Guerre en Ukraine et inflation : les ruptures de stock remettent en cause la recherche du volume dans un monde aux ressources limitées

OPINION. Voilà trois ans que les certitudes des entreprises sont bousculées. Auparavant, la quantité de production de biens n'était pas une problématique majeure et monter des partenariats commerciaux était souvent une évidence. La Covid a rebattu les cartes avec la fermeture d'ateliers en Chine, le ralentissement de la production suivie de la pénurie de matières premières et donc la flambée des prix. Et alors qu'on commençait à imaginer une stabilité sur le long terme, la guerre en Ukraine est venue complexifier la situation. Par Damien Robert, Chief Solution & Delivery chez Pricemoov.
(Crédits : DR)

Deux impératifs pour les entreprises : rester rentable et moduler les hausses tarifaires. La reprise a impliqué un rebond de la demande et une saturation des capacités de production couplée à l'engorgement des capacités de transport logistique. Les entreprises peinent à la fois à s'approvisionner et font face à des hausses très importantes des coûts des fournisseurs et du transport.

La première nécessité pour elles est d'ajuster leurs tarifs afin de rester rentable. Ceci peut intervenir jusqu'à cinq fois dans une année, voire plus avec des hausses en continu et c'est ce que nous voyons actuellement avec les variations du prix de l'essence. C'est une question de survie pour l'entreprise.

Les processus commerciaux ont dû s'adapter, la digitalisation devient clé. Même les journaux nationaux sous format papier ont dû revoir leurs prix à la hausse de 20 centimes en janvier 2022 suite à la hausse du prix du papier. Quant aux prix dans le bâtiment (BTP), ils ne cessent de subir des hausses sans précédent. Toute hausse non répercutée engendre une érosion de la marge de l'entreprise, il faut donc agir vite.

Les logiques de contrats annuels, voire pluriannuels sont souvent mises à mal. La sécurité apportée par les contrats de longue durée est souvent moindre face aux risques sur la rentabilité, sauf si de bonnes logiques d'indexation sont mises en place. La plupart des bons de commandes dans le BTP intègre aujourd'hui des clauses de révision des prix. Mais certaines entreprises sont obligées de suspendre leurs activités comme c'est le cas de l'usine de céramique, ex-Jacob-Delafon dans le Jura, qui a dû mettre au chômage partiel ses 54 salariés*.

Le second besoin, c'est de moduler ces hausses tarifaires. L'inflation, passée d'une augmentation de 2,8 % en décembre 2021 à une prévision de 3,5 % en février 2022, vient grever le pouvoir d'achat des consommateurs à une échelle mondiale, notamment celui des foyers les plus modestes. Les entreprises doivent analyser les effets sur leurs différents segments et marchés. Certaines préféreront contenir les hausses sur les produits d'entrée de gamme et être plus agressives sur les segments hauts de gamme. Une analyse de Reuters sur Chanel publiée le 04 mars montrait par exemple des hausses de prix flirtant avec les 30 % sur un certain nombre de références, avec pour l'ensemble du secteur du luxe des résultats 2021 en forte croissance à l'instar de LVMH qui a vu son chiffre d'affaires grimper de 44%. A l'opposé, la hausse sensible des prix sur les denrées alimentaires de base comme le blé risque d'avoir des effets dévastateurs sur des marchés très dépendants de l'Ukraine et de la Russie. Parmi les 25 pays africains les plus exposés figurent le Bénin, le Soudan ou l'Égypte.

Les ruptures de stock poussent vers des logiques de capacité limitée

Seuls des secteurs réputés à capacités fixes comme l'hôtellerie, l'aérien et les énergies ont l'habitude de gérer la pénurie de capacités sur certaines périodes. Aujourd'hui, avec les ruptures d'approvisionnement, beaucoup de domaines peuvent désormais être considérés comme étant à capacités fixes. En effet, la quantité réduite de produits disponibles en lien avec les capacités de production et de transport est probablement LA disruption qui a le plus modifié les fondements mêmes des organisations. Depuis des décennies, les entreprises ont pris l'habitude de raisonner sur la base de capacités de production qui pourraient satisfaire l'ensemble de la demande. Les opérations trouvaient les capacités nécessaires pour répondre aux objectifs de production que le marketing et le service commercial pouvaient fixer.

Les vélocistes par exemple ne peuvent aujourd'hui répondre qu'à une très faible partie de la demande. Par conséquent, d'une part ils ne font plus de promotions - on remarque une hausse des prix souvent au-delà de l'augmentation des coûts de production - et d'autre part, le marché de la seconde main connaît un franc succès.

La rationalisation des échanges et des habitudes

Une autre conséquence de ces ruptures de stock concerne l'allocation dynamique des capacités. Les entreprises privilégient les segments, secteurs ou marchés les plus rémunérateurs et délaissent ceux sur lesquels leur marge est plus faible. Elles appliquent ainsi une logique d'optimisation du « yield » comme dans le secteur aérien. Cette stratégie peut s'avérer payante, toutefois elle peut être déconcertante pour les clients qui n'y sont pas habitués, auquel cas, il faut anticiper un retour de bâton éventuel quand les capacités de production reviendront à leur niveau d'avant.

Cela étant dit, ne faut-il pas également s'interroger sur les ressources limitées du monde dans lequel nous vivons? Les sources d'énergie et les matières premières auront du mal à croître plus vite que nos besoins. Les défis écologiques commencent déjà à nous contraindre à plus de sobriété et on peut considérer que la crise actuelle n'est qu'un avant-goût de ce nouveau monde, une préparation aux nouvelles logiques que les entreprises devront suivre de manière pérenne.

Dans ce contexte, on peut donc s'attendre à avoir des hausses de prix plus fortes ainsi qu'à une plus grande volatilité sur les produits qui seront plus sensibles à une raréfaction des ressources. Nos boulangeries envisageront-elles d'appliquer le « yield management » ?

On peut aussi s'attendre à ce que tous les marchés ne soient pas servis de la même manière, voire à ce que les produits soient moins sujets à l'obsolescence programmée. D'autres marchés connaîtront une croissance fulgurante à l'instar du secteur de la seconde et troisième main. En effet, d'après l'Observatoire Natixis Payments, en deux ans les ventes de deuxième main de vêtements ont progressé de +140 %. Dès lors, la notion même d'inflation ne pourra plus se baser que sur des produits neufs et on pourra peut-être réussir à réconcilier tous les types de biens.

Si d'aucuns considèrent que la crise sanitaire a servi de révélateur de l'existence de défis d'envergure tel que celui du climat, il se pourrait bien que les ruptures de stock et l'inflation jouent un rôle similaire. Les entreprises prennent peu à peu conscience que le modèle de la recherche effrénée du volume à tout prix est obsolète car nous vivons bel et bien dans un monde fini.

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* Source : France 3, le 7 mars 2022

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Commentaires 3
à écrit le 20/04/2022 à 15:50
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appliquer du yeld sur des biens de production et pas des services, c'est se fourvoyer sur l'origine de la methode....et en plus c'est oublier qu'une partie du yield, c'est la survente ( ce qui n'est pas le cas en industrie).......y a tout dans le bou...

le 25/04/2022 à 11:27
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Bonjour Churchill, Le yield est bien né dans les services. Néanmoins des biens non facilement stockables comme l'électricité ont très vites été yieldés. Depuis, beaucoup de secteurs industriels structurellement régulièrement en sous capacité l'ont...

à écrit le 20/04/2022 à 15:24
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La Covid n'y est pour rien, arrêtez avec ça. Les pays comme la Chine ont stoppé leurs exportations de leur plein gré, tout cela était évidemment voulu et planifié. Arrêtez de chercher des boucs émissaires à la démondialisation

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