutaux. Le conservatisme des électeurs de presque toute l'Espagne tranche avec le comportement des Basques et des Catalans, qui ont largement opté pour Podemos.

Mais la conjoncture nationale et internationale n'explique pas tout. C'est que le Parti populaire est la seule formation véritablement transversale du pays. La gauche espagnole, particulièrement dans sa version « radicale », s'adresse avant tout aux jeunes urbains les mieux formés et ne parle pas au reste du pays. Le PSOE a perdu sa connexion avec les campagnes ou les régions dominées par une ville modeste tandis que Citoyens n'est, en l'état, qu'un parti de cadres supérieurs plutôt aisés - de yuppies, aurait-on dit dans les années 1980. Mariano Rajoy et son équipe ont su attirer des Espagnols dans toutes les communautés autonomes, dans toutes les couches sociales, dans tous les milieux. Surtout, ils ont su conserver ce qui fait cruellement défaut à Podemos et à toute la gauche « radicale » espagnole : les plus modestes. Une étude du Centre des recherches sociologiques montre en effet que les citoyens dont les revenus dépassent les 4.500 euros mensuels votent en moyenne à 31% pour Pablo Iglesias contre 11,5% pour le PP. Au contraire, avec des revenus oscillant entre 600 et 900 euros par mois, le soutien à Podemos tombe en-dessous des 15% et dépasse les 21% pour les conservateurs.

Ce constat doit amener tous les partis qui ont perdu des voix lors des dernières élections générales à réfléchir sur leur rôle dans le pays, leur stratégie électorale et le contenu de leur programme : à quelle Espagne s'adressent-ils ?

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