Orange attaqué pour piratage et vol de code par une startup américaine

Par Delphine Cuny  |   |  941  mots
Stéphane Richard, le PDG d'Orange, avait lui-même présenté en novembre 2012 l'application Party Call.
Telesocial a porté plainte en Californie contre l'opérateur qu'elle accuse d'avoir piraté ses serveurs et volé sa technologie d'appels intégrés à un réseau social. Stéphane Richard avait présenté l'application Party Call avec la numéro deux de Facebook il y a deux ans. Orange réfute.

L'affaire a plus de deux ans et fait un peu tache à l'heure où tout le monde parle « open innovation », relations de confiance entre grands groupes et startups. Telesocial, une jeune pousse californienne, vient de porter plainte lundi devant un tribunal de San Francisco contre Orange, qu'elle accuse d'avoir volé sa technologie d'application d'appels intégrés à un réseau social, comme l'a révélé le Financial Times. Le PDG d'Orange, Stéphane Richard, avait lui-même présenté en novembre 2012, lors de son show à l'américaine « Hello » sur les innovations, une application baptisée Party Call permettant d'appeler directement ses contacts Facebook depuis son mobile, sans connaître leur numéro. Sheryl Sandberg, la numéro deux de Facebook, était même intervenue dans un message vidéo, saluant le fruit de ce partenariat stratégique. Polémique quelques jours plus tard, lorsque le site spécialisé Tech Crunch révélait que la startup Telesocial avait longuement discuté avec Orange pour lui fournir ce service de « conversation téléphonique sociale », mais que l'opérateur avait rompu les négociations fin juillet et préféré développer en interne sa version.

Une affaire de gros sous ?

La startup de San Francisco a porté l'affaire devant la justice française, le Tribunal de Commerce de Paris, et obtenu la saisie de documents chez Orange (des emails notamment), qu'elle accusait de violation de l'accord de confidentialité signé en avril 2012. A l'issue de plusieurs procédures et ripostes d'Orange, Telesocial n'a pas obtenu gain de cause : la Cour d'Appel de Paris a rendu un arrêt en juillet dernier permettant à Orange de récupérer les documents, sans juger l'affaire au fond. Aussi Orange se dit-il « serein », jugeant les attaques « infondées. » A l'automne 2012, l'opérateur avait fait valoir qu'il discutait avec plusieurs startups sur un tel service mais qu'aucune solution ne convenait, d'où son choix de développer en interne. En réalité, des courriers électroniques internes montrent qu'Orange avait jugé les prétentions de Telesocial beaucoup trop élevées, comme le prouvent des messages cités par la Cour d'appel :

« Je viens de recevoir le retour de Telesocial. C'est n'importe quoi sur le prix et l'exclusivité. On ne peut que refuser » écrit un des salariés d'Orange dans un courriel le 31 juillet 2012 avant d'ajouter « Nous devons mettre le plan B en route : we make ! (...) avec une petite équipe interne et compétente. »

« Tout était sur les rails jusqu'à ce que Telesocial annonce un coût pour l'expérimentation de 350K et 500K [€] pour l'exclusivité au lieu de 70K annoncés au début » indique un autre courriel interne mentionné dans l'arrêt de la Cour d'appel.

« Une excuse, un prétexte » affirme Telesocial. Si la Cour n'a pas tranché au fond, elle donne malgré tout son avis, soulignant que « le concept de l'application annoncée par Orange préexistait à la signature de l'accord de confidentialité et constituait même l'origine des pourparlers » et que Telesocial n'a émis « aucune protestation ou réponse » après le refus de l'opérateur de payer le prix demandé.

« Piratage de serveurs, vol de code et copie conforme »

Telesocial a donc changé de stratégie et s'est tournée vers la justice américaine, en allant beaucoup plus loin : selon la plainte, que La Tribune a pu consulter, elle accuse Orange, ainsi qu'une dizaine de salariés de l'opérateur nommément poursuivis, d'avoir « piraté ses serveurs en Californie à de multiples reprises et téléchargé du code informatique, volé des informations confidentielles » sur le fonctionnement de son application, afin de procéder à de la « rétro-ingénierie », pour concevoir des « copies conformes » de son appli.

Outre l'accord de confidentialité, les présentations aux logos des deux sociétés et les emails échangés entre les deux parties déjà produits auprès des tribunaux français, Telesocial fournit différentes pièces comme les connexions des ingénieurs d'Orange à ses serveurs intervenues entre août et décembre 2012, soit après la rupture des négociations. Telesocial n'aurait découvert que tardivement ces infractions et c'est précisément le comportement d'Orange qu'elle attaque et qualifie de « tromperie, vol à l'ancienne », mais aussi de violation des termes du contrat et de « concurrence déloyale. » Telesocial demande donc des dommages et intérêts, laissant au jury le soin d'estimer le préjudice subi, faisant valoir qu'elle n'a jamais réussi, in fine, à commercialiser son application. La startup affirme que l'annonce d'Orange et Facebook a dissuadé les autres opérateurs avec lesquels elle discutait. Elle présente son aventure comme le cauchemar de toute startup travaillant avec un grand groupe, celle d'un petit David terrassé par un Goliath sans scrupule.

« Le 21 novembre 2012 aurait dû être une sorte de consécration pour Telesocial. Ce moment magique de transformation que toute startup recherche, lorsque sa valorisation est catapultée du jour au lendemain dans la stratosphère. Au lieu de cela, c'est le jour où elle a appris qu'elle s'était fait escroquer » écrivent les conseils de Telesocial dans la plainte.

Les dirigeants de Telesocial, Bill Waytena et Eric Stone, devaient rêver d'un destin à la WhatsApp, l'appli de messagerie aux plus de 400 millions d'utilisateurs (à l'époque) rachetée par Facebook pour 22 milliards de dollars. Mais son application n'est jamais sortie et même celle finalement lancée par Orange, Party Call Lite, n'a connu qu'une diffusion confidentielle. Tout ça pour ça ? En termes d'image, cependant, l'enjeu est d'importance pour Orange qui a son propre programme d'accélération de startups (Orange Fab) à Paris et San Francisco...

Le procès devrait se tenir en décembre 2015.