Tous keynésiens !

Traditionnellement favorables à des politiques de rigueur, les grandes organisations internationales - le FMI et plus récemment l'OCDE - préconisent désormais des relances budgétaires en Europe. Une re-conversion au keynésianisme, tout juste 80 ans après la publication de la Théorie générale. Mais le FMI comme l'OCDE ne disent pas comment en convaincre les Allemands...
Ivan Best
3,7 % du PIB en 2015, c'est l'excédent record de la balance des échanges extérieurs courants des 19 pays de la zone euro.

Du FMI à l'OCDE - ces organisations internationales peu suspectes de gauchisme, et qui ont longtemps prôné la baisse des dépenses publiques -, le discours est désormais identique : pour sortir les pays industriels - l'Europe, avant tout -du marasme, une relance budgétaire est nécessaire. Vive la politique budgétaire ! crient les économistes, en choeur. Cette conversion au keynésianisme, tout juste 80 ans après la publication de la Théorie générale, oeuvre majeure du maître de Cambridge, prend la forme d'un mea culpa,  et vient d'un constat d'évidence : même si le mot reprise revient depuis des mois dans le discours gouvernemental, notamment en France, l'économie européenne n'émerge pas des basses eaux conjoncturelles. Après une récession aussi violente que celle de 2008-2009, des forces de rappel auraient dû jouer, la croissance était censée repartir franchement, permettant d'effacer la perte d'activité. Il n'en a rien été. Une croissance d'un peu plus de 1%, à laquelle la zone euro parvient péniblement, ne permet pas de résoudre la question de l'emploi. Et les armes habituelles de politique économique, généralement mises en avant, sont singulièrement émoussées.

La politique monétaire ? Elle montre ses limites. La Banque centrale européenne (BCE) s'acharne à faire remonter la hausse des prix dans la zone euro, vers sa cible de 2% l'an, mais n'y parvient pas. En février, les prix dans la zone euro se sont même inscrits en baisse (-0,2%) sur douze mois. La chute de l'euro provoquée par la politique d'assouplissement monétaire (quantitative easing) aurait dû entraîner une inflation importée - puisque, mécaniquement, les prix des produits importés étaient censés augmenter -, mais nul ne la voit dans les statistiques. Et, en dépit des nombreuses incitations mises en place, le crédit bancaire ne repart pas vraiment.

Il est vrai que la politique monétaire est a priori un jeu à somme nulle. Quand les taux d'intérêt baissent, les emprunteurs voient bien sûr leurs charges financières diminuer, mais les prêteurs constatent à l'inverse une érosion de leurs ressources. C'est le cas des banques : les mesures coercitives de la BCE (taux d'intérêt négatifs), destinées à doper les prêts à l'économie, pourraient paradoxalement les conduire à relever leurs taux d'intérêt. La zone euro s'enfonce donc dans la léthargie, caractérisée par une croissance molle et des prix plutôt orientés à la baisse, faisant craindre un processus déflationniste. Un contexte dans lequel les fameuses réformes structurelles, que l'OCDE défend de longue date, sont difficiles à mettre en oeuvre, admettent les experts de l'organisation internationale.

Une relance centrée sur l'investissement

Comment en sortir ? Par la relance budgétaire, clament les organisations internationales, qui constatent les hoquets d'une reprise ne parvenant pas à s'installer, et l'existence de conditions financières particulièrement favorables. Si le PIB a retrouvé ou dépassé son niveau d'avant crise, selon les pays, l'investissement reste largement en dessous. Notamment celui du secteur public. Or la faiblesse actuelle des taux d'intérêt rend pleinement rentables de nombreux projets d'investissement qui ne l'étaient pas auparavant, souligne l'OCDE. Pourquoi ne pas profiter d'un loyer de l'argent au plancher pour investir ?

Les 19 pays de la zone euro en ont globalement les moyens, affichant un excédent record de leur balance des échanges extérieurs courants (3,7% du PIB en 2015). Cet excédent extérieur signifie que la zone euro produit plus qu'elle ne consomme, et ce à hauteur de 3,7% de la richesse produite. Et qu'elle prête cet excédent au reste du monde, alors que les besoins d'investissement existent bien sûr à travers l'Europe. Comment interpréter ce chiffre ? C'est comme si un ménage dont le logement a besoin de travaux, et dont la voiture montre des signes de fatigue, décidait tout de même de ne pas investir et de prêter à ses voisins la part de ses revenus non consommée. Une telle attitude aurait de quoi provoquer l'incrédulité. C'est pourtant celle des pays de la zone euro, considérés collectivement.

Bien sûr, l'Europe n'est pas fédérale. Certains pays n'ont pas vraiment les moyens. La France, par exemple, ne dégage pas d'épargne, si on la considère globalement - pas seulement les ménages qui épargnent effectivement. Sa balance courante est - légèrement - déficitaire. Autrement dit, le total de l'investissement et de la consommation dépasse en France le niveau de la production. En revanche, l'Italie et l'Espagne affichent une balance courante excédentaire. Et surtout l'Allemagne, dont l'excédent de la balance courante a frôlé les 9% du PIB en 2015. Un chiffre astronomique, qui témoigne des marges de manoeuvre allemandes. Ces 9% de PIB épargnés en 2015, l'Allemagne les a globalement prêtés au reste du monde.

L'impulsion ne peut venir que du secteur public

Compte tenu de l'attentisme des entreprises, l'impulsion ne peut venir que du secteur public. Or, si un État a les moyens d'une politique budgétaire de relance, c'est bien l'État allemand, avec son budget en excédent. Au prix d'une dégradation de son déficit ? Les Allemands ne veulent pas en entendre parler. Le ministre des Finances Wolfgang Schäuble va en répétant que les relances budgétaires « ont perdu de leur efficacité » et que les gouvernements ne doivent pas se détourner des « véritables tâches », à savoir les réformes structurelles.

Cet avis n'est pas isolé. Outre-Rhin, tous les économistes « mainstream » ont en mémoire la relance ratée pratiquée au cours des années 1970. Les Allemands peuvent faire valoir que l'Europe est en croissance. Même si celle-ci est plutôt molle, même si la déflation menace. Ils jugent la situation satisfaisante.

Certes, la politique budgétaire n'est plus restrictive aujourd'hui. Rien à voir avec la période 2011-2013, quand la réduction à marche forcée des déficits publics a amputé la croissance de la zone euro de 3,88 points, selon des calculs récents de la direction générale du Trésor. En 2014, les déficits ont été beaucoup moins réduits. Et, depuis 2015, les budgets, considérés globalement, n'ont plus d'effets négatifs sur la croissance, puisque les déficits augmentent à nouveau, en termes structurels, corrigés de la conjoncture. Mais de là à parler de politique de relance... cette hausse des déficits structurels est trop modeste (+0,1 point de PIB en 2015, +0,2 point en 2016, selon Natixis) pour avoir un effet positif sur les économies.

« Mobiliser l'argent disponible au bon niveau »

La France, l'Italie, l'Espagne... pourraient-elles suppléer l'absence de volonté allemande de soutenir la croissance ? Un pays ne peut se lancer seul, et sans l'Allemagne... alors qu'une relance coordonnée en Europe aurait un effet positif sur la croissance, et donc sur les rentrées fiscales.

C'est tout le sens de la révolution keynésienne : si les coupes dans les budgets ont une efficacité toute relative - en termes de réduction du déficit, puisqu'elles aboutissent à amputer la croissance des économies, contribuant du même coup à augmenter les dépenses sociales (chômage) et à faire baisser les recettes fiscales -, les effets positifs d'une relance réussie par le déficit budgétaire peuvent aboutir in fine à la résorption de ce déficit. Quand l'agence Moody's souligne le « trop de dette » de certains pays européens en regard de la croissance, les keynésiens ont une réponse paradoxale, mais qu'ils sont en mesure de défendre : en investissant - donc en s'endettant - de manière intelligente, l'Europe pourrait relancer vraiment sa machine économique, et donc réduire in fine le poids de sa dette.

Même Emmanuel Macron le préconise :

« Aujourd'hui, il y a besoin de politiques plus keynésiennes en Europe. Mais il ne faut surtout pas faire cette relance au niveau des pays, en particulier d'un pays comme la France » a-t-il déclaré lors des matinales FNTP-La Tribune.

« Avec mon collègue Sigmar Gabriel, nous avons proposé de créer un budget zone euro d'investissement et de stabilisation, avec une capacité d'emprunt au niveau de la zone euro, ce qu'elle ne fait pas », a ajouté le ministre de l'Économie.

« Nous avons un besoin d'infrastructures, mais il faut mobiliser l'argent disponible au bon niveau : la zone euro pour les financements publics, par un emprunt fédéral, et le secteur privé pour exercer un levier. C'est la seule réponse possible pour sortir d'une crise qui nous a conduits à créer un environnement économique déflationniste », a-t-il enfin considéré.

Ivan Best

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Commentaire 1
à écrit le 30/03/2016 à 17:31
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Sauf que seuls les États-Unis peuvent se permettre de dépenser sans compter, puisqu'il leur suffit d'imprimer de la monnaie de singe. La doctrine keynésienne repose aussi sur le fait que l'inflation, la croissance économique et les hausses de taxes e...

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