Très haut débit : Free, Bouygues et Orange unis contre Numericable

Par Delphine Cuny  |   |  1130  mots
Numericable a taclé l'ADSL comme une technologie obsolète : de quoi faire bondir ses concurrents. (Crédits : DR)
Les concurrents du câblo-opérateur critiquent la qualité du débit de son réseau et son régime dérogatoire, alors que le rachat de SFR pourrait changer la donne du déploiement du très haut débit en France.

Le rachat de SFR par Numericable, qui devrait être effectif d'ici à la fin de l'année, va-t-il changer la feuille de route du plan France Très haut débit, qui prévoit d'équiper tout le territoire en 2022 ? C'est la question qui taraude les élus locaux, SFR étant le premier client des réseaux d'initiative publique (RIP), et qui était débattue ce mardi matin lors du colloque sur le très haut débit organisé par l'Avicca (association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel). La nouvelle secrétaire d'Etat au Numérique Axelle Lemaire a déclaré que « le plan France Très haut débit s'appuie sur toutes les technologies. La fibre optique est la priorité mais il y a la montée en débit sur le cuivre, la 4G, le satellite… » Et le câble mâtiné de fibre, aurait-elle pu ajouter.

En effet, Numericable a fait valoir que son acquisition de SFR allait « permettre d'accélérer le plan France Très haut débit et le déploiement de la fibre optique. » Le directeur général délégué du câblo-opérateur Jérôme Yomtov s'est lancé dans un plaidoyer pro domo qui a fait bondir ses concurrents : 

« Le câble offre la meilleure qualité de service, selon de nombreuses études dont celle de l'Arcep, c'est le réseau le plus fiable par rapport aux réseaux obsolètes ADSL » a déclaré le directeur général délégué de Numericable. « Continuer à vendre de l'ADSL c'est comme vendre des TV noir et blanc en solde ! »

 

« Le réseau câblé fonctionne bien parce qu'il est vide ! »

De quoi mettre le feu aux poudres. Le représentant de Free, Maxime Lombardini, le directeur général d'Iliad, sa maison-mère, a été le premier à réagir, en souhaitant « relativiser le retour en grâce merveilleux du câble. Si l'on exclut les clients de Bouygues Telecom, le câble a le même nombre d'abonnés qu'il y a cinq ans {1,3 million hors Bouygues]. Pour un produit incontournable qui rend obsolète l'ADSL, c'est une performance assez remarquable » a-t-il ironisé. Avant de souligner que sur le plan technologique, il ne fallait pas confondre avec le « FTTH », la fibre jusqu'au domicile, et que les pouvoirs publics seraient bien inspirés de se pencher sur « la performance réelle quand le réseau câblé sera chargé, que l'on sache bien ce que l'on achète. »

Le secrétaire général de Bouygues Telecom, Didier Casas, a poursuivi sur le même registre : «il y a très haut débit et très haut débit, une technologie est symétrique l'autre pas. Le « FTTLA » (fibre jusqu'au dernier amplificateur puis du câble coaxial dans l'immeuble) n'est pas le FTTH. Nous le savons bien chez Bouygues Telecom » dont environ 20% des abonnés en haut débit sont hébergés sur le réseau de Numericable, sous marque blanche.

Orange a enfoncé le clou en s'interrogeant sur « la poursuite du cofinancement avec SFR », prévu dans le cadre d'un accord signé en 2011, surtout « là où le réseau vide du câble fonctionne d'autant mieux qu'il n'est pas très plein ! » a lancé Pierre Louette, le directeur général adjoint de l'opérateur historique. Le secrétaire général de SFR, Olivier Henrard, a indiqué que l'opérateur allait poursuivre ses déploiements avec Orange, tout en soulignant que « le nouvel ensemble s'appuiera sur un package de technologies. » Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, a assuré plus tard au colloque que « le gouvernement fera tenir aux opérateurs leurs engagements. »

Haro sur le régime fiscal et réglementaire du câble !

Autre angle d'attaque : il faut « un alignement du régime du câble sur celui des autres » a plaidé Maxime Lombardini, d'Iliad-Free. « La liste est assez longue des petits privilèges tacites ou exprès du câble Si cet acteur devient puissant, il faudra revoir les dérogations sur la TVA, la contribution Cosip [taxe pour financer les programmes audiovisuels], la taxe Ifer [impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux], mais aussi les modalités de retour des réseaux en délégation de service public (DSP), les relations avec les bailleurs sociaux sur le service antenne, et surtout l'accès aux chaînes. » Cet argumentaire avait été récemment développé par Stéphane Richard, le PDG d'Orange : « il n'y a aucune raison de donner au câble, qui n'est pas si moribond que ça, des avantages fiscaux et des dérogations sur l'accès aux chaînes TV » a-t-il déclaré fin avril.  

Au contraire, le secrétaire général de SFR a affirmé ce mardi au colloque de l'Avicca que le rapprochement de SFR et Numericable allait créer « dans la TV payante un véritable numéro deux qui va challenger Canal Plus. » Ce qui a fait là encore réagir le directeur général d'Iliad : « il ne faut pas étendre ce régime dérogatoire. Si l'on veut que la fibre optique FTTH ait sa chance, il ne faut pas qu'elle subisse un régime fiscal et réglementaire défavorable. » La balle est désormais dans le camp de l'Autorité de la concurrence qui va examiner le projet de rapprochement. « L'histoire n'est pas écrite : il y aura des remèdes et des engagements » a souligné Pierre Louette d'Orange.

Appui de Montebourg contre « le câble des années 1980 »

Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui est intervenu plus tard, en début d'après-midi au colloque, a apporté son soutien aux concurrents de Numericable, évoquant « la bifurcation radicale des priorités d'un des deux principaux opérateurs » déployant la fibre, c'est-à-dire SFR. 

« Numéricable pose un défi, sous deux formes : l'investissement dans la fibre à domicile par Numéricable sera moindre par rapport à ce qu'aurait été l'effort de SFR indépendant, et l'effort de SFR va se porter sur un réseau qui date des années 80, le câble, qui consiste à amener la fibre au pied des immeubles et non dans les domiciles » a fait valoir le ministre.

Or « l'Etat appuiera lui, le choix de  « la fibre jusqu'à l'abonné », afin de maximiser le débit FTTH et d'assurer les possibilités maximales pour les consommateurs et entreprises de réexpédier des données au lieu d'en seulement recevoir » a indiqué mardi Arnaud Montebourg. Tout en prévenant « aucun opérateur n'a intérêt à rester en dehors de la fibre à domicile dont les potentialités sont meilleures. » A bon entendeur...