Les sept plaies des JO de Rio (4/6)

L’allocation de l’argent à cet événement, au détriment des importants besoins du Brésil en termes d’infrastructures et de services sociaux, est véritablement au cœur de l’insatisfaction. Par Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)
L'armée brésilienne sécurisant le complexe olympique de tennis.

Tous les quatre ans, à la veille de l'ouverture des Jeux olympiques, c'est la même rengaine pour le pays organisateur. Que ce soit pour Athènes, Pékin ou Londres, les Cassandre sonnent toujours l'alerte. Mais il faut bien reconnaître que ces JO pourraient s'annoncer sous de meilleurs auspices.

Pourquoi ces Jeux sont-ils décriés ?

Quand l'aventure des JO de Rio a commencé en 2009, le Brésil connaissait un taux de croissance de 5,1 % (en 2008) et allait devenir en 2011 la sixième puissance mondiale. Peu de voix dissonantes s'étaient alors manifestées contre le choix de Rio comme ville organisatrice, le Brésil étant le premier pays sud-américain à accueillir les Jeux. Le soft power de ce nouveau BRICS était alors à son apogée, surpassant Tokyo et Madrid.

Mais sept ans plus tard, le contexte a bien changé. Depuis 2010, le PIB du Brésil est en chute constante, il est même entré dans une phase de récession fin 2014. Par ailleurs, le pays connaît l'une des plus grandes crises politiques de son histoire avec la destitution de Dilma Roussef en mai dernier.

Depuis le début de l'année, certains médias sont alarmistes et relatent de façon très précise comment l'organisation de ces Jeux a été jalonnée de problèmes et d'imprévus. Les critiques portent principalement sur les aspects organisationnels dans la mise en place des infrastructures, la question sanitaire, la question sécuritaire et les scandales de dopage. Qu'en est-il exactement ?

  • Sur les aspects organisationnels, les retards dans la construction des infrastructures ne sont pas plus importants que pour les autres villes organisatrices. Le vélodrome a finalement bien vu le jour malgré la banqueroute de l'entreprise constructrice. Certes, la nouvelle ligne de métro sera accessible de façon limitée, mais elle sera opérationnelle.

  • L'épidémie du virus Zika (apparue en 2014) est également une grande préoccupation de ces Jeux. Le ministre des Sports se veut rassurant à ce sujet en annonçant que des mesures préventives ont été prises et en s'appuyant sur le fait que ce n'est pas la saison des moustiques (puisque c'est l'hiver là-bas). Par ailleurs, en mai dernier, l'OMS a rejeté la demande qui avait été faite d'annuler les Jeux. Il n'y a finalement que quelques sportifs qui ont renoncé à venir pour cette raison (dont le champion de golf Jason Day).

  • Un des vrais enjeux reste la question sécuritaire. Les médias internationaux mettent en avant l'insécurité qui plane autour de ces Jeux en dénonçant le nombre d'attaques par armes à feu (plus de 70 depuis le début de l'année) ou de vols dans la ville. Si cette situation est préoccupante, elle n'est pas pour autant exacerbée par la présence des Jeux, car le Brésil - et Rio en particulier - sont la scène d'une violence chronique depuis de nombreuses années, malgré les opérations de pacification de certaines favelas en 2010. En outre, la Coupe du monde 2014 a été considérée comme un succès vis-à-vis de la protection des visiteurs.

    La nouveauté porte sur l'arrestation, jeudi dernier, de dix Brésiliens, dont certains avaient prêté allégeance à l'organisation État islamique, susceptible de fomenter un attentat terroriste. Dans le contexte actuel des attentats de Paris, de Bruxelles et de Nice, ces menaces sont bel et bien préoccupantes. En conséquence, les forces de police ont été renforcées par 35.000 hommes - soit un total d'environ 85.000 agents mobilisés. Néanmoins, les policiers sont en conflit avec l'État de Rio, car beaucoup d'entre eux (comme d'autres fonctionnaires) n'ont pas été payés depuis des mois - ce qui explique la campagne de manifestation « welcome to hell » (bienvenue en enfer) organisée à la sortie de l'aéroport le mois dernier.

  • Enfin, le 24 juin, le laboratoire de contrôle du dopage brésilien a été suspendu par l'Agence mondiale antidopage pour non-conformité avec les standards internationaux - avant d'être réhabilité un mois plus tard. La possibilité (bien qu'éphémère) d'exclure les athlètes russes des Jeux suite à la révélation de dopage généralisé ne participe pas non plus à améliorer cette atmosphère pesante.

Reste à savoir si ces problèmes toucheront les 500.000 touristes attendus. En 2014, année de la Coupe du monde de football, le pays avait attiré plus de 6,4 millions de personnes, dont plus d'un million pendant l'événement, soit 10% de plus que l'année précédente. Actuellement, il reste encore 1,7 million de billets à vendre sur les 6,1 millions (en comparaison, Londres avait vendu presque 11 des 11,3 millions de billets disponibles).

Les enjeux périphériques

Pour beaucoup de Brésiliens, ces Jeux contribuent à exacerber des tensions préexistantes. L'organisation successive de deux événements mondiaux représente un coût important pour cette économie en récession qui doit faire face à des mesures d'austérité. Si l'on veut voir la coupe à moitié pleine, le coût de ces JO - estimé selon les sources entre 11 et 13 milliards de dollars - est moins élevé que ceux de Londres (15 milliards) et de Pékin (45 milliards), suite à de fortes coupes budgétaires dans le budget opérationnel (moins 20 %). Mais la Coupe du monde de 2014 avait déjà coûté 15 milliards de dollars.

Par ailleurs, l'État de Rio a décrété un « état de calamité publique » et a vu ses finances renflouées par l'État fédéral. Cette mesure inédite a été prise par crainte du gouverneur par intérim de ne pouvoir financer les services publics et ces Jeux (un déficit de 5 milliards d'euros est prévu pour 2016).

Les Brésiliens sont massivement descendus dans les rues cette année pour manifester leur hostilité au gouvernement (avant la destitution de Dilma Rousseff), couplée à une inquiétude liée à l'économie. Mais l'organisation de la Coupe du monde avait été beaucoup plus critiquée que ne l'est actuellement la préparation des Jeux. Néanmoins, c'est une population fatiguée de la récession et lassée de ses élites qui va assister à cet événement - le nouveau gouvernement de Michel Temer ayant déjà vu trois de ses ministres contraints de démissionner suite au scandale de l'affaire Petrobras.

Des manifestants pro (à gauche) et anti (à droite) Dilma Rousseff rassemblés devant le Congrès national pour assister au vote de destitution, le 17 avril 2016. Juca Varella/Agência Brasil

Bien au-delà des dépenses et du marasme politique transparaît une nouvelle fois l'insatisfaction d'une grande partie de la population, qui est exclue du cœur de l'événement et n'en tirera certainement aucun bénéfice. Le Brésil compte encore, comme tous les pays organisateurs jusqu'alors, sur l'impact positif des Jeux sur l'économie. Pourtant, deux études américaine et anglaise montrent qu'il s'agit d'un mythe bien ancré, puisque dans la très grande majorité des cas, les Jeux coûtent plus qu'ils ne rapportent. En outre, le pays connaît de fortes inégalités territoriales que ces deux événements sportifs amplifient :

  • Au niveau national, la région du Sudeste (qui compte Rio et São Paolo) concentre les richesses, pesant environ 75 % du PIB et 50 % de la population.

  • Le Nordeste est la région du Brésil où la pauvreté affecte la proportion de population la plus importante. Même si quatre de ses villes avaient accueilli la Coupe du monde, les ressentiments séculaires de la périphérie vers son centre économique - et pendant longtemps politique - feront aussi partie de l'ambiance générale des JO.

  • Par ailleurs, au niveau local, les principales infrastructures des Jeux ont été construites dans le district de Barra da Tijuca, l'un des quartiers les plus favorisés de la ville, renforçant davantage les inégalités criantes - certains chercheurs parlent même d'un phénomène d'« accumulation par dépossession ».

L'allocation de l'argent à cet événement, au détriment des importants besoins du Brésil en termes d'infrastructures et de services sociaux, est donc véritablement au cœur de l'insatisfaction.

La question est désormais de savoir quel héritage les Brésiliens, et notamment les habitants de Rio, vont obtenir de ces Jeux. Le premier bilan de la Coupe du monde 2014 est en train d'être établi : outre de nombreux « éléphants blancs » (les coûteux bâtiments construits et qui ne serviront plus, comme probablement le stade de Manaus dans la région amazonienne), très peu d'infrastructures (mis à part quelques aéroports) bénéficieront à la population.

Les JO, en eux-mêmes, ne seront sans doute pas en demi-teinte. Comme en France avec l'Euro de football, il s'agira certainement d'un événement heureux dont le pays a bien besoin. Il ne reste plus qu'à souhaiter que Rio suive l'exemple de Londres et non celui d'Athènes... Ce qui, pour l'instant, n'en prend pas le chemin.

The Conversation_____

 Par Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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