Xavier Niel à Sciences Po : « La France est un paradis fiscal »

Par Delphine Cuny  |   |  1320  mots
Le fondateur de Free était ce vendredi l’invité de Sciences Po pour une Masterclass sur l’entrepreneuriat. Il a distillé ses conseils - "il faut mordre la ligne jaune" - et quelques certitudes : la France n'est pas un enfer pour les entrepreneurs dès lors qu'ils ont la passion. Extraits.

Xavier Niel, l'autodidacte qui arrêta ses études en prépa, le pourfendeur d'un système éducatif « qui ne forme pas des gens créatifs », invité à Sciences Po - « ce temple de la tradition élitiste française » comme l'a fait remarquer son ami Jean-Louis Missika, le codirecteur de la campagne d'Anne Hidalgo aux municipales qui siégea longtemps au conseil d'administration d'Iliad, la maison-mère de Free… Et pour une Masterclass sur le thème « Comment créer et développer sa start-up » : une forme de consécration et d'hommage, à 46 ans, pour ce patron non-conformiste.

Devant un amphithéâtre Chapsal bondé, le fondateur de Free a répondu vendredi matin aux questions parfois piquantes des étudiants de l'école de la rue Saint-Guillaume. Posé, sérieux, presque bon élève, aussi volubile mais peut-être moins provocateur qu'à son habitude, la sixième fortune de France, avec un patrimoine d'environ 6 milliards d'euros, a distillé ses conseils et quelques confidences.

La leçon de Van Ruymbeke et le « pirate de la croissance »

Lorsqu'un participant lui demande s'il faut être « un pirate de la croissance », reprenant le concept américain en vogue de « growth hacking » et lui rappelant son passé dans le Minitel rose, où il n'a « pas toujours tout fait dans les règles », Xavier Niel raconte qu'il a reçu « une vraie leçon » quand le juge Van Ruymbeke, dont l'enquête a conduit à l'innocenter des accusations de blanchiment et de proxénétisme, lui a conseillé « maintenant, de juste mordre la ligne jaune. »

Et celui qu'on baptisé le trublion de l'Internet de citer les exemples de Airbnb et de Uber, qui ont « mordu la ligne jaune pour faire évoluer les choses. » Continue-t-il à le faire ? « Tous les jours, j'espère ! » Au lancement de Free Mobile, en janvier 2012, il avait lancé, fidèle à sa réputation de provocateur, « on n'est pas là pour gagner de l'argent, on est là pour foutre le bordel ! »

Face à cette assemblée de brillants étudiants, il a plaidé que « la créativité est un état d'esprit » et qu'il « ne faut pas rejeter d'emblée les diplômés » des grandes écoles. Reconnaissant qu'il n'y a que « un HEC, un Essec, un Polytechnicien et un Sciences Po sur 6.000 salariés chez Iliad » et qu'un « formatage excessif » peut être un obstacle, il considère que « c'est aux jeunes de s'ouvrir. »  

Paris est le lieu idéal pour créer son entreprise, la France un paradis fiscal

Interrogé sur l'environnement du pays qui ne serait pas propice, le fondateur de Free balaie l'argument : « le mot entrepreneur est français, on a ça dans nos gènes. On a envie d'entreprendre, de créer des entreprises ». Avant d'ajouter un bémol : « l'ascenseur social ne marche pas en France, par exemple il n'y a que 11% de boursiers à Polytechnique. »

Pour autant, Xavier Niel fait valoir que « on n'a besoin de rien pour entreprendre, tout juste savoir écrire et compter. Vous pouvez vous lancer avec un centime d'euro ! » Sur la fiscalité, il considère qu'il y a « une perception fausse. La France est un paradis fiscal » avance-t-il, prenant l'exemple de la taxation sur les plus-values à 23%, moins qu'aux Etats-Unis, ou le régime de cession de son entreprise à ses enfants, « taxée à 6 ou 7% seulement, même si je ne crois pas à l'héritage. »

Aux côtés de Jean-Louis Missika, le Monsieur Innovation de la Mairie de Paris, il défend « l'écosystème qui existe à Paris : c'est simple, c'est possible » de se lancer et en plus « c'est la plus belle ville du monde : il y a des petits défauts mais c'est la ville fantastique pour créer son entreprise. Allez-y et vous vivrez une aventure géniale. »

Etre tenace et révolutionnaire

S'il devait avoir une devise, ce serait « l'absence de la peur face aux risques. Si vous vous souciez du lendemain vous ne faites rien ! » C'est pour cela que son mot préféré est « la jeunesse, l'âge où l'on peut tout faire. » Le mot qu'il déteste est « impossible, c'est ce que l'on vous dit tout le temps ! »

Or « il y a une chose plus importante que tout, c'est votre motivation, votre énergie, votre envie d'en découdre », citant l'exemple du culotté et « punchy » Michael Boukobza qui fut son directeur général avant de partir en Israël : « je lui en ai beaucoup voulu, on ne s'est plus parlé, je boudais et finalement on s'est réassociés pour lancer un opérateur mobile là-bas (Golan Telecom) qui marche très bien. »

D'ailleurs, sa plus grande qualité à lui est « la ténacité » et celle qu'il apprécie chez ses collaborateurs : « la capacité à se remettre en cause. » Mais s'il devait être un animal, ce serait « une tortue, pour me cacher plus souvent, c'est ma timidité maladive… » On peut être timide tout en voulant « faire bouger le monde » : et « pour être entrepreneur, il faut avoir une vision révolutionnaire de ce qui existe. » Il a d'ailleurs encouragé les jeunes venus à l'écouter à utiliser eux aussi ce terme de « révolution : je l'ai utilisé toute ma vie, pas forcément à raison ! » a-t-il concédé.

Trop nul en anglais pour l'international

Pressé de questions sur l'absence de tentative de Free à l'international, Xavier Niel s'est réfugié derrière ses piètres talents linguistiques.

« Je connais un pays et une ville, la France et Paris, je parle mal anglais, je suis mal disposé à sortir du territoire. Mes deux garçons de 11 et 13 ans me disent souvent « Papa, comment tu as réussi à gagner autant d'argent en parlant si mal anglais ? On ne peut pas tout faire partout. On connaît le marché français, c'est là qu'on sera le meilleur. C'est important d'être assez « focus ». Après, on va vieillir, prendre la grosse tête et essayer de faire la même chose ailleurs » a-t-il prédit.

 

En parlant d'argent, justement, Xavier Niel fait valoir que « la notion d'argent dans la création d'entreprise n'est pas le plus important, le succès de l'entreprise repose sur vous. La vraie motivation d'un chef d'entreprise, c'est de gagner l'argent que l'on mérite, en fonction de son travail. »

« Il n'y aurait pas autant de pub sur la 4G si Free n'était pas là »

Une prise de parole de Xavier Niel ne saurait se faire sans quelques coups de griffe aux concurrents. Interrogé sur les conséquences de l'arrivée de Free Mobile sur le marché français en termes d'emplois, le premier actionnaire d'Iliad a naturellement rappelé la condamnation pour entente d'Orange, SFR et Bouygues, faisant valoir que « vous, vous n'avez pas été remboursés du surplus que vous avez payé. »

Avant de relever que « l'investissement n'a jamais été aussi élevé » dans le secteur, reprenant un argument du président du gendarme des télécoms, l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani. « Quand la concurrence est tendue il faut se différencier. Il n'y aurait pas autant de pub sur la 4G si nous n'étions pas là » a-t-il lancé, sachant que Free est le seul des quatre opérateurs à ne pas avoir encore ouvert son servcie commercial 4G.

Assurant que « l'emploi est resté stable voire a progressé », Xavier Niel a ensuite ironisé : « oui, des choses ont baissé, ce sont vos factures, c'est terrible » et ses concurrents « ne font plus 40% de marge, mais seulement 25%, c'est horrible. » Quant à la baisse des dividendes, « c'est une mauvaise nouvelle pour les retraités américains, qui sont les principaux actionnaires de France Télécom, pas l'Etat Français. » S'il a reconnu que l'Etat avait récolté moins de TVA et d'impôts, il a espéré que « l'argent que vous, vous avez récupéré, vous l'avez dépensé ailleurs… » Ce gain de pouvoir d'achat rendu au consommateur c'est ce qu'il répondrait «  si Dieu [me] demandait ce qu'[il a] fait sur Terre… »

 

>>> La vidéo de la Masterclass de Xavier Niel à Sciences Po