Les « Big Pharma » sont-ils vraiment des ogres financiers ?

OPINION. Les géants de l'instruire pharmaceutique se distinguent par leurs marges mais leurs valorisations en bourse restent dans la moyenne des grandes entreprises cotées. La crise n'a pas changé la donne. Par Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School
(Crédits : Yves Herman)

Le marché mondial du médicament a atteint en 2020 presque 1 000 milliards d'euros dans le monde, enregistrant une croissance de 8 % par rapport à 2019. Tels sont les chiffres livrés par le LEEM (l'organisme professionnel des entreprises du médicament en France) dans un rapport paru en octobre 2021, qui souligne notamment que si les États-Unis demeurent le principal marché (46 %), l'Europe en représente (24 %).

Le secteur a enregistré d'importants mouvements de rapprochements au cours des dernières années, à l'image du rachat de l'américain Alexion par l'anglo-suédois AstraZeneca, fin 2020.

L'industrie pharmaceutique demeure cependant moins concentrée que d'autres secteurs, comme l'automobile ou la bière par exemple.

Toujours selon le LEEM, les cinq premiers groupes représenteraient 22 % du marché mondial. Une puissance qui a contribué à relancer les théories du complot autour des « Big Pharma » pendant la pandémie, accusés de s'organiser pour dégager des profits indus au détriment de la santé publique et du bien commun.

Compte tenu de ce contexte particulier, nous avons étudié la situation financière des dix plus grandes compagnies pharmaceutiques mondiales sur le critère du chiffre d'affaires du médicament sur prescription.

Ont été retenus cinq groupes américains (AbbVie, Bristol Meyers, Johnson & Johnson, Merck et Pfizer), deux suisses (Novartis et Roche), un britannique (GlaxoSmithKline), un français (Sanofi) et un japonais (Takeda).

Forte intensité de recherche et développement (R&D)

Le chiffre d'affaires généré par les ventes de médicaments sur prescription est majoritaire pour l'ensemble des entreprises voire quasi-exclusif pour certaines d'entre elles (AbbVie, Bristol Myers Squibb, Novartis, Takeda). Les autres développent des activités connexes : diagnostic, ventes de médicaments OTC (sans ordonnance), produits de soins de santé grand public comme la parapharmacie (Johnson & Johnson notamment), nutrition, etc.

_A lire aussi : notre série internationale sur le sujet

Les grandes entreprises du secteur dépensent également fortement en recherche et développement (de 13 à 25 % de leurs ventes de médicaments sur prescription selon les entreprises), ce qui démontre l'ampleur des investissements nécessaires à la création de nouvelles solutions thérapeutiques. En effet, l'ensemble des recherches ne sont pas couronnées de succès et des pistes prometteuses et coûteuses peuvent s'avérer sans issue.

Si l'on fait un focus sur le développement des vaccins, il apparaît, d'une part, que le marché est beaucoup plus concentré (Johnson&Johson, Pfizer, Merck, GSK et Sanofi représentent 80 % du marché), et d'autre part que les frais de R&D nécessaires représentent plus de 20 % du chiffre d'affaires. On note ainsi que

Pfizer et Johnson&Johnson, les deux producteurs de vaccins contre le Covid-19 au sein de notre échantillon, affichent des frais de R&D parmi les plus élevés (respectivement 22 et 25 % de leurs chiffres d'affaires respectifs).

ooo

On constate par ailleurs que le modèle qui consiste à racheter des start-up, souvent des « biotechs », ayant franchi les premiers stades avant l'autorisation de mise sur le marché pour ensuite achever ce processus et assurer la production et la distribution, ne dispense pas de dépenses de R&D importantes.

Fortes marges

L'un des éléments notables est que l'ensemble de ces entreprises dégage des marges d'exploitation importantes. Cet indicateur, ratio du bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA) par rapport au chiffre d'affaires, s'élève à 28 % pour Sanofi, et même à 48 % pour AbbVie. À titre de comparaison, les marges d'exploitation sont, en moyenne, à environ 18 % au sein des entreprises du S&P 500, l'indice boursier qui regroupe 500 grandes sociétés américaines, tous secteurs confondus. Notons en outre que la pandémie n'a pas conduit à un renforcement notable de leurs marges (en moyenne 36,11 % en 2020 contre 34,29 % en 2019).

000

Les grands groupes pharmaceutiques disposent donc d'une capacité à valoriser leurs investissements en recherche dans leurs prix de vente. Ceux-ci font pourtant l'objet de négociations intenses avec les organismes de sécurité sociale et les mutuelles. En effet, le prix doit permettre de faire face aux investissements en R&D d'un côté, et déboucher sur un véritable bénéfice thérapeutique additionnel de l'autre. Sachant par ailleurs qu'un nombre réduit de médicaments génère effectivement ces marges.

Du point de vue de la rentabilité, le tableau est moins idyllique car leur rentabilité économique (ROA, résultat net/total de l'actif) tout à fait satisfaisante n'est pas exceptionnelle, compte tenu des investissements nécessaires (de 2,1 % pour le japonais Takeda à 15 % pour le suisse Roche, pour une moyenne de 2,2 % pour les entreprises du S&P 500).

Leur rentabilité est également restée similaire à celle enregistrée avant la pandémie (en moyenne 6,82 % en 2020 contre 7,44 % en 2019). Cette situation ne diffère pas pour les deux producteurs de vaccins contre la Covid-19, Jonhson&Johnson et Pfizer.

000

Cette situation se traduit par un multiple EBIDTA (excédent brut d'exploitation) de valorisation qui n'apparaît pas excessif. Cet indicateur, qui rapporte la valeur de l'entreprise en bourse à l'EBIDTA et permet ainsi aux investisseurs de réaliser des comparaisons en termes de performance, varie en effet de 8,13 pour Takeda à 13,93 pour Johnson&Johnson, contre un ratio moyen pour les entreprises du S&P 500 de 16,45.

000

Les actions des grands laboratoires pharmaceutiques constituent donc de bons investissements pour leurs actionnaires, sans pour autant faire figure de mine d'or.

Certes, les grands groupes pharmaceutiques, les « Big Pharma » et leurs actionnaires ne sont pas à plaindre, loin de là. Cependant, l'analyse de leur situation financière ne permet de mettre en évidence aucun « scandale » ou « complot ».

Leurs performances financières dans cette période de pandémie sont plutôt le reflet d'un « business as usual ». En revanche, l'émergence d'une nouvelle technologie fondée sur l'ARN messager ouvre vraisemblablement des perspectives prometteuses. Le rachat de la biotech américaine Translate Bio par Sanofi pour 2,7 milliards d'euros en 2020, bien que le vaccin contre le Covid-19 ait été abandonné, en est l'illustration la plus tangible.

The Conversation _____

Par Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris - Sorbonne Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 15/12/2021 à 12:25
Signaler
Article peut-être orienté et peut-être assez peu rigoureux. La comparaison est faite par rapport au S&P (ensemble d'entreprises assez performantes, par définition), et non pas une comparaison sur ce qu'aurait été les pharmas sans la crise Covid. Surt...

le 15/12/2021 à 17:35
Signaler
C'est d'ailleurs peut-être pour ça que la valorisation en multiples versus la moyenne du S&P est faible : peut-être pas beaucoup de visibilité long-terme sur le business des bigs pharmas, malgré le sursaut économiquement salvateur lié au Covid ?

à écrit le 15/12/2021 à 10:11
Signaler
Avec 1000 dollars la seconde pour Pfizer ? Mais où est planqué le grisbi !? Ou alors ce sont vraiment de piètres gestionnaires ou un peu plus sûr ils dépensent un pognon de dingue en pots de vin ce qui avec la dictature sanitaire mondiale actuelle et...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.