« Le numérique est un outil pour lutter contre les crimes de guerre », Céline Bardet

Lauréate des Margaret (Prix Spécial) en avril dernier, Céline Bardet se bat contre l’impunité des viols comme arme de guerre. Décryptage d’un combat aux frontières de l’insoutenable.
Valérie Abrial
Céline Bardet, fondatrice et présidente de We are Not Weapons of War
Céline Bardet, fondatrice et présidente de We are Not Weapons of War (Crédits : Macha Rechova)

WWOW... Comme un cri dans le monde. Un cri pour We are NOT Weapons of War (Nous ne sommes pas des armes de guerre), ONG fondée par Céline Bardet il y a 4 ans. Juriste internationale, cette spécialiste des crimes de guerre a fait du viol de masse son combat.

Les violences sexuelles « sont une stratégie militaire ou politique à part entière. Elles sont définies et décidées en haut lieu au même titre qu'est décrété le bombardement d'un village, l'extermination d'un peuple, le gazage d'une communauté. Si le viol dans la guerre a toujours existé ; le viol comme outil de guerre est lui, devenu endémique et quasi systématique dans les conflits contemporains. Le viol devient alors un outil utilisé pour humilier, détruire et prendre le pouvoir, employé aussi bien contre les femmes (RDC, Kenya, Bosnie, Rwanda) que les hommes (Libye, Ouganda) et les enfants (Syrie, RDC) ».

Voilà ce que l'on peut lire sur le site internet de WWOW. Un descriptif glaçant de ce que l'humanité peut montrer d'inacceptable et impensable. « Il y a des milliers de victimes dans le monde. 80% des survivants ne sont pas aidés ni suivis car ils sont dans des zones de conflit trop complexe à atteindre », explique Céline Bardet. « Depuis 15 ans, je suis sur le terrain, poursuit-elle. Je retrouve les mêmes problématiques. La première étant qu'il est difficile d'identifier les victimes car ce sont des viols en masse contrôlés par des milices dans des zones inaccessibles. De fait, les victimes n'ont pas moyen de communiquer et restent invisibles.  Ce fossé nous empêche de leur venir en aide. La seconde problématique, c'est la nécessité indispensable de construire une analyse réelle des faits. Mon ADN, c'est de poursuivre les crimes de guerre, j'enquête sur le terrain, je monte des dossiers. Il faut savoir que le crime de guerre n'est jamais isolé, c'est un crime de masse. Dans les pays où ils ont lieu, les instances judiciaires ont l'information mais ne font rien car il n'y a aucun travail d'enquête pour recouper les dates, les preuves et construire un dossier ».

Le numérique comme outil

En fondant l'ONG We are Not Weapons of War, Céline Bardet avait la ferme intention de répondre à ces problématiques majeures par des actions concrètes :  sensibiliser l'opinion publique sur le viol comme arme de guerre, monter des expertises judiciaires, accompagner les survivants. « Le numérique m'est apparu comme un outil majeur. On peut l'utiliser partout. Même au bout de nulle part, les gens ont le téléphone et la 3G aujourd'hui. C'est un moyen de survie », explique Céline Bardet. Il n'en fallait pas moins pour que la juriste imagine un concept qui permettrait de géolocaliser les victimes de viol de masse. « En fait, la technologie digitale, même si elle n'est pas la réponse à tout, est clairement un accélérateur de solutions. Nous avons imaginé la solution Back Up grâce à l'outil numérique. Le prototype est achevé, prêt à fonctionner et a été développé par la compagnie In Tech Luxembourg  ».

Si les fonds sont suffisants, Back Up sera bientôt lancé dans 3 pays :  République Centre Africaine, Lybie et Birmanie.  C'est un outil d'alerte pour les victimes et pour le maillage local comme les médecins qui, sur place, peuvent être amenés à soigner une personne dont il repère des blessures qui sont le résultat d'un viol de guerre. Le but étant que l'ONG en soit informée pour agir au plus vite dans ces zones de conflits. « Back Up n'est pas à proprement parlé une application car tout doit être extrêmement sécurisé et crypté. Cela se présente donc sous forme de site web qui après son utilisation disparaît automatiquement du smartphone ». Pour faire connaître cette solution, WWOW travaille avec les associations locales, les médecins, qui en informent les communautés, le bouche à oreille se faisant ensuite l'écho de Back Up. « Nous distribuons également des téléphones. Notre base line est de répondre au cas par cas, car il n'y a pas de réponse générale. Lorsque nous parvenons à identifier une victime, nous prévenons le médecin local qui se rend sur les lieux du drame le plus discrètement possible car le viol de guerre n'est pas une blessure ordinaire. Aujourd'hui, en plus de la RCA, la Lybie et la Birmanie, nous espérons pouvoir étendre Back Up en Syrie et en Irak ».

Soutenue par des fondations, We are Not Weapons of War fonctionne grâce à une équipe de bénévoles. Aujourd'hui en phase de structuration, l'ONG a besoin de lever des fonds. « Il nous faudrait 300 00 euros d'ici la fin de l'année pour pouvoir développer officiellement Back Up et réaliser une étude mondiale sur le viol comme arme de guerre », conclut Céline Bardet. Un appel à lutter contre l'impunité, première cause de propagation du viol comme arme de guerre.

Valérie Abrial

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