Pourquoi les syndicats de SFR sont si méfiants sur l’emploi en cas de rachat

Par Delphine Cuny  |   |  1080  mots
Le nouveau campus de SFR à Saint-Denis. Copyright Patrick Tournebeuf
Un rapport du cabinet d’experts Sextant, mandaté par le comité d’entreprise, souligne « les risques élevés » d’une fusion SFR-Bouygues sur l’emploi, évaluant entre 1.600 et 3.000 le nombre de postes menacés. Le même cabinet s’interroge sur le risque de restructuration en cas de rapprochement avec Numericable.

Si l'intersyndicale de SFR, qui regroupe l'Unsa, la CFE-CGC, la CFDT et la CGT, réclame des repreneurs, Numericable ou Bouygues, des engagements très formels sur l'emploi, et même un maintien garanti pendant 4 ans, c'est que les salariés de l'opérateur ont des raisons objectives de s'inquiéter. Bien que Patrick Drahi, le premier actionnaire d'Altice la maison-mère du câblo-opérateur, comme Martin Bouygues se sont engagés oralement à ne procéder à aucun licenciement, un rapport réalisé par le cabinet d'expertise comptable Sextant, mandaté par le comité central d'entreprise, les confirme dans leur circonspection. Dans ce rapport que la Tribune a pu consulter, le cabinet parisien conclut ainsi que « le rapprochement de SFR et Bouygues est de loin la fusion qui permettrait de dégager le plus de synergies » mais il est « porteur de risques élevés à la fois chez le futur opérateur Bouygues/SFR mais également dans le reste de la filière. »

 

« Doublons évidents »

Le cabinet souligne « les doublons évidents » dans le nouveau groupe SFR-Bouygues, les deux concurrents ayant « un effectif total équivalent, 8.500 pour SFR, 7.500 pour Bouygues hors boutiques soit 1.500 postes » et « une structure d'emploi relativement similaire, avec une part de cadres assez proche », 66% chez SFR et 55% chez Bouygues Telecom contre seulement 11% chez Iliad-Free et 39% chez Numericable (hors Completel). Ils ont aussi une présence « dans les mêmes bassins d'emploi » : Ile-de-France où se trouvent plus de 60% des effectifs, Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Aix.

« Au bas mot, selon les économies attendues du projet - environ 10% des Opex (dépenses opérationnelles) - c'est entre 10% et 20% des effectifs qui pourraient être menacés, soit 1.600 à 3.000 postes, dont une partie en région. Cette première approche n'intègre pas les effectifs des boutiques de Bouygues, où les risques sont également très importants » écrit le cabinet Sextant dans son rapport. « Les équipes marketing mobile, réseau et supports seront certainement les plus touchées dans les deux structures, ainsi que les réseaux de distribution physiques. »

 

Impact sur les fournisseurs

Bouygues est propriétaire à 100% de la filiale Réseau Clubs Bouygues Telecom qui exploite ses 650 magasins. En revanche, SFR n'opère pas de boutiques en propre mais possède des participations chez ses deux premiers distributeurs, la SFD, qui exploite le plus grand réseau de magasins à l'enseigne espace SFR (300 environ), et 5sur5 (200 boutiques, 1.700 salariés). Le cabinet Sextant affirme que ces « synergies ne peuvent que passer par une baisse des effectifs chez les fournisseurs » : sont concernés, outre les distributeurs, les prestataires de services, tels que TDF et Veolia, les sociétés de services informatiques comme Capgemini, Atos, Steria, les équipementiers, de Huawei, NSN à Alcatel-Lucent, les centres d'appels, comme Teleperformance. « Cela aura sans aucun doute un impact négatif sur l'emploi qu'il est encore difficile aujourd'hui d'estimer » écrit le cabinet d'expertise.

 

Les salariés de Bouygues Telecom soutiennent le rachat

 Cette étude d'impact a confirmé les craintes des salariés, y compris chez le potentiel acheteur, malgré les engagements de la direction et la culture du dialogue social et du reclassement du groupe Bouygues. « Que vont devenir les 1.300 salariés qui s'occupent du réseau et les 700 personnes de l'informatique ? » s'interroge Azzam Ahdab, délégué central CFDT chez Bouygues Telecom, qui raconte que l'annonce de l'accord sur la vente du réseau à Free, appris par voie de presse, a constitué « un grand choc. » Et créé une certaine incompréhension : pourquoi Free, ce concurrent que l'on disait « infréquentable, devenait d'un coup un partenaire? » Et pourquoi fallait-il vendre le réseau de Bouygues, l'acquéreur, qui clame à tout-va qu'il a "le meilleur réseau 4G" à grand renfort de publicité ? Il est tout simplement plus facile de faire une promesse de vente de ce que l'on possède déjà… Aussi, le délégué CFDT demande-t-il à sa direction une formalisation des engagements pour rassurer les troupes.

Pour autant, la majorité des salariés de Bouygues Telecom semble soutenir le projet de la maison-mère, comme l'ont laissé entendre les syndicats CFTC et FO. Certains redoutent un plan social si c'est Numericable qui rachète SFR et s'inquiètent de l'avenir de leur entreprise qui ne dégage plus de bénéfices depuis deux ans et serait alors isolée. L'annonce de l'entrée en négociations exclusives de Vivendi avec Altice a même créé une vive déception en interne, certains voyant dans l'opération une question de survie.

 

Numericable : interrogations sur le poids de la dette

Le scénario d'un rapprochement de SFR avec Numericable n'est pas non plus dépeint en rose par le cabinet Sextant. Dans un autre rapport remis au comité central, le cabinet estime que les synergies « très ambitieuses » visées par Altice « interrogent déjà sur les conséquences sociales du projet », notamment pour les équipes du système d'information de SFR, qu'il est prévu d'« optimiser » et les équipes commerciales, qui doivent être redéployées.

 

« Toute la question est de savoir si le nouveau groupe Numericable-SFR aura les moyens de supporter un tel niveau de dette, sans avoir à recourir à de nouveaux plans de restructuration pour pouvoir faire face à ses échéances de remboursement. Rien n'est moins sûr compte tenu de l'incertitude qui pèse sur l'avenir du marché des télécoms » écrit le cabinet.

 En effet, selon Sextant, « il est bien évident que la pression de la dette ne sera tenable que si l'intégralité de ces synergies sont réalisées et que le marché n'opère pas de nouvelle rupture tarifaire - pression sur le chiffre d'affaires qui remettrait en cause les objectifs de marge à venir … autant dire beaucoup d'incertitudes. » L'inconnue de l'évolution du marché, nouvelle offensive tarifaire de Free Mobile affectant les cash flows de l'activité mobile de SFR par exemple, est en effet une dimension un peu négligée jusqu'ici.

Autant d'incertitudes donc qui ont amené les syndicats à se mobiliser pour demander des engagements concrets, contraignants et opposables, aux repreneurs potentiels. Patrick Drahi tout comme Martin Bouygues avaient écrit chacun une lettre au Ministre du redressement productif Arnaud Montebourg dans lesquels ils prenaient des engagements solennels sur l'emploi. « Mais que vaudra dans quelques mois la lettre à un ministre qui ne sera plus là ? » fait valoir un représentant des salariés. L'intersyndicale va adresser aujourd'hui aux candidats leur protocole d'accord d'entreprise et considère que la balle est dans le camp de ces derniers pour obtenir le soutien des salariés...