La Catalogne laboratoire des sécessionnismes européens

Ce qui est nouveau, c'est d'abord la démultiplication simultanée des différents sécessionnismes, leur niveau d'intensité et la fréquence des secousses d'émergence. Le changement, c'est aussi la rencontre de ces phénomènes avec les outils de communication sociaux qui, d'activistes invisibles, transforment les militants en guerriers stratèges d'une bataille de communication qui tourne le plus souvent à leur avantage. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, président de j c g a.

Ce week-end, nous avons assisté au réveil massif d'une autre rue catalane. Elle est venue crier son attachement à l'unité espagnole et tenter de déstabiliser la stratégie populaire et médiatique de Carles Puigdemont et de ses alliés indépendantistes.

La bataille est rude. L'Espagne et l'Europe sont secouées et réfutent un assaut sécessionniste qualifié d'illégitime autant qu'illégal. C'est vrai que ni l'Espagne, pas plus la Grande-Bretagne, la Belgique ou la France ne sont des dictatures. Il faut redire haut et fort : pas plus les Catalans, que les Ecossais, les Flamands, les Bretons ou les Corses ne sont des populations opprimées. Reste que si, comme l'écrit l'historien Arnaud Teyssier, « dans nos démocraties, c'est bien l'Etat Nation qui a su concilier les deux exigences contradictoires » d'autorité et de liberté « à travers un pouvoir identifié, admis et incarné », l'Union Européenne et ses pays/nations doivent ouvrir les yeux. « Jamais la défiance citoyenne envers les institutions n'a été aussi puissante. Et jamais les utopies incitant à créer des communautés autonomes n'ont autant séduit », pointait très justement récemment Blaise Mao.

On assiste, en particulier à des réveils identitaires multiformes, souvent associés à des volontés sécessionnistes. Régionalismes anti Etat-Nation, écossais, catalan, corse, flamand... exacerbations nationales anti-européennes avec la montée des partis qualifiés de populistes partout en Europe et même de la riche Allemagne avec la récente explosion de l'AFD, revendications identitaires religieuses en particulier avec l'Islam, ou encore mobilisations ethniques ou liées au genre... et affirmation de formes de « tribalismes » sécessionnistes comme les "zadistes", les "survivalistes" ou encore les "libertariens".

Guérilla visuelle 2.0

On pourrait vouloir se rassurer en rappelant qu'il n'y a rien de très neuf individuellement dans ces différentes aspirations. C'est vrai. Mais ce qui est nouveau, c'est d'abord la démultiplication simultanée des différents sécessionnismes, leur niveau d'intensité et la fréquence des secousses d'émergence. Le changement, c'est aussi la rencontre de ces phénomènes avec les outils de communication sociaux qui, d'activistes invisibles, transforment les militants en guerriers stratèges d'une bataille de communication qui tourne le plus souvent à leur avantage médiatique face aux arguments et dispositifs institutionnels. Entre actions de rue, occupations urbaines, débats télévisés, en passant par une guérilla notamment visuelle 2.0, la guerre catalane qui se déroule sous nos yeux illustre très bien une asymétrie qui booste l'avantage des sécessionnistes.

La question identitaire est individuelle et collective. Pour bon nombre d'entre nous, elle accompagne un sentiment de perte de situation au sein des sociétés contemporaines. Collectivement, les imparables mouvements d'homogénéisation poussés par la mondialisation accélérée défient voire effacent tout ou partie des identités locales et nationales renforçant les déstabilisations individuelles.

« Les hommes et les femmes recherchent des groupes auxquels ils peuvent appartenir assurément et pour toujours, dans un monde dans lequel tout le reste bouge et change », écrivait l'historien britannique Eric Hobsbawm.

Solidarité presque néo-tribale

Quand les crises se multiplient, quand les instruments de la solidarité institutionnelle craquent petit à petit, les individus et les communautés cherchent à compenser et inventent ou réinventent d'autres formes. On le voit partout dans le monde et donc aussi en Europe. Ici encore, c'est le mix moderne d'internet et des circuits courts, entre local et global, la solidarité directe, la proximité territoriale, une communauté de destin et un lien identitaire.

Nous voyons naître une solidarité de nature presque néo-tribale. Elle allie la dimension traditionnelle qui associe la permanence des comportements d'avant la création des institutions de solidarités du modèle social et les très contemporaines solidarités des réseaux digitaux et du 2.0.

Il y a comme une affirmation collective puissante : nous Catalans, nous sommes mieux armés pour faire face aux difficultés nées de la crise et de la mondialisation.

Mieux armés que qui ? Autres peuples effacés, autres populations divisées et assistées, partis politiques impuissants, corps intermédiaires contestés, institutions centrales dépassées...

En finir avec des alternances sans alternatives

Traduction concrète, la plateforme sécessionniste ne dit pas : « J'ai toute la solution », mais elle exprime un constat et des exigences concrètes. Langue, fiscalité, emplois, éducation, monnaie... Dans la crise, c'est l'expression d'un autre espoir, pas forcément une proposition alternative de système.

Il y a là une interpellation légitime : où se situent la souveraineté et la protection justes et efficaces ? Il faut en finir avec des alternances sans alternatives et la seule lecture technocratique dominante et continue.

L'identité est au cœur de ces mouvements et même chez la très performante et riche Allemagne. Cessons de nier cette réalité qui irrigue désormais tout débat.

Emmanuel Macron, les pays européens et l'Europe doivent offrir vision et espoir mais surtout des réponses concrètes et rapides entre apaisement économique et invention institutionnelle pour éviter la poursuite de la radicalisation politique. Sinon, l'Europe aura beaucoup de Catalogne à gérer.

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Par Jean Christophe Gallien

Professeur associé à l'Université de Paris 1-La Sorbonne
Directeur général de ZENON7 Public Affairs et Président de j c g a
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 23
à écrit le 10/10/2017 à 21:53
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Menteur

à écrit le 10/10/2017 à 12:59
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J'ai du mal à saisir le lien entre le catalanisme et ces différents types de sécessionnisme tels que vous lés décrivez TB au demeurant. Pour moi le peuple Catalan a une volonté historique légitime et qui va s'imposer tôt ou tard. Rajoy et sa clique ...

à écrit le 10/10/2017 à 12:28
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Ce qu'elle ne veut pas de la part d'un État , l'UE de Bruxelles, le souhaite d'une région!

le 10/10/2017 à 13:24
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Il y a un peu de ca cher Bref. Depuis plus de 15 ans l’UE et sa Commission pousse au régionalisme et tente de contourner les capitales.

à écrit le 10/10/2017 à 9:37
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Quand l'état central est trop inefficace, trop cher, trop omniprésent pour des résultats trop insignifiants, alors les gens se disent tout simplement que la situation ne serait pas pire en se débrouillant localement.. Nous ne sommes qu'au début de ce...

à écrit le 10/10/2017 à 8:55
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C'est bien comme cela que je voyais la contestation évoluer, localement, les médias de masse anesthésiant les peuples nationaux les grands mouvement nationaux n'existent plus, de toutes façons sous sarkozy nous avons été 5 millions à défiler sans que...

le 10/10/2017 à 11:01
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En 2005 : 55% des 69,34% des électeurs français qui ont participé. Par ailleurs je ne me souviens pas sous Sarkozy de manifestations multimillionnaires. A quelle occasion ? Quant au lien entre les velléités indépendantistes d'une forte minorité e...

le 10/10/2017 à 13:20
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Oui vite un #frexit et aidons tous nos amis et frères catalans à quitter le navire ibère au plus vite.

le 11/10/2017 à 19:18
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brunobd comme d'habitude vous trollez: "Retraites : 62 ans, trois millions de manifestants, 26 % de popularité pour Sarkozy" http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/10/29/retraites-62-ans-trois-millions-de-manifestants-26-de-popularite-pour-...

le 11/10/2017 à 20:04
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@citoyen : Enfin, 3 millions de manifestants selon les syndicats et 3 fois moins selon la police. Toutes les études indépendantes ont montré que les chiffres de la police étaient les bons, voire même légèrement surévalués. Quant aux 26% de Sarko à ce...

le 12/10/2017 à 9:05
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"Toutes les études indépendantes ont montré que les chiffres de la police étaient les bons," Ben écoutez puisqu'il y en a tant que ça il va vous être facile de nous montrer des liens de ces études soit disant "indépendantes", parce que question i...

le 12/10/2017 à 11:14
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"AH oui c'est vrai pour vous les élections sont la vérité": oui, et en tant que démocrate, j'en suis fier et je le revendique. Pour les manifs : https://blogs.mediapart.fr/mathilde-goanec/blog/130415/la-police-emporte-la-bataille-des-chiffres ht...

le 12/10/2017 à 13:18
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Comme d'habitude vous vous acharnez sur un élément de mon commentaire que vous avez ressorti et le développait jusqu'à la nausée, jusqu'à ce que l'on sorte complètement du sujet que j'ai abordé. Vous adorez anguler les mouches, vous en avez plein...

à écrit le 09/10/2017 à 23:35
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En résumé, plus un ensemble est artificiellement grand, plus il a de chance de se recomposer en sous ensemble bien plus petit et homogène. S'il fallait une démonstration de plus, l'EU (comme en son temps l'URSS) ne fonctionne pas, ça se fissure en s...

à écrit le 09/10/2017 à 22:27
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Il y a une raison bien plus terre-à-terre aux sécessionnismes, et en particulier au sécessionnisme catalan. La Catalogne est à la fois l'une des régions les plus riches d'Espagne, la plus endettée, et en plus elle est dirigée depuis des lustres par l...

le 10/10/2017 à 13:18
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Non la Catalogne est légitime dans sa demande de quitter un espace espagnol qui lui a infligé des blessures inoubliables et exerce aujourd'hui un racket inacceptable. L'Espagne corrompue est à Madrid !

le 11/10/2017 à 0:33
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L'immaturité de votre point de vue est flagrant ! L'Allemagne a aussi "infligé des blessures inoubliables et exerce aujourd'hui une *concurrence* inacceptable", mais justement l'UE, à son origine, a été crée pour dépasser cela, et aider à construi...

le 11/10/2017 à 15:00
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@GAGA : l'Espagne étant 100 fois plus décentralisée que la France, la Catalogne jouissait déjà d'une autonomie très large dans de nombreux domaines, notamment culture, éducation,.... Seule sa mauvaise gestion probablement mêlée d'une dose considérabl...

à écrit le 09/10/2017 à 21:14
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Si l'Europe pouvais abolir les pays et devenir une fédération de provinces ?

le 09/10/2017 à 23:42
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Ainsi, toute les provinces pas trop riche auront le plaisir de finir comme des Grecs (-30% de PIB, toute mortalité en hausse). L'abolition ici fera le plaisir des riches.... jusqu'à la révolte 2.0 (puisque la 1.0 semble être le régionalisme). B...

le 10/10/2017 à 9:34
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Ainsi, toute les provinces pas trop riche auront le plaisir de finir comme des Grecs (-30% de PIB, toute mortalité en hausse). Votre abolition fera le plaisir des riches, ... jusqu'à la révolte 2.0 (puisqu'il semblerait que la 1.0 soit le "Régiona...

le 10/10/2017 à 11:52
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Plus de 2H pour valider ma contribution, après avoir ignorer celle de cette nuit. Un problème technique, ou un point de vue qui dérange ??? Je fais pourtant le ctrl+F5

le 10/10/2017 à 13:16
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J'adore ! En finir avec ces vieilles nations !

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