Brigitte Grésy : "L'égalité, cela se promeut, se compte, se contrôle, s'évalue et se sanctionne"

[#8mars #DroitsDesFemmes] Dans le cadre de la Journée Internationale des Droits des Femmes, La Tribune propose à des femmes engagées dans l'entrepreneuriat, la mixité globale et l'égalité économique femme-homme de s'exprimer sur leurs actions, convictions et expériences de terrain. Brigitte Grésy est Secrétaire Générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Brigitte Grésy, Secrétaire Générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Brigitte Grésy, Secrétaire Générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. (Crédits : DR)

Et si, ce 8 mars 2018, autour du mot égalité professionnelle, cette impression de déjà entendu, de marronnier inévitable et, somme toute, fort peu dérangeant, avait subitement changé de texture ? Révolution, résolution, réforme, les noms diffèrent depuis l'affaire Weinstein mais le nouvel air est là. Dans l'entreprise, on ne pourra plus continuer à faire comme avant.

Tout ne s'est pas joué en un jour et trois étapes semblent se dessiner sur ce long chemin vers l'égalité. Pendant près de 25 ans, depuis les directives européennes et les lois françaises, si nombreuses, pour promouvoir l'égalité professionnelle, on faisait comme si la mixité n'avait pas de sexe : on parlait bien de femmes et d'hommes mais pour asseoir une politique structurelle, bien calibrée dans les textes de la négociation collective autour d'indicateurs liés à l'embauche, l'accès à la formation, aux promotions, la rémunération, la qualification, les classifications, les conditions de travail et l'articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales, sans oublier, plus récemment la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration. On comptait, et c'est déjà essentiel, car les indicateurs et les chiffres sont indispensables pour mener une politique d'égalité. L'égalité, cela se promeut, se compte, se contrôle, s'évalue et se sanctionne. Convaincre et contraindre en restent les deux mots clés. Et de réelles avancées, en termes de congés parentaux, de mesures en faveur de la mixité, que ce soient les plafonds ou les murs de verre, de conditions de travail sont à souligner.

Mais, si on s'en tient là, c'est comme compter des bâtons et des ronds : c'est utile pour s'assurer qu'on ne pêche pas seulement dans la moitié du lac, comme diraient les tenants du « gender balance », soucieux de repérer les talents de l'humanité entière, femmes et hommes. Mais, ce faisant, on omet d'agir sur une des causes de la non mixité, une des deux principales en tout cas au-delà d'une parentalité très insuffisamment partagée : des archaïsmes culturels qui ligotent femmes et hommes dans des rôles prédéterminés liés à des stéréotypes de sexe. Et c'est là qu'intervient la deuxième étape de ce chemin vers l'égalité, avec la reconnaissance dans les politiques d'égalité, depuis la loi sur l'égalité réelle de 2014, des notions de santé et sécurité au travail, mais surtout celle de l'identité au travail, sous peine de souffrance et d'exacerbation des risques psychosociaux. Le mot sexisme, ce mot tabou qui n'arrivait pas à entrer dans le monde du travail, trouve peu à peu sa place depuis cinq ans, et le CSEP n'y est pas pour rien. Cette idéologie qui érige la supériorité d'un sexe sur l'autre, repose sur la valence différentielle des sexes, comme dirait Françoise Héritier, sur le fait que le masculin l'emporte toujours sur le féminin, comme en grammaire. Le sexisme joue sur la délégitimation, sur la disqualification des femmes dans le monde du travail. L'introduction de l'agissement sexiste dans le code du travail en 2015 a permis que soit mis en visibilité le sexisme ordinaire sous toutes ses formes, de la blague douteuse aux manifestations d'incivilité et de mépris. La blague ou le compliment sexistes ne sont ni de l'humour ni de l'amour mais une réification du corps des femmes qui entraîne souffrance et rétrécissement de leur espace et de leur performance au travail, chez les victimes comme chez les témoins, soumis au sexisme passif.

Et voilà que peut-être sommes-nous entrés aujourd'hui dans la troisième étape, celle où fait irruption avec fracas dans le monde du travail le corps des femmes : les femmes comme victimes d'inégalités structurelles, puis comme atteintes dans leur identité au travail, et maintenant comme atteintes dans l'intégrité de leur corps : la boucle est bouclée ; l'effet système est mis en exergue ! Avant le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, on évoquait dans une petite fiche spéciale la question du harcèlement sexuel au travail, le 8 mars étant réservé aux grands dossiers de l'inégalité. Aujourd'hui 25 novembre et 8 mars même combat : aux côtés des politiques d'égalité professionnelle, il faut prendre à bras le corps la question du sexisme au travail, qui recouvre des actes allant de l'agissement du sexisme ordinaire au harcèlement sexuel, à l'agression sexuelle voire au viol, aux côtés des discriminations à raison du sexe. Alors, oui, c'est bien d'un bouleversement sans précédent dont il faut parler aujourd'hui.

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