Comment l’intelligence artificielle va transformer le monde du travail

Par Audrey Fisne  |   |  1703  mots
D'après le rapport de France Stratégie, l'IA permettrait une meilleure connaissance et expertise pour les professionnels de la santé, l'un des secteurs les plus impactés par cet ensemble de technologies. (Crédits : Reuters)
Alors que le rapport Villani, qui vise à “donner un sens à l’intelligence artificielle”, est rendu ce soir au gouvernement, France Stratégie esquisse l’impact qu’aurait l’IA dans la transformation du monde du travail. En prenant exemple sur trois secteurs (banque de détail, santé et transports), le rapport veut montrer que si l'IA peut permettre de travailler mieux et plus efficacement, elle peut aussi, dans certains cas, s'avérer néfaste pour les collaborateurs.

Plusieurs fois, le gouvernement a répété sa volonté de faire du développement de l'intelligence artificielle une priorité. En témoigne la surmédiatisation de Cédric Villani, le mathématicien, député et proche d'Emmanuel Macron qui prône les bienfaits des mathématiques et qui rend ce jour, un rapport sur le sujet. Cet ensemble de technologies, déjà fortement présent, est amené à être déployé dans de nombreux secteurs et dans notre quotidien. Force est de constater que, si l'IA aura un impact sur nos façons de nous déplacer ou de communiquer, elle en aura aussi sur nos manières de travailler. À côté des opportunités que ces avancées technologiques vont créer, il y aura de nombreux risques.

"Combien de personnes sont concernées dans leur travail au quotidien ?", questionne un rapport de France Stratégie.

"Potentiellement, tout le monde." La ministre du Travail Muriel Pénicaud et Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du Numérique ont donc demandé à l'organisme rattaché à Matignon d'examiner les impacts de l'IA sur les transformations du monde du travail. Pour ce faire, l'étude s'est appuyée sur les trois secteurs qui devraient être les plus impactés par l'IA, à savoir les transports, la santé et la banque de détail.

Ni tout noir, ni tout blanc

Évidemment, il serait illusoire de penser que le développement de l'IA dans le monde du travail soit un succès sans grisaille. Les hypothèses des transformations sont plus nuancées. De fait, France Stratégie évoque deux scénarii : l'un d'une diffusion progressive, l'autre d'une rupture. Dans le premier cas, l'intelligence artificielle serait intégrée au fonctionnement des entreprises et des organisations dans la continuité de leur transformation numérique. Les tâches, emplois et compétences se mueraient alors progressivement et les acteurs concernés pourraient être accompagnés.
Dans le deuxième cas, le changement s'effectuerait plus brutalement et s'illustrerait par un écart flagrant entre de nouvelles entreprises, françaises ou étrangères, qui auraient mieux anticipé l'IA et qui laisseraient sur le carreau les organisations déjà présentes. Leur adaptation devrait se faire dans l'urgence et cela créerait des difficultés supplémentaires.

Le défi de l'automatisation des tâches

De manière générale, le rapport explique que, d'une part l'émergence de l'IA dans le monde du travail offrirait une opportunité économique liée à des gains de productivité (baisse des coûts d'opérations automatisées, automatisation des processus de coordination entre différents services et acteurs, optimisation des flux de production...) Ces mêmes gains pourraient constituer des risques pour l'emploi, remplaçant l'humain par la machine (avec, par exemple, les chatbots, ou les véhicules autonomes). De même que les frontières entre les métiers seraient modifiées. Les travailleurs pourraient également craindre une dévalorisation de leurs compétences, une surcharge cognitive, une perte d'autonomie, un contrôle accru et une perte de sens du travail liée à l'automatisation des tâches. Mais parce que, tout n'est pas "noir ou blanc", ces mêmes technologies pourraient aussi créer de nouveaux métiers grâce, notamment au traitement massif des données (devenir le superviseur d'une flotte de véhicules autonomes ou de chatbots par exemple). En imaginant que l'IA prenne en charge des tâches routinières et répétitives, on pourrait aussi imaginer que cela soulagerait les actuels travailleurs, qui bénéficieraient d'une amélioration des conditions de travail et une valorisation des activités et des tâches.

Dans les transports, concurrence et répartition

Pour argumenter ces hypothèses, France Stratégie s'est donc appuyé sur les trois secteurs pour lesquels le développement de l'IA serait important.

Les transports tout d'abord, comprenant les marchandises, l'entreposage et les services auxiliaires, les voyageurs et le courrier. Alors que le secteur connaît une pénurie de chauffeurs dans le transport routier et de marchandises, l'IA pourrait intervenir via les véhicules autonomes. Concrètement, cela signifierait une conduite automatisée, sur les autoroutes notamment, donc, moins de chauffeurs, mais mieux répartis car il faudra tout de même des chauffeurs locaux pour amener les camions jusqu'à l'autoroute ou assurer les dessertes locales.

"D'ici 5 à 10 ans, l'IA pourrait permettre de développer la maintenance prédictive des équipements, améliorer la circulation des véhicules et optimiser la logistique, notamment en cas de perturbation", projette aussi France Stratégie.

De fait, du personnel serait nécessaire pour superviser les flottes de véhicules autonomes, pour veiller à leur sécurité, mais aussi gérer la relation client et l'accueil. Ces mêmes véhicules, potentiellement partagés par la suite, pourraient cependant concurrencer tant les autos personnelles que les taxis et les VTC.

Du côté des bénéfices, on peut imaginer que l'IA permettrait à des individus de gagner en expertise, leur permettant de gérer des pannes spécifiques. Et, plus généralement, cette technologie permettrait d'améliorer l'organisation du travail grâce à des prévisions pour les journées et pour les tâches à effectuer.

Pas de révolution, mais des suppressions d'emploi dans la banque

Avant d'imaginer les impacts de l'IA dans le secteur bancaire, il faut rappeler que celui-ci connaît une baisse des personnels depuis 2012, notamment lié à de nombreux départs en retraite et au ciblage des recrutements. Surtout, la banque est l'un des secteurs pionniers en termes de transformation numérique. Depuis plusieurs années, ses acteurs ont adopté les outils informatiques pour gérer les bases de données client, développer les opérations bancaires en ligne ou encore traiter les opérations techniques. Pour France Stratégie, cela est encourageant.

"Les acteurs possèdent aujourd'hui des masses de données très importantes et bien structurées, ce qui est propice au développement de l'IA", détaille le rapport.

Chatbot, opération de Back Office, application de trading ou encore applications servant à une veille réglementaire sont autant d'usages permis par l'IA et à prévoir. Mais si, ces technologies offrent de nouvelles possibilités, France Stratégie prévient : les chargés de clientèle ou conseillers sont en première ligne des effectifs du secteur qui seront impactés par l'intelligence artificielle. Cela signifie une diminution du nombre d'employés et une augmentation de la complexité des tâches restant à traiter.

D'énormes possibilités dans le secteur de la santé

Le troisième exemple pris par France Stratégie s'intéresse au secteur de la santé dont les professionnels représentent 7% de la population active. Et c'est là encore l'un des secteurs dans lesquels l'IA pourrait entraîner des transformations majeures : "de l'aide au diagnostic, à la prescription jusqu'à la robotisation de certains actes médicaux", détaille le rapport de France Stratégie. De fait, cela pourrait permettre aux acteurs concernés des avancées considérables :

"Avec l'arrivée de la lecture d'image automatisée, les radiologues pourraient se concentrer sur l'interprétation des pathologies complexes ou s'orienter vers la radiologie interventionnelle."

L'interprétation des électrocardiogrammes pourrait être établie par des logiciels et les médecins généralistes, urgentistes ou infirmières utiliseraient les outils en gagnant du temps et en orientant mieux les patients, résume France Stratégie. En somme, l'IA permettrait une meilleure connaissance et expertise pour les professionnels de la santé. Elle offrirait aussi la possibilité à différents corps de métiers, d'effectuer des tâches aujourd'hui réservées qu'à une partie d'entre eux, plus spécialisés.

De la même façon, les objets connectés faciliteraient les contrôles à distance et donc la prévention des pathologies, et les robots offriraient la possibilité de mieux détecter certaines maladies ou troubles cognitifs. France Stratégie projette également une meilleure centralisation des données des patients et la possibilité, pour les chirurgiens, d'effectuer des tâches plus facilement grâce au couple IA-robotique.

Des avantages qui peuvent se transformer en inconvénients

Pour envisager un scénario où l'IA saura se développer de manière stratégique sans le faire au détriment des travailleurs, le rapport prévient qu'un accompagnement est nécessaire. Car l'IA peut aussi s'avérer néfaste dans le monde du travail. Si ses outils peuvent améliorer la gestion des infos, la planification des activités et la coordination des acteurs, ils peuvent aussi créer un isolement des travailleurs et une dégradation des conditions de travail (perte d'autonomie, intensification du travail...). De la même façon, si l'IA, par ses possibilités, peut permettre à des personnels de gagner en qualification, cela peut aussi avoir l'effet inverse puisqu'elle favorise à la fois un "renforcement des besoins de spécialisation, et le développement d'un statut généraliste".

Reste à savoir, en somme, si les organisations feront le choix d'une automatisation avancée ou bien plutôt d'une complémentarité homme-machine.

Anticiper, accompagner, sécuriser

De fait, France Stratégie conclut en donnant des recommandations au gouvernement. L'organisme invite ainsi à anticiper les effets de l'IA sur le travail en effectuant de larges prospections dans les différents secteurs afin de mieux repérer quelles tâches seront automatisables ou pas. Suite à quoi, il sera nécessaire d'accompagner les organisations pour "anticiper leurs besoins de compétences" et éviter les scénarii les plus préjudiciables.

France Stratégie relève également l'importance de former les travailleurs aux enjeux de l'intelligence artificielle : aujourd'hui, seuls 44% des salariés se déclarent prêts à travailler avec une IA tandis que 20% d'entre eux s'estiment suffisamment accompagnés sur le sujet.(*)

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Enfin, les auteurs de l'étude rappellent qu'il est impératif de sécuriser davantage les parcours professionnels dans les secteurs les plus impactés par l'IA afin d'éviter que le bouleversement annoncé se situe plus du côté du scénario dommageable.

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(*) Selon l'enquête « Intelligence artificielle et capital humain : quels défis pour les entreprises ? » menée  par Malakoff Médéric et le BCG.