Quand les fusions acquisitions ne peuvent plus échapper à l'œil du gendarme de la concurrence

OPINION. A l'échelle de l'Union européenne, certaines opérations de rapprochement d'entreprises passaient sous le radar de la Commission, en raison du seuil des chiffres d'affaires. Mais grâce à une lecture innovante d'un texte du règlement, Bruxelles a étendu son contrôle sur ces concentrations. Par Anne Pratx, consultante en concurrence et régulation chez Altermind.
Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence.
Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence. (Crédits : Reuters)

Les opérations de rapprochement entre entreprises, dites de « concentration », peuvent faire l'objet d'un contrôle par la Commission européenne ou d'une autorité nationale de concurrence. Seules les opérations impliquant des entreprises avec des chiffres d'affaires suffisamment importants sont concernés par ce contrôle.

Des opérations peuvent donc échapper au contrôle de la Commission, l'exemple le plus connu étant l'opération Facebook/Whatsapp (2014) qui avait initialement échappé au contrôle de la Commission compte tenu du chiffre d'affaires limité de Whatsapp en Europe. Si la Commission avait finalement pu instruire le cas grâce à un mécanisme de renvoi prévu par le règlement, les limites imposées par les seuils sont un irritant récurrent pour les autorités.

Mobilisation du droit au maximum de ses possibilités

Comment contrôler en dehors des frontières de son pouvoir ? La Commission parait avoir tranché le nœud gordien : elle a pour cela mobilisé le droit au maximum de ses possibilités, en proposant une lecture innovante de l'article 22 du règlement de 2004 qui régit en droit européen le contrôle des concentrations. Cet article permet aux autorités nationales de renvoyer à la Commission toute opération qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d'affecter la concurrence sur le territoire de l'Etat qui en fait la demande. En accord avec la Commission, les pays dotés d'un contrôle des concentrations ne l'utilisaient jusque-là que pour renvoyer vers elle des opérations contrôlables au niveau national, les opérations non contrôlables au niveau national étant considérées comme peu susceptible d'avoir un impact sur le marché intérieur. En mars 2021, la Commission a, dans un revirement de pratique significatif, changé sa pratique et choisi de considérer que l'article 22 pouvait être utilisé désormais par un Etat membre pour renvoyer toute opération à la Commission, qu'elle soit contrôlable ou non par cet Etat.

Elle a publié en ce sens des lignes directrices en mars 2021 et a procédé à une première mise en œuvre avec l'opération Illumina/Grail. Le rapprochement des deux entreprises de biotechnologie n'était contrôlable ni par la Commission ni par la France. Elle a toutefois fait l'objet d'une demande française de renvoi, demande à laquelle se sont joints plusieurs autres pays. La Commission a accepté le renvoi et donc le principe d'une instruction par ses soins de l'opération en avril 2021.

Les deux entreprises ont formé un recours - logique et légitime - contre la décision de la Commission, ce qui a conduit la Cour de Justice de l'Union à se prononcer sur cette nouvelle interprétation de l'article et sur sa mise en œuvre. Dans son arrêt, la Cour a considéré que rien dans la lettre de l'article 22 ne limite son application aux seules opérations contrôlables au niveau national et que si les pouvoirs de la Commission en la matière sont largement définis par des seuils en chiffre d'affaires, ils n'y sont pas limités.

La réforme des seuils de contrôle évitée

Grâce à cette nouvelle interprétation d'un règlement vieux de 18 ans, la Commission parvient donc à étendre ses pouvoirs de contrôle à droit constant, évitant ainsi de longues discussions sur la pertinence d'une réforme des seuils de contrôle ou de l'introduction d'un contrôle ex post.

Comment est-ce que les entreprises vont faire face à l'incertitude liée à cette nouvelle possibilité de contrôle ? Les lignes directrices évoquent la possibilité pour ces dernières de se rapprocher de la Commission qui pourra fournir « une indication préalable sur le fait qu'elle ne considère pas leur concentration comme un bon candidat à un renvoi au titre de l'article 22 ». Cette possibilité, si elle venait à être largement exploitée, pourrait se traduire par une charge supplémentaire significative pour la Commission, ce qui vérifierait une fois de plus cet adage largement popularisé par les comics américains : « A grands pouvoirs, grandes responsabilités ».

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Commentaire 1
à écrit le 27/08/2022 à 13:04
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Bonjour, Ils y a bien longtemps que l'ons devrais surveiller les fission et acquisitions des multinationales sur les bourses européennes... Histoire de protéger les intérêts des entreprises étatique, des entreprises européennes et l'intérêt des eu...

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