Les employés de Google, trop sûrs d’eux, trop intelligents ?

Par Delphine Cuny  |   |  685  mots
Le problème que pose cette concentration de gens très intelligents : « leur capacité à rationaliser n’importe quoi de façon convaincante. » (Crédits : <small>Reuters</small>)
Un des ingénieurs du moteur de recherche décrit sur son blog « la malédiction des gens intelligents » qui tendent à tout rationaliser et ignorer la réalité, pas toujours plaisante, du monde extérieur.

Google fascine et Google fait peur. Parce que le moteur de recherche s'est tellement immiscé dans le quotidien de milliards de personnes dans le monde, que sa position dominante dans l'Internet place de nombreuses entreprises dans une forme de dépendance dangereuse, parce que ses desseins inquiètent, en matière d'utilisation des données personnelles et d'intelligence artificielle. De l'intelligence justement, Google en regorge : c'est un employé de la firme de Mountain View qui le reconnaît sur son blog personnel.

Mais son billet intitulé « la malédiction des gens intelligents » risque de conforter les plus méfiants. Celui qui se cache derrière le pseudonyme Apenwarr, qui n'est autre qu'Avery Pennarun, développeur de l'équipe Google Fiber, analyse le problème que pose cette concentration de gens très intelligents : « leur capacité à rationaliser presque n'importe quoi de façon convaincante. » Or l'ingénieur, qui a rejoint Google il y a un peu plus de trois ans, relève que « la logique est un outil très puissant, mais qui ne fonctionne que si l'on intègre les bonnes données. »

Rationaliser ses échecs par les caprices des autres

Sans citer son entreprise ni aucun collègue, feignant de tenir des considérations d'ordre général, il observe que « les geeks très très intelligents commencent à vivre dans une bulle, s'isolent. » S'il souligne qu'« une étonnament grande partie des programmeurs les plus intelligents au monde » travaillent chez son employeur, il remarque :

« Travailler dans une grande entreprise qui a du succès vous aide à rester dans l'isolement. Par choix, vous pouvez tout simplement ignorer tous les faits gênants à propos du monde [extérieur]. »

Une grille de lecture « logique » très pratique qui permet « de décrire très facilement tous ses succès (projet non abandonné) par l'excellence de son équipe et tous ses échecs (projet abandonné) par les caprices des autres. » Et ce salarié de Google de reprendre les justifications maison :

« Ce projet n'est pas censé être rentable ; nous en bénéficierons à chaque fois que les gens passent plus de temps sur Internet. Ce projet n'a pas besoin d'être rentable ; nous l'utiliserons pour engranger plus de données d'utilisateur. Les utilisateurs ne sont pas contents, mais c'est simplement parce qu'ils sont opposés au changement. Et ainsi de suite. »


Réhabiliter le « syndrome de l'imposteur »

Larry Page, le co-fondateur et directeur général de Google, s'est lui-même plaint du fait que « les gens sont naturellement inquiets du changement » et trop « négatifs », que « les institutions, comme certaines lois, ne changent pas » assez vite, se prêtant même à rêver d'un «morceau du monde, à part » où les technologues pourraient tester toutes sortes de «nouvelles choses » et leurs « effets sur la société », sans contrainte...

Cette explication du refus du changement, très commode, assez typique du monde des startups et de la Silicon Valley, évite de se remettre en cause. Plusieurs grands journaux américains ont récemment critiqué le manque d'humilité et le « complexe de supériorité » des ingénieurs de la Valley, leurs utopies technologistes visant à s'affranchir des gouvernements, prônant même la « sécession » de la Californie du reste des Etats-Unis.

Les employés - et les dirigeants sans doute - de Google sont en fait trop sûrs d'eux, explique d'ailleurs Avery Pennarun sur son blog : « ce que j'ai appris en travaillant ici, c'est que les gens intelligents et qui réussissent sont maudits. La malédiction est la confiance », dit-il en mots choisis. En réalité l'excès de confiance en eux. L'auteur en appelle à réhabiliter le « syndrome de l'imposteur » - ce complexe se manifestant par un doute maladif sur les raisons de ses succès professionnels - et surtout à écouter « cette voix intérieure », cette intuition que « la logique n'est pas toujours d'accord avec la réalité. »

Ce billet courageux a reçu un certain écho sur les réseaux sociaux. Un suicide professionnel diront certains : il n'est pas sûr que la direction de Google et ses collègues trouvent l'esprit de cette publication très « Googly » ...