Comment gérer en période de fortes incertitudes

Invité du dîner organisé par le Cercle Humania, Xavier Huillard, PDG de Vinci, a donné ses propres pistes, tirées de sa longue expérience : détecter les signaux faibles, d'abord, miser sur le temps long, ensuite. Et enfin, investir de façon à pouvoir faire marche arrière si nécessaire.
(Crédits : DR)

Il a le sens de la formule, un humour corrosif et une vision humaniste du monde des affaires... Xavier Huillard, PDG de Vinci, poste qu'il occupe depuis 2010 mais cédera d'ici avril 2025 - pour ne garder que la présidence - , a partagé, devant plus d'une centaine de dirigeants et de DRH, sa stratégie pour relever les défis auxquels sont confrontées les entreprises lors d'un récent dîner organisé par le Cercle Humania.

Certes, les incertitudes - qu'il s'agisse de la guerre des talents ou des tensions géopolitiques, auxquelles s'ajoutent les pandémies et les menaces sur la cybersécurité - ont toujours existé, mais elles ont pris une acuité particulière ces derniers temps. Et il en est une qui testera la résilience, voire le business model même des organisations. C'est le dérèglement climatique et les actions à mener pour tenter de le limiter. Au cœur de deux secteurs, la construction et la mobilité, pointés du doigt pour leurs émissions de CO₂, le groupe, qui emploie 260 000 salariés dans 120 pays, s'est positionné depuis quelques années sur une « performance globale », alliant performances techniques et économiques et impact social et environnemental. « Notre responsabilité est de nous inscrire dans l'Accord de Paris sur le climat tout en développant notre performance sociale et sociétale et en améliorant notre performance économique », tranche-t-il. Impossible, désormais, de découpler ces trois composantes.

D'ailleurs, il estime que la guerre en Ukraine, avec les perturbations sur les marchés des énergies fossile qu'elle engendre, ne pourra qu'accélérer la transition, en particulier en Europe, et favoriser, précisément, une croissance plus vertueuse.

Attention à la Chine

Mais les derniers développements - géopolitiques comme pandémiques - induisent aussi une « démondialisation » plus forte et de nouveaux bras de fer entre grandes puissances économiques et commerciales. Ils risquent d'amener les entreprises à réviser leur stratégie, en particulier en ce qui concerne leur expansion internationale. Faut-il, par exemple, continuer à investir en Chine ?

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« Pékin ne tolérera peut être plus très longtemps que des entreprises étrangères viennent 'manger dans la gamelle' des sociétés nationales », assure-t-il. Sa solution ? Investir, certes, mais dans des proportions raisonnables, de manière à ne pas courir de danger mortel en cas de sortie forcée. C'est d'ailleurs de cette façon que le groupe a géré ses affaires en Russie. « Nos capitaux engagés sur place étaient modestes par rapport a notre bilan global et en partie provisionnés bien avant que Moscou envahisse l'Ukraine », indique-t-il. Son secret ? D'abord établir des scénarios, y compris pour envisager une marche arrière si nécessaire, et surtout, détecter les signaux faibles. Ainsi, si Vinci, pourtant leader européen des parkings, avec 2 600 sites répartis dans quatorze pays, a décidé, dès 2013, de se séparer de Vinci Park, c'est que « nous avions noté des changements dans l'usage de la voiture en milieu urbain », se souvient-il.

Miser sur le temps long

Autre secret qu'il veut bien révéler : avoir le sens du temps long. Facile, lorsqu'on bénéficie de concessions... Il balaie d'ailleurs les critiques récurrentes sur les concessions autoroutières et l'augmentation des péages en France. « Notre action de concessionnaire capable de mobiliser des sommes importantes pour aider au développement par des infrastructures de mobilité est beaucoup mieux comprise dans d'autres pays, et ces critiques ont toujours existé en France, cela fait partie de la vie des affaires. En fait, nous sommes régis par un contrat extrêmement précis y compris sur le niveau des péages et avons acheté ASF à un prix très élevé en 2006. l'État est le premier bénéficiaire des sommes acquittées au péage sous forme d'impôts et de taxes. Xavier Huillard préfère se concentrer sur d'autres exemples. Comme au Brésil, où les acteurs locaux faisaient monter les enchères sur les concessions des aéroports. Vinci, intéressé, a tranquillement attendu que l'opération Lava Jato, une vaste enquête sur la corruption dans les milieux politiques et des affaires, lancée à partir de 2014, fasse son œuvre, « en les laminant », relève-t-il avec gourmandise...

Et depuis, le groupe a d'abord obtenu la concession de l'aéroport de Salvador (dans l'Etat de Bahia), en 2018, puis remporté celle de sept autres, dont Manaus, en 2021. Au total, ce sont 53 aéroports que Vinci gère dans le monde. « En fait, l'idéal, pour être résilient, est d'avoir à la fois des activités de court, moyen et long terme, et de maintenir l'équilibre entre ces temps. Le temps long peut d'ailleurs être l'éternité comme c'est le cas de l'aéroport de Gatwick dont nous avons acquis le contrôle en 2019 ! », s'exclame-t-il. Quant à l'acquisition, en 2021, des activités énergie du groupe espagnol ACS, afin en particulier de développer une activité de production d'énergie renouvelable, il s'agit là encore de développer notre composante Temps Long.

Proposer un « narratif » attrayant

Mais ce n'est pas tout. Puisqu'il s'exprimait devant un parterre de DRH, Xavier Huillard a voulu mettre en avant la culture d'entreprise et la gestion décentralisée, « qui nous permet de grandir sans grossir », plaisante-t-il. Ce qu'il veut dire par là, c'est qu'à part quelques règles communes, les procédures sont légères et les quelque 3500 à 4000 business units du groupe fonctionnent de façon autonome, dans un esprit entrepreneurial.

Enfin, il faut pouvoir « raconter une histoire », de nature à enthousiasmer les actionnaires et les troupes, face à un autre signal faible qu'il perçoit, celui de la hausse de l'absentéisme, notamment chez les jeunes. Chez Vinci, c'est celle « d'un groupe qui a 130 ans et est toujours là, qui n'a pas attendu la loi Pacte pour se forger une mission et qui s'engage aujourd'hui dans de nouvelles aventures », martèle-t-il. De nouvelles aventures, en particulier dans les énergies renouvelables, qui devaient, grâce à ce narratif, inciter les jeunes talents à rejoindre Vinci et d'autres entreprises en manque de talents - afin de s'investir et d'agir.

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Commentaire 1
à écrit le 20/07/2022 à 10:05
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En voilà une gestion compétente, qui fait si souvent défaut en France. Il faudrait la même approche chez EDF, Renault, etc ...

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