5.500 emplois supprimés : s'adapter ou mourir, le défi de Cisco

Par Sylvain Rolland  |   |  1060  mots
La plupart des acteurs du secteur informatique ont fait le choix de basculer une partie de leur activité vers les secteurs d'avenir que sont le cloud, l'internet des objets, le big data, les technologies en vogue (réalité augmentée et virtuelle, intelligence artificielle) ou encore les smartphones. Avec l'espoir de compenser les pertes liées aux activités historiques.
Confrontées à l’essor du cloud computing, du big data et des services à partir de logiciels, les entreprises du secteur informatique multiplient les plans de licenciements et mènent à marche forcée une réorientation stratégique souvent douloureuse. C'est à nouveau le cas pour Cisco qui supprime 5.500 emplois.

Cela devient une sinistre tradition. Depuis 2011, après la publication de ses résultats annuels, Cisco Systems annonce quasi-systématiquement un nouveau plan social. Si la série noire s'était interrompue en 2015, elle a repris de plus belle en 2016. Mercredi 17 août après Bourse, l'entreprise américaine spécialisée dans le matériel réseau et les serveurs a annoncé une nouvelle vague de suppressions de postes, la cinquième en six ans, donc.

Cette fois, le couperet tombe sur 5.500 employés, soit près de 7% de l'effectif total du groupe (73.104 salariés, dont 1.200 en France). Ce n'est pas la plus importante réduction d'effectifs de l'histoire de Cisco, qui s'est déjà séparé de 6.000 personnes en 2014, de 4.000 en 2013, de 1.300 en 2012 et de 6.500 en 2011, soit 17.800 licenciements.

     | Lire : Cisco s'apprêterait à supprimer jusqu'à 20% de ses effectifs

Malgré cette nouvelle, le groupe américain a publié des résultats supérieurs aux attentes des analystes. L'entreprise revendique un chiffre d'affaires de 12,57 milliards de dollars au dernier trimestre, contre 12,84 milliards un an plus tôt. Mais son revenu sur l'exercice fiscal 2015-2016 stagne à 49,2 milliards. Le titre a perdu 1% en Bourse dans les échanges post-clôture.

33.000 licenciements chez HP, 14.000 chez IBM...

La situation de Cisco n'a rien d'exceptionnel. Depuis quelques années, le secteur informatique subit de plein fouet la révolution numérique et ses ruptures technologiques. Les entreprises qui avaient prospéré dans le hardware, c'est-à-dire le matériel, sont confrontées à la montée en puissance du logiciel (software) et à la dématérialisation permise par l'informatique en nuage (le cloud computing), dont le champion mondial est Amazon Web Services. En permettant aux entreprises d'héberger leurs données dans le cloud plutôt que de s'équiper en serveurs lourds en maintenance, les nouveaux acteurs du numérique (Amazon, Salesforce...) rendent moins attractives les "anciennes" solutions d'hébergement et de réseaux, comme celles proposées par Cisco et ses concurrents Brocade, HP, IBM ou Juniper.

Ainsi, on ne compte plus les annonces de plans sociaux ces dernières années. En septembre 2015, HP, qui s'est scindé en deux sociétés distinctes en novembre dernier, a annoncé la suppression de 33.300 postes d'ici à 2018 dans sa branche du service informatique aux entreprises, alors que le groupe avait déjà licencié 54.000 personnes depuis 2011.

De son côté, IBM est passé de 435.000 employés en 2012 à 377.700 en 2015, soit une érosion de près de 60.000 postes. Et on a appris en mai que 14.000 emplois dans le monde étaient à nouveau menacés. Et ainsi de suite : 12.000 licenciements prévus chez Intel, 10.000 suppressions de postes en 2015 chez Dell, 18.000 en 2014 chez Microsoft... Les ruptures technologiques et la montée en puissance d'acteurs issus d'Internet (Google, Apple, Amazon) ou d'Asie dans le marché des ordinateurs (Huawei, Lenovo) poussent tous les géants du secteur informatique à effectuer des changements drastiques, à la fois en se séparant d'une partie non négligeable de leur effectif, mais aussi en réorientant leur business model vers de nouveaux relais de croissance.

     | Pour aller plus loin : HP, géant endormi à la recherche d'un second souffle

S'adapter ou mourir

Puisqu'il faut s'adapter ou mourir, la plupart des acteurs du secteur informatique ont fait le choix, avec plus ou moins de talent et de succès, de basculer une partie de leur activité vers les secteurs d'avenir que sont le cloud, l'internet des objets, le big data, les technologies en vogue (réalité augmentée et virtuelle, intelligence artificielle) ou encore les smartphones. Avec l'espoir de compenser les pertes liées aux activités historiques.

Ainsi, les licenciements sont souvent justifiés par cette nécessaire "réorientation". C'est le cas de Cisco. "L'entreprise a besoin de compétences différentes pour son futur orienté vers les logiciels", a déclaré au site spécialisé CRN une source interne. Et de poursuivre. "En théorie, les parts de marché atteignables devraient être plus importantes et les marges plus fortes, mais il faudra du temps pour effectuer cette transition". Les économies réalisées grâce aux suppressions d'emplois serviront à financer les nouveaux relais de croissance, d'après l'entreprise.

Diversification dans une multitude de secteurs d'avenir

Le cloud intéresse particulièrement les acteurs traditionnels des solutions d'hébergement pour les entreprises comme Cisco. Selon l'institut de recherche Synergy, le secteur progresse fortement chaque année. Problème: si tous les acteurs voient leur part du gâteau grossir, les places restent chères. A lui seul, Amazon Web Services accapare plus de 30% du marché mondial au deuxième trimestre 2016, suivi par Microsoft (près de 12%), IBM (près de 8%) et Google (près de 6%). Les 20 suivants, dont HPE, Oracle, Cisco, Salesforce, Orange ou encore AT&T, se partagent les miettes.

     | Pour aller plus loin : Le cloud et l'Internet des objets sont l'avenir de Microsoft

En général, les entreprises informatiques ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier. Confronté à la baisse des investissements des opérateurs télécoms et des entreprises dans les routeurs et les commutateurs depuis plusieurs années, Cisco se renforce aussi dans la sécurité et dans l'analyse des données, secteurs dans lesquels il a effectué plusieurs récentes acquisitions de startups. Cette activité, qui comprend les pare-feu et autres systèmes de protection, a d'ailleurs réalisé une progression de 16% de son chiffre d'affaires au dernier trimestre.

Face au déclin de l'équipement informatique en PC et tablettes (-20% sur un an), HP se réoriente sur le haut de gamme et développe l'impression 3D pour les entreprises. De son côté, en plus du cloud, Intel met le cap sur la réalité virtuelle, l'intelligence artificielle et l'Internet des objets, tout comme Microsoft.

Quel que soit l'impact de la révolution numérique sur leur business et les choix effectués pour trouver de nouveaux relais de croissance, toutes les entreprises du secteur informatique ont une même obsession : être perçues avant tout comme des entreprises technologiques et gagner leur place la nouvelle économie. Ainsi, la réaction de JP Morgan à l'énième annonce de plan social de Cisco est révélatrice. L'institution a confirmé sa recommandation Neutre sur le titre de Bourse, car à ses yeux, cette initiative révèle enfin une prise de conscience de la transformation profonde de son activité.