E-commerce : Amazon ne signera pas la "charte de bonne conduite" envers les PME françaises

Par Sylvain Rolland  |   |  858  mots
Amazon coule la "charte de bonne conduite" envers les PME et TPE françaises de Mounir Mahjoubi au dernier moment. (Crédits : Brendan McDermid)
Mounir Mahjoubi avait annoncé en exclusivité dans nos colonnes la signature à venir cette semaine d'une "charte de bonne conduite" des plateformes de e-commerce comme Amazon, Le Bon Coin, Cdiscount et eBay, envers les PME et TPE françaises qui en dépendent pour vendre leurs produits. Mais le géant Amazon, qui pèse à lui seul 20% du e-commerce français et pose le plus de problèmes à ses vendeurs tiers, a refusé au dernier moment de signer, provoquant "la colère" du ministre. Explications.

Amazon coule la "charte de bonne conduite" de Mounir Mahjoubi au dernier moment. Alors que le secrétaire d'Etat au Numérique annonçait en exclusivité dans nos colonnes la signature, prévue mardi, d'une charte engageant "toutes les grandes plateformes de e-commerce" à davantage de transparence envers leurs vendeurs tiers, c'est-à-dire les PME et TPE françaises qui sont obligés d'y vendre leurs produits pour accéder au public, l'initiative fait flop. Une fin amère pour une négociation de cinq mois entre les plateformes et le gouvernement.

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Cinq mois de médiation, Amazon se retire au dernier moment

Dans une interview au Parisien, Mounir Mahjoubi explique que la charte va bien être signée mardi, comme prévu. Mais sans Amazon ni Alibaba. Si les autres grandes plateformes de e-commerce en France -Leboncoin, Rakuten, Cdiscount, eBay, Fnac Darty, La Redoute, Mano mano et Conforama- signeront bien le document, l'absence d'Amazon fait vraiment tache, car le géant américain pèse à lui seul 20,2% du marché du e-commerce français, soit un peu plus d'une vente sur cinq en ligne, d'après le baromètre annuel Kantar/LSA publié en novembre dernier. C'est aussi Amazon qui cristallise les tensions avec les PME françaises. Autrement dit, le retrait du géant américain vide en partie de son sens une initiative lancée en réalité en grande partie à cause de lui.

Pour résoudre le problème, Mounir Mahjoubi avait convoqué en novembre dernier les grandes plateformes du e-commerce à une "médiation" inédite. Un site Internet a été lancé début novembre pour permettre aux PME et TPE françaises de faire part des difficultés rencontrées sur les plateformes. Une "centaine" de témoignages sont remontés, la plupart exprimant des doléances à l'égard d'Amazon, même si d'autres plateformes ont également été citées.

Le gouvernement les a ensuite rencontrées pour mettre au point cette "charte de bonne conduite", censée "anticiper le futur règlement européen sur le e-commerce"qui n'arrivera pas avant 2020 au minimum, comme l'expliquait Mounir Mahjoubi dans nos colonnes. Son contenu sera révélé en détails mardi, mais celle-ci engage les plateformes à faire preuve de "davantage de transparence dans la relation commerciale" avec les PME, notamment mettre des moyens humains pour répondre rapidement, par téléphone ou par courriel, aux problèmes rencontrés par les vendeurs tiers.

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Rupture unilatérale des relations, déréférencement brutal, baisses contraintes des prix, contrefaçons...

Plus de 10.000 PME et TPE françaises utilisent Amazon pour vendre leurs produits, afin de toucher une nouvelle clientèle et augmenter leur chiffre d'affaires. Pour une partie d'entre elles, être sur Amazon et consorts est une question de vie ou de mort, puisque les plateformes sont la porte d'entrée vers les consommateurs à l'heure du e-commerce.

Cette situation créé donc un rapport de forces déséquilibré, les TPE/PME étant de fait dépendantes du bon vouloir des plateformes. Les principaux motifs de mécontentements révèlent des pratiques drastiques : rupture unilatérale des relations sans aucune explication, déréférencement brutal et arbitraire, baisses contraintes des prix... Sans compter la présence de nombreuses contrefaçons de produits importés, notamment de Chine, créant une concurrence déloyale pour les acteurs français. L'arbitraire des prix pratiqués est également un problème : lors du renouvellement de leur contrat, certains vendeurs tiers doivent payer des frais multipliés par deux ou par trois, pour atteindre parfois 35 % de leur chiffre d'affaires, sans pouvoir les négocier.

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La librairie Merris Livre (Hauts-de-France) témoignait ainsi en fin d'année dernière, lors de la conférence de presse de lancement de la médiation :

"En juillet, dans la nuit, nous avons reçu un mail d'une plateforme pour nous signaler la fermeture de notre compte, sans délai et sans justification [les PME ne sont pas autorisées à nommer les plateformes pour des raisons de confidentialité des médiations, Ndlr]", témoigne un représentant de Merris Livres. "Dans les semaines qui ont suivi, j'ai reçu 40 messages identiques m'indiquant que j'aurais une explication dans les 48 heures... Il se trouve que mon compte a été fermé car un concurrent avait signalé un article non conforme - sur nos 125.000 articles proposés à la vente !"

Et de poursuivre :

"Après quelques mois, notre compte a été rouvert du jour au lendemain, et 250 commandes sont arrivées de nulle part. Sauf qu'entre temps, nous avons connu une baisse importante de notre chiffre d'affaires et licencié la moitié des effectifs en charge de la logistique (...) En deux mots, notre relation avec les plateformes se résume à paranoïa - avec la peur d'être déréférencé du jour au lendemain - et impunité."