Les tourments de la BCE dans le monde Covid 2.0

OPINION. La politique monétaire anti-Covid est en train de devenir une politique de lutte contre l'inflation et de moins en moins une politique de lutte contre le chômage. Plusieurs banques centrales à travers le monde ont remonté leurs taux ou ont annoncé le faire prochainement. La BCE, elle, temporise, se trouvant devant plusieurs dilemmes. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

L'inflation est devenue la première cause de préoccupation des Américains, citoyens, gouvernement et Banque centrale compris. Après un sixième mois au-dessus de 5% (6,8% en novembre 2021), la Fed a enfin explicitement admis que l'inflation était plus forte que prévu, et allait durer longtemps, et elle se met en ordre de bataille pour lutter contre. Cela suit l'engagement de Joe Biden de tout faire contre l'inflation et la chute du moral des ménages citant l'inflation comme cause première de leurs préoccupations. La Fed a donc décidé de fermer le robinet monétaire en mars, et non plus en juin, et se prépare à 3 augmentations de taux d'intérêt en 2022.

L'exception de la Banque nationale du Japon

Une bonne partie des Banques centrales de la planète sont déjà passées en mode Covid 2.0. La Banque d'Angleterre a augmenté son taux de 0,01% à 0,25% jeudi 16 décembre et la Banque centrale de Norvège de 0,25% à 0,5%. La Banque centrale russe a augmenté son taux d'intérêt pour la septième fois vendredi dernier à 4,5%. Les Banques centrales du Mexique, du Chili, du Costa-Rica, du Pakistan, de la Hongrie et de l'Arménie ont également annoncé des hausses de taux la semaine dernière, et beaucoup d'autres annonces sont à venir. La seule exception notable est la Banque nationale du Japon, où même le Covid n'a pas pu déloger l'anticipation de déflation.

Cette prise de position des Banques centrales signifie que le Covid et son nouveau variant Omicron ne sont plus vus comme des fauteurs de ralentissement économique et de chômage mais comme des fauteurs d'inflation dans une économie Covid 2.0. En effet, la vaccination massive, le télétravail, l'e-commerce ainsi que le retour de la croissance et la forte baisse du chômage ont fait basculer les économies occidentales dans une période où le Covid fait partie du paysage comme la grippe saisonnière. Il est cause de variations conjoncturelles mais n'est plus du tout le démon destructeur qu'il a pu être. Il affecte notamment l'offre de biens via les fermetures d'usines, les problèmes de logistique et les multiples pénuries, c'est-à-dire qu'il pèse sur les coûts à la production. La politique monétaire anti-Covid devient alors essentiellement une politique de lutte contre l'inflation et de moins en moins une politique de lutte contre le chômage via le soutien de la croissance par le soutien à la demande globale.

En Europe, la production n'est pas revenue à son niveau pré-Covid

Le contexte économique dans lequel la Banque centrale européenne (BCE) doit prendre sa décision de politique monétaire est plus problématique. D'un côté, l'inflation frappe la zone euro comme les autres zones (4,9% en novembre dans la zone euro, 5,2% en Allemagne) mais, d'un autre côté, le niveau de production pré-Covid n'a pas encore été atteint. Une fragmentation financière est de plus en plus présente et structurante séparant les « pays du Nord » jouant le rôle des fourmis avec les « pays du Sud » dans le rôle des « cigales ».

La décision prise la semaine dernière par la BCE de mettre fin à son programme spécial de 1.850 milliards d'euros d'achat de titres au nom de la lutte contre la crise du Covid est plutôt une non-décision puisqu'il s'agit du non-renouvellement d'un programme qui devait se terminer en mars 2022. En apparence, cela va dans le sens général de resserrement des politiques monétaires mais, en même temps, la BCE va poursuivre un ancien programme d'achat de titres de l'époque Draghi et a prévenu qu'elle était prête à relancer ses achats si besoin était. En cumulé, les achats de titres actuellement de 80 à 120 milliards par mois vont diminuer à 40 milliards en avril 2022 puis à 20 milliards en octobre 2022. Par ailleurs, la BCE s'engage à réinvestir les fonds obtenus lorsque les obligations qu'elle détient arriveront à maturité ce qui permettra au bilan de la BCE de continuer à augmenter.

Cette politique d'achat d'actifs a maintenu à un niveau très faible les taux d'intérêt sur les obligations d'État à 10 ans et plus, et, par effet de portefeuille, sur d'autres actifs. Pour la BCE, cela a permis de soutenir l'investissement pendant la crise du Covid. Le prix à payer pour ce soutien a été de nourrir une forte inflation des actifs financiers, en passant par les SPAC, les crypto monnaies, l'immobilier et les bonnes vieilles actions. L'assèchement graduel à venir de la liquidité comporte le risque de faire éclater plus d'une de ces bulles spéculatives.

Le risque de la fragmentation financière au niveau de l'endettement public

Le plus grand risque nous semble être la fragmentation financière, notamment au niveau de l'endettement public. La politique monétaire de la BCE a permis à plusieurs pays de financer leurs déficits faramineux pendant la crise en plaçant, indirectement, leur dette auprès de la Banque centrale. C'est à cette fin que la BCE avait largement dégradé ses critères prudentiels d'achat de dettes en mars 2020, ce qui avait suscité l'ire de la Cour Constitutionnelle allemande.

A ce jour, les situations de la Grèce et de l'Italie sont particulièrement précaires. Il n'est donc pas étonnant de voir l'insistance de leurs dirigeants pour la mise en place de programmes d'aides d'urgence avec la fonction de « coupe circuit » en cas de fuite des investisseurs. Un programme de cette nature existe déjà dans l'arsenal de la BCE. Il s'agit de l'OMT : Opérations Monétaires sur Titres, mais il ne fait pas l'unanimité. En effet, il comporte une « conditionnalité » - le pays bénéficiaire doit s'engager à stabiliser les dépenses publiques et la trajectoire de sa dette, conditionnalité que rejettent catégoriquement les pays du Sud.

Actuellement, Christine Lagarde refuse toute hausse de taux d'intérêt en 2022. Il nous semble que l'essentiel ne se réduit pas à augmenter ou non le taux d'intérêt. La décision la plus importante sera la nature du soutien à apporter à un pays qui commencera à avoir du mal à emprunter et la façon avec laquelle la BCE pourra continuer à apporter sa garantie de préteur en dernier ressort lorsque l'inflation dépasse sa cible de 2%. La revue stratégique interne menée par la BCE et achevée en 2021 a abordé des questions captivantes comme le rôle de la BCE dans la prévention du changement climatique. Pour peser sur celui-ci encore faudra-t-il que l'euro existe encore dans 5 ans face au risque de fragmentation de la zone euro, et la BCE également.

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Commentaires 3
à écrit le 27/12/2021 à 16:10
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il se trouve que le mandat de la bce n'est pas de s'occuper du chomage, mais bien de stabiliser les anticipations d'inflation pour permettre aux gens de faire des choix 'eclaires' ' ( on a appris en macroeconomie/econometrie que seule l'inflation non...

à écrit le 27/12/2021 à 11:29
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Résumons-nous : a) en achetant des obligations à tours de bras, les banques centrales tirent les cours vers le haut et donc les rendements vers le bas. Elles manipulent les taux à long terme, lesquels sont en principe déterminés par le marché : cette...

à écrit le 27/12/2021 à 11:17
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Article très intéressant qui annonce la chute de l'euro en 5 ans ce qui est loin d'être inenvisageable tellement les positions des pays de l'UE sont divergentes les unes des autres, le pays les plus riches ne veulent pas changer et les pays les plus ...

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