Malgré le Brexit, pourquoi Londres reste le champion du capital-risque en Europe

Par Sylvain Rolland  |   |  1090  mots
Malgré les incertitudes autour du Brexit, Londres cumule déjà quelque 2,56 milliards de livres (2,9 milliards d'euros) d'investissements dans la tech entre le 1er janvier et le 31 mai.
Malgré le Brexit, Londres reste, de très loin, la première destination européenne pour les investissements en capital risque dans les startups. En six mois, les startups londoniennes ont déjà levé 2,56 milliards de livres (2,9 milliards d'euros).

Le Brexit n'y fait rien : année après année, le Royaume-Uni consolide sa place de leader des investissements dans la tech. Et malgré le chaos de la situation politique britannique, 2019 ne semble pas déroger à la règle, d'après une étude du cabinet London & Partners, l'organisme de promotion de la capitale britannique, dévoilée à l'occasion de la "London Tech Week", une semaine de promotion de l'écosystème tech londonien.

2,9 milliards d'euros levés par les startups de Londres en six mois

Ainsi, malgré les incertitudes autour du Brexit, Londres cumule déjà quelque 2,56 milliards de livres (2,9 milliards d'euros) d'investissements dans la tech entre le 1er janvier et le 31 mai. Dans ce classement, Londres devance Berlin (1,22 milliards d'euros) et Paris (1,1 milliard d'euros). A noter que l'étude se concentre uniquement sur les capitales et non pas sur les pays : en France par exemple, Paris et sa région ont concentré 73% des montants investis en 2018, d'après le Baromètre du capital risque de EY. Le ratio est quasiment le même pour Londres, qui concentrait fin 2018 75% des investissements britanniques.

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Autrement dit, si cette dynamique se poursuit jusqu'à la fin de l'année, le Royaume-Uni devrait encore largement dominer ses deux principaux rivaux européens, la France et l'Allemagne. Car ces 2,9 milliards d'euros levés en six mois représentent déjà les deux tiers de l'ensemble du montant levé par les startups françaises en 2018, établi à 3,65 milliards d'euros d'après EY.

"Londres est le principal hub technologique de l'Europe", s'est réjoui le maire de Londres Sadiq Khan, qui souligne que sa ville "reste ouverte à l'investissement et aux talents du monde entier".

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Londres toujours très attractive pour les géants de la tech

Pourtant, le vote en faveur du Brexit du 23 juin 2016 a fait craindre aux professionnels un tarissement des arrivées de jeunes talents étrangers dans le secteur technologique, notamment en provenance du reste de l'Europe. Ainsi, le directeur général français du fonds d'investissement londonien Balderton Capital, expliquait à La Tribune que le Brexit serait "forcément négatif" pour la tech, notamment pour la question cruciale de l'accès aux talents. "Le Brexit apporte le risque d'un repli sur soi, de complications nouvelles pour faire du business avec le continent. C'est forcément négatif pour la tech, qui fonctionne par essence sur un écosystème ouvert", indiquait-il.

Pour l'instant, la principale conséquence du Brexit pour la tech britannique semble être la dynamique des investissements: la France et l'Allemagne ont profité respectivement d'une croissance de 27% et 26% entre 2017 et 2018, alors que les Britanniques ont accusé un léger recul sur la même période. Mais rien de grave étant donné l'avance du pays. Autre répercussion mineure : quelques entreprises comme les japonaises Panasonic et Sony ont décidé de transférer leur siège européen depuis Londres vers le continent. Mais sans conséquence marquante sur l'emploi. D'autres, comme Facebook, Microsoft ou IBM, ont choisi d'installer des filiales dédiées à la recherche, notamment dans l'intelligence artificielle, à Paris plutôt qu'à Londres. Mais les conditions fiscales très incitatives de la France pour la recherche ont sûrement pesé dans l'équation au moment du choix.

En réalité, l'impact du Brexit est donc très limité jusqu'à présent. Au-delà du financement des startups, Londres a bénéficié de la confiance des géants américains du Net, qui ont annoncé ces dernières années plusieurs projets majeurs dans la capitale britannique. Apple prévoit ainsi de rassembler 1.400 de ses employés sur un nouveau "campus" actuellement en construction sur le site d'une ancienne centrale électrique dans le quartier de Battersea (sud-ouest de Londres).

De son côté, Google prépare son arrivée en force au cœur de la ville, où 4.500 employés pourraient prendre place dans un long bâtiment flambant neuf construit près des voies ferrées partant de la gare historique de King's Cross. Dans ce même quartier, Facebook prévoit de louer trois nouveaux bâtiments pour doubler ses effectifs londoniens qui pourraient atteindre 6.000 personnes. Amazon, Microsoft, Spotify et LinkedIn sont aussi en train de renforcer leur présence dans la capitale britannique.

Un écosystème profond, mature et bien ancré

Si la perspective du Brexit impacte peu le secteur de la high tech, c'est aussi parce que Londres et l'ensemble du Royaume-Uni disposent de l'un des écosystèmes d'innovation les plus matures au monde.

"Londres bénéficie d'une « prime au premier », car le Royaume-Uni a pris le virage de la tech dès 2008, explique Bernard Liautaud. Pendant la crise, le gouvernement a réalisé que l'industrie financière n'était plus le salut. Il a alors commencé à faire la promotion de l'entrepreneuriat, de l'innovation, et il a mis en place un environnement réglementaire et fiscal très attractif, avec des incitations encourageant à investir dans les startups. Le pays bénéficie aussi de sa proximité culturelle et linguistique avec les États-Unis, ce qui favorise les ponts, et de l'excellence de ses universités, comme Cambridge et Oxford, qui forment de très bons ingénieurs et qui sont vraiment l'équivalent de Stanford en Europe. Ces écoles sont très attractives pour les talents étrangers"

Les autres pays européens ont pris ce virage beaucoup plus tard, notamment la France qui a propulsé Bpifrance comme le vaisseau amiral de l'innovation en France à partir de 2012 et lancé la Mission French Tech en 2013. Par conséquent, des fonds d'investissement se sont greffés plus tôt sur cet écosystème et sont capables d'investir des tickets très importants pour permettre à une startup britannique de grandir pour soit devenir un géant, soit se faire racheter. Ainsi, le Royaume-Uni comptait fin 2018 pas moins de 72 licornes, ces startups non-cotées mais valorisées plus d'un milliard d'euros, dont 13 nouvelles, d'après une étude de Dealroom.co publiée par le réseau professionnel Tech Nation. A titre de comparaison, la France en compte aujourd'hui seulement cinq : le champion du cloud OVH, le site de e-commerce vente-privee.com, le réseau de covoiturage BlaBlaCar, la plateforme de streaming musical Deezer, et, depuis quelques mois, le site de rendez-vous médicaux Doctolib.

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