Cession de fonds de commerce et covid-19 : les avocats obligés d’innover

On sait que les mesures gouvernementales pour endiguer la pandémie de coronavirus (couvre- feu, confinement, etc..) frappent en premier lieu les commerçants et restaurateurs, obligés de restreindre leurs horaires d’ouverture, voire de fermer complètement depuis plusieurs mois.
(Crédits : DR)

Ces restrictions ont évidemment un impact majeur sur le chiffre d'affaires des commerces et restaurants, pour lesquels l'exercice de l'année 2020 est considérablement affecté (ce qui risque malheureusement d'être encore le cas en 2021).

Quand on sait que l'estimation d'un de fonds de commerce est essentiellement fondée sur son chiffre d'affaires et son résultat d'exploitation (EBE), la crise sanitaire ne peut qu'affecter de façon considérable le marché des cessions de fonds de commerce.

Le marché de l'immobilier commercial professionnel souffre ainsi de plusieurs chefs :

  • Les cédants hésitent à céder leurs entreprises, en ayant peur de devoir les brader dans un contexte économique compliqué ;
  • Les acquéreurs éventuels se montrent particulièrement exigeants dans les négociations, et attendent également les opportunités de rachat d'entreprises à la barre du tribunal (liquidation et redressement judiciaire) ;
  • Les agents immobiliers sont régulièrement empêchés de pouvoir travailler avec le confinement, ce qui ralentit leur activité ;
  • Enfin, le montant des loyers commerciaux négociés avant la crise sanitaire paraît souvent excessif, ce qui rend encore plus difficile pour les vendeurs la possibilité de trouver des acquéreurs.

Dans un tel contexte, les avocats spécialisés en cession de fonds de commerce sont obligés d'innover lorsqu'ils interviennent sur des transactions.

Il faut trouver des solutions nouvelles pour estimer les fonds de commerce, gérer l'imprévision et la force majeure sur un plan contractuel, et pour permettre aux signatures de se faire dans des conditions sanitaires sécurisantes.

L'estimation des fonds de commerce : défi actuel et à venir

Première étape avant de pouvoir céder son entreprise : trouver un acquéreur et négocier le prix.

Traditionnellement, l'estimation d'un fonds de commerce est réalisée grâce à un pourcentage appliqué sur le chiffre d'affaires. Il existe des barèmes, variables en fonction de l'activité considérée (restaurant, pharmacie, boulangerie, etc.). Les plus connus sont ceux des éditions Francis Lefebvre et du BODACC.

Évidemment, ces barèmes ont moins de sens dans le contexte actuel : le chiffre d'affaires des commerces en 2020 ne reflète ni l'activité réelle ni les capacités à venir : qui peut prédire l'activité après la crise ? Quelles seront les conséquences à moyen et long terme ? Surtout, quand les restrictions pendront-elles fin ?

Dans ce contexte, l'estimation des fonds de commerce constitue un défi important.

La plupart des praticiens s'accordent à considérer que ce n'est pas tant la méthode de valorisation que l'on doit changer, mais plutôt les termes de référence à prendre en compte. Il sera évidemment nécessaire de procéder à une pondération des exercices antérieurs, mais également des projections sur les perspectives à venir.

Sur les barèmes, la valorisation peut être effectuée à partir de multiples décotés - tenant compte de la faible liquidité du marché et de perspectives économiques moins favorables. Cette approche aura essentiellement vocation à s'appliquer pour les valorisations sur la base du chiffre d'affaires.

Sur les valorisations financières, il faudra tenir compte des perspectives de reprise, qui diffèrent évidemment selon le secteur d'activité.

Sur ce point, la réouverture des restaurants l'été dernier est très révélatrice de la diversité des cas : on a vu des affaires repartir immédiatement à plein régime (par exemple certains restaurants parisiens ayant bénéficié d'extension temporaire de leurs terrasses) et d'autres ne bénéficier d'aucune reprise (ceux situés dans les quartiers touristiques, comme à Montmartre, qui continuaient à souffrir de l'absence de touristes étrangers).

Les clubs et discothèques ont été maintenus fermés et pour les hôtels, on sait que la grande majorité ne pourra pas connaître de reprise d'activité avant le retour des touristes étrangers en France, peut-être pas avant 2022.

L'estimation du droit au bail : les risques d'un bouleversement du marché locatif

Face à l'incertitude des indicateurs économiques, il sera essentiel de pondérer l'estimation financière des fonds de commerce par d'autres indicateurs, comme la valeur du droit au bail.

Toutefois, d'autres difficultés surgiront: il est évident que les valeurs locatives subiront des bouleversements similaires à ceux subis par le marché des cessions de fonds de commerce.

Selon les quartiers, le loyer des baux commerciaux négociés avant la crise n'a plus aucun sens.

Que l'on songe par exemple aux quartiers d'affaires (comme La Défense). Ces secteurs sont aujourd'hui désertés avec le télétravail. Or toutes les études montrent que cette tendance devrait durer. Selon toute vraisemblance, ces quartiers d'affaires ne connaîtront plus à l'avenir les mêmes fréquentations que par le passé, ce qui aura nécessairement un impact sur les valeurs locatives des commerces et restaurants qui s'y trouvent.

La même réflexion peut être faite concernant l'hôtellerie et les commerces des quartiers touristiques : même avec l'arrivée du vaccin, il est vraisemblable que l'activité touristique que l'on connaissait avant la crise mette plusieurs années à revenir, impactant nécessairement la valeur locative des établissements concernés.

La crise change également nos modes de consommation : le développement de la vente à emporter, notamment pour les restaurants, encourage l'essor des dark kitchen (établissements ne procédant qu'à de la vente à emporter en ligne, sans salle de réception du public). Ces nouveaux établissements digitalisés feront nécessairement concurrence aux restaurants classiques, comme Amazon fait aujourd'hui concurrence aux commerces traditionnels pour les produits de consommation courante.

Cela pourrait entraîner des fermetures importantes de boutiques physiques, une vacance locative des locaux commerciaux, et donc, mécaniquement, une baisse des valeurs locatives.

Quand on sait que la détermination du droit au bail est essentiellement fondée sur le montant du loyer, ce facteur lui-même sera difficile à prendre à compte pour apprécier la valeur d'un fonds de commerce après la crise.

La prise en compte de l'imprévision et de la force majeure dans les promesses de cession de fonds de commerce

Le problème s'est posé dès le lendemain du premier confinement : avec la panique suscitée par la crise, les acquéreurs engagés par des promesses de cessions de fonds de commerce ont souvent cherché à se désengager, ou bien à renégocier le prix de cession des fonds à la baisse.

Dans la grande majorité des cas, les acheteurs ont cherché à invoquer le changement de circonstances économiques, l'imprévision (article 1195 du Code civil) et la force majeure (1218 du Code civil). De nombreux procès sont en cours, et nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour connaître la position des tribunaux à ce sujet.

Il n'en reste pas moins que les praticiens et avocats ont dû s'adapter. Aujourd'hui, lorsque les parties s'engagent dans une promesse de cession, elles s'interrogent nécessairement sur le traitement des risques liés au covid-19 : que faire en cas de retour à un énième confinement avant la signature de l'acte définitif de vente ?

Pour éviter une trop grande instabilité contractuelle, et que les acheteurs ne se rétractent après la signature du compromis de vente, on conseille généralement de prévoir dans le contrat une renonciation de l'acheteur à invoquer la crise du covid-19 ou le confinement comme constituant un cas de force majeure (aujourd'hui, le confinement n'est d'ailleurs plus un évènement « imprévisible »).

Pour ménager les intérêts de l'acquéreur, on peut parallèlement prévoir une clause indiquant que la vente définitive n'aura lieu qu'à l'issue d'un éventuel reconfinement, à une date d'ouverture effective de l'établissement.

C'est une manière équilibrée de concilier l'intérêt des parties : d'un côté, aux termes de la promesse, le vendeur sera certain de vendre en dépit de nouvelles mesures gouvernementales ; d'un autre côté, l'acquéreur sera certain d'acheter à une date où l'établissement est ouvert.

Pallier aux difficultés d'obtention du financement bancaire : crédit-vendeur et location-gérance de fonds de commerce

Une des difficultés soulevées par le contexte actuel est celle de l'obtention du financement bancaire. Ces derniers mois, avec les PGE (prêts garantis par l'État) les banques ont massivement prêté aux exploitants.

Il est difficile de savoir si elles continueront à prêter aux candidats à l'acquisition de fonds de commerce comme par le passé. Les acteurs du marché devront donc s'adapter, et là encore, les praticiens devront innover.

Pour éviter les abus et que les acquéreurs ne tirent prétexte de la difficulté d'obtenir un crédit pour se rétracter, il faudra encadrer strictement les clauses suspensives liées au financement : indiquer précisément le montant emprunté (en déclarant l'apport de l'acquéreur) ; la durée et le taux d'emprunt (en vérifiant son adéquation avec le marché bancaire).

Plus encore que par le passé, il faudra obliger les acquéreurs à consulter plusieurs banques pour demander leur crédit (sans faire confiance à leur banquier historique). On recommande même d'obliger l'acquéreur, dans le contrat, à recourir aux services d'un courtier professionnel, pour maximiser ses chances d'obtenir un crédit dans le contexte actuel.

Face à la frilosité des banques, on pourra également privilégier les mécanismes de crédit-vendeur, aux termes desquels c'est le cédant qui finance partiellement l'acquisition du cessionnaire. Le mécanisme devrait connaître un essor important dans les mois et années à venir.

Enfin, dans les cas où il serait impossible pour l'acquéreur d'obtenir un crédit faute d'apport suffisant, on peut imaginer mettre en place une location-gérance plutôt qu'une vente du fonds de commerce : cela permettra à l'acquéreur d'exploiter immédiatement le fonds, et de se constituer un apport suffisant pour envisager une acquisition définitive après un ou deux ans.

La location-gérance paraît également une solution intéressante dans le contexte actuel pour les exploitants désireux de se dégager rapidement de leur affaire, sans prendre le risque de la vendre à un prix bradé pendant la crise : louer maintenant le fonds de commerce pour finalement le vendre plus tard, dans un ou deux ans, quand la crise sera derrière.

Moderniser les actes de vente : signature électronique et visioconférence

Si les praticiens doivent se moderniser sur le fonds (réinventer la valorisation des fonds de commerce, pallier à l'imprévision, faire face aux difficultés d'emprunt avec des alternatives contractuelles...) ils devront également se moderniser sur la forme.

Encore une fois, le premier confinement a ouvert la voie, surtout lorsque les déplacements étaient sévèrement contrôlés : comment continuer l'activité économique et signer les actes de vente à distance ?

Sur ce point, les nouvelles technologies connaissent un développement accéléré.

En matière de cession de fonds de commerce, les praticiens ont de plus en plus recours à la signature électronique. Le système était déjà pratiqué par les notaires, beaucoup moins par les avocats. Pour ces derniers, le Conseil National des Barreaux avait mis en place avant la crise sanitaire un système de signature électronique spécifique : l'Acte d'Avocat électronique (Aae).

Si peu de Confères utilisaient l'Acte d'Avocat électronique auparavant, il devient désormais urgent de se moderniser pour permettre aux cessions de fonds de commerce de se faire, en dépit des difficultés économiques et matérielles liées à la crise.

Par Baptiste Robelin, Avocat au Barreau de Paris

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