Clémence Guerrand, portrait d’une pianiste engagée

Créatrice de MAWOMA, le premier concours mondial itinérant consacré aux femmes cheffes d’orchestre, Clémence Guerrand, musicienne de formation est aussi une femme de tête. Rencontre.
Clémence Guerrand, fondatrice de MAWOMA, premier concours mondial itinérant consacré aux femmes cheffes d’orchestre
Clémence Guerrand, fondatrice de MAWOMA, premier concours mondial itinérant consacré aux femmes cheffes d’orchestre (Crédits : Presse)

A trois ans, Clémence Guerrand admire son grand père pianiste. Un an plus tard elle entre au conservatoire d'Avignon pour devenir à 36, pianiste concertiste, «  ce que j'ai toujours voulu ». Entre temps, Clémence a dévié. Entre 12 et 17 ans, « j'ai eu un gros blocage, inexplicable. Peut-être ai-je commencé trop tôt ? Je ne voulais même plus voir l'instrument, tout en souhaitant recommencer. A postériori, cette période m'a permis de me rendre compte de l'importance du piano dans ma vie ». Réfractaire à l'école qu'elle quitte rapidement, elle se lance dans une carrière d'opticienne, tout en retournant le soir au conservatoire d'Avignon. « J'ai énormément travaillé pour rattraper le temps perdu. J'étais aussi complexée. Tous ceux qui avaient commencé le piano en même temps que moi avaient déjà fini le conservatoire. » Elle obtient les premiers prix en piano et en musique de chambre. Elle décide alors d'arrêter l'optique, « un métier purement alimentaire mais dont j'ai apprécié l'aspect relationnel, précis et manuel ». Elle passe ensuite deux ans en cycle de perfectionnement au conservatoire de Marseille. Puis, afin d'obtenir une licence de concertiste et de continuer à travailler la scène, elle suit une formation à l'école normale de musique de Paris. Elle parle avec admiration des professeurs qui lui ont transmis leurs connaissances et avec qui elle a toujours eu « des relations extrêmement fortes ». Bernard d'Ascoli, « m'a énormément marqué, il m'a appris à travailler le son, à le sculpter. Bruno Rigutto est l'un des meilleurs professeurs en France ». Elle admire ceux qui, au lieu de se cantonner à l'heure de cours hebdomadaire, « donnent tout leur temps à leurs élèves en proposant bénévolement des cours particuliers, quitte à se le faire ensuite reprocher par les conservatoires, comme ce fut le cas pour mon ancien professeur Roland Conil. Ce n'est pas l'école qui forme mais les maîtres, les modèles ».

Création de MAWOMA

« J'ai toujours eu envie d'être chef d'orchestre », témoigne Clémence Guerrand. Mais elle se rend compte que sur les 22 plus grands orchestres dans le monde, un seul est dirigé par une femme. Quels modèles pour les jeunes femmes attirées par la direction d'orchestre ? Enceinte de son première enfant, elle se lance en 2017 dans une nouvelle aventure qui est aussi un combat : la création du premier festival et concours itinérant consacré aux femmes chefs d'orchestre. D'avril à novembre 2019, MAWOMA, pour Musique and Woman Maestra, fera le tour des six continents pour révéler les meilleures cheffes d'orchestre de moins de 40 ans. De Vienne à Sidney en passant par Los Angeles, Johannesburg, Tokyo et Rio, elles se produiront en public. Les critères de sélections sont « le charisme et la personnalité, l'amour de la musique et la capacité à anticiper », précise Clémence. Dans le domaine de la direction d'orchestre, il n'existe pas de code, ni de formation. Chacun développe son style, du plus minimaliste au plus emporté.

Révéler les femmes cheffes d'orchestre

En révélant ces femmes talentueuses, l'ambition de MAWOMA  est d'inspirer la jeune génération. Et de rééquilibrer l'écosystème en abordant la question des inégalités de genre. Si les femmes sont nombreuses au conservatoire, elles le sont beaucoup moins ensuite. « 50% contre 5% de cheffes d'orchestre dans le monde », confirme la chef d'orchestre Debora Waldman qui l'accompagne dans ce projet. Pour certains, cette disparité s'expliquerait par le manque de confiance des femmes face à un milieu majoritairement masculin. Mais ne serait-ce pas là remettre la faute sur les victimes ? « Je ne suis pas d'accord avec cette idée-là », confirme Clémence Guerrand. D'autres imaginent qu'elles sont tout simplement peu nombreuses, tout comme il existe peu, dans l'histoire de la musique, de femmes compositrices. Debora Waldman interroge cette explication. « L'histoire a de tout temps été écrite par les hommes. Ne retient-on pas les œuvres des femmes compositrices ou n'en existe-t-il pas ? ». « Le mythe du Maestro du début du XXe siècle est ancré dans nos sociétés. En tant que femme nous n'avons donc pas de modèle. Et lorsqu'une femme est cheffe d'orchestre, elle se rend compte que les portes lui sont fermées. Elle doit monter son propre orchestre pour pouvoir exister, ce qui n'est pas le cas d'un homme. Ce prix va faire évoluer les mentalités », conclue Clémence Guerrand.

A 36 ans, Clémence Guerrand est une femme ambitieuse, révoltée et curieuse. « J'aime apprendre. Je lis cinq livres par semaine, surtout des biographies historiques, je suis passionnée d'histoire, des livres sur la musique classique et sur la psychanalyse chez les enfants, notamment autour des questions de la transmission. » Aujourd'hui, elle partage sa vie entre le piano, en tant que concertiste et compositrice, sa vie de famille et son nouveau projet MAWOMA. Clémence Guerrand n'est pas une femme de quota mais de combat.

INFOS + https://mawoma-awards.com/

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