"Il ne faut pas opposer "Gilets jaunes" et startup nation" (Mounir Mahjoubi)

ENTRETIEN EXCLUSIF. Le secrétaire d'État au Numérique Mounir Mahjoubi appelle à un accord international à l'OCDE sur la fiscalité des géants du Net. Il dévoile en exclusivité sa feuille de route pour la French Tech et ses ambitions pour la mairie de Paris.
Sylvain Rolland
(Crédits : Mario-Fourmy/SIPA)

Presque deux ans après sa nomination en tant que secrétaire d'État au numérique, Mounir Mahjoubi se livre sur son bilan, ses principes, et révèle en exclusivité son carnet de route pour les mois à venir. Le candidat à l'investiture LREM pour la mairie de Paris va ainsi dévoiler dans quelques semaines une initiative pour empêcher l'accès aux mineurs à la pornographie. Une charte de « bonne conduite » entre les plateformes de e-commerce comme Amazon et les TPE-PME qui en dépendent est aussi dans les tuyaux. Il annonce aussi 13 Capitales French Tech et environ 80 Communautés French Tech en France et dans le monde, ainsi que le lancement d'une initiative pour encourager l'investissement dans les startups dirigées par des femmes.

LA TRIBUNE - Vous êtes en poste depuis bientôt deux ans, mais vous avez annoncé que vous démissionnerez si vous êtes désigné comme candidat LREM pour les municipales à Paris. Qu'avez-vous accompli en tant que secrétaire d'État au numérique ?

MOUNIR MAHJOUBI - Depuis 2017, j'ai été guidé par deux valeurs : la performance et l'humanité. La performance, c'est tout faire pour que des champions français du numérique puissent émerger, donc donner un coup d'accélérateur à l'écosystème d'innovation. C'est pourquoi il a fallu réformer la Mission French Tech pour soutenir davantage les scale-up [les startups en hyper-croissance, ndlr] et attaquer de front la question des talents qui est cruciale pour nos futurs champions. La performance, c'est aussi placer la France en pointe sur les technologies de demain, avec le plan sur l'intelligence artificielle ou le plan deep tech par exemple. Enfin, c'est notre promesse d'un État 100% dématérialisé, avec France Connect, pour faire en sorte de développer les usages autour du numérique.

Parallèlement, ce que j'appelle l'humanité, c'est donner du sens à l'investissement dans la performance, pour que la révolution numérique n'oublie personne. Le développement de la Grande école du numérique, le programme French Tech Tremplin de 15 millions d'euros pour aller vers davantage de diversité sociale et de mixité dans la tech, le plan pour numériser les TPE-PME ou les initiatives sur l'inclusion numérique, tout ceci est très important pour inclure le plus de monde possible. Je crois aussi beaucoup en la régulation - lutte contre la haine sur Internet, encadrement des relations entre les PME et les plate-formes comme Amazon, taxation des géants du Net... - parce qu'il faut agir vite pour corriger les effets négatifs.

En 2017, Emmanuel Macron incarnait une « startup nation » populaire dans l'opinion. Ce n'est plus du tout le cas deux ans plus tard, notamment depuis le mouvement des « Gilets jaunes »...

Les « Gilets jaunes » représentent des Français qui se sentent laissés sur le carreau. De leur côté, les startups symbolisent une France privilégiée. Et c'est vrai : il y a trop peu de mixité et de diversité sociale dans la French Tech. Mais la startup nation n'est pas une chose négative. J'essaie de rester le plus grand défenseur des startups, car il est important de dire que l'innovation peut être orientée vers la « tech for good ». Il ne faut pas oublier que les startups nous aideront demain à mieux nous soigner, à mieux consommer et à mieux se déplacer. Il faut rappeler que la technologie permet de désenclaver des territoires, de créer des emplois. Investir dans la technologie, c'est aussi investir dans notre souveraineté pour moins dépendre des autres pays.

Ce discours est-il audible aujourd'hui ?

Ce n'est pas facile. J'essaie d'incarner une innovation positive avec ma propre histoire : j'ai créé plusieurs startups tout en venant d'un milieu populaire. Mon parcours n'est pas banal dans l'entrepreneuriat et ce serait bien qu'il le soit. J'ai la conviction que l'entrepreneur peut changer le monde et jouer un rôle positif dans la société. Si on promeut un système californien avec des startups folles, sans règles, qui partent à la conquête du monde sans regarder l'impact négatif qu'elles pourraient avoir, forcément la société explose.

Les années passent et le nombre de femmes à la tête des startups reste coincé à moins de 10%. Aucune statistique n'existe sur la diversité sociale et ethnique, mais les jeunes hommes urbains et surdiplômés dominent très largement. Est-ce surtout un échec des politiques publiques ?

La situation est la même partout dans le monde. Elle n'évolue pas assez vite en France. Mais nous agissons. L'initiative Femmes@Numérique aborde la sous-représentation des femmes dans la tech de manière globale, dans l'éducation et dans l'entreprise. French Tech Tremplin s'attaque à la diversité sociale avec une exigence de parité femmes-hommes. Les associations sur lesquelles on s'appuie pour promouvoir la diversité dans l'entrepreneuriat, comme Startup Banlieue, Diversidays ou Les Déterminés, se féminisent à hauteur de 30% à 40% des projets, soit davantage que l'écosystème. Mais il est exact qu'on manque d'outils. On ne demande pas aux fonds d'investissement, notamment ceux dans lesquels l'Etat a des participations, de rendre des comptes sur la diversité dans leurs investissements. Une initiative va être lancée dans ce sens dans quelques semaines.

Combien y aura-t-il finalement de Capitales et de Communautés French Tech en France et à l'international et à quoi vont-elles servir ?

Nous annoncerons bientôt les 13 Capitales French Tech, avec une ambition plus forte qu'auparavant. Pour créer une Capitale French Tech, il faut réunir des scale-up dans plusieurs secteurs, avec une capacité à se déployer à l'étranger, la présence d'investisseurs et d'un certain nombre d'entreprises lauréates du Pass French Tech. Les Communautés French Tech seront plus nombreuses : une quarantaine en France et une quarantaine à l'international. L'idée est qu'à chaque endroit où il y a des entrepreneurs, une Communauté French Tech puisse exister, ce qui nous permettra de mieux aider les startups à percer.

Comment rééquilibrer le rapport de force entre les plateformes toutes-puissantes comme Amazon et les TPE et PME françaises qui en dépendent ?

Une charte va être annoncée début avril. Les plateformes s'y engagent à davantage de transparence dans la relation avec les PME, en mettant un humain qui répondra par téléphone ou par courriel à chaque TPE-PME pour éviter des déréférencements sauvages et des décisions arbitraires comme cela a été dénoncé par la centaine de PME qui ont répondu à notre appel à témoignages à l'automne dernier. Cette charte sera un point d'étape. Son objectif est d'anticiper l'arrivée du règlement européen Platform-to-Business (P2B), en discussions à Bruxelles, sur le même sujet.

On vous a beaucoup entendu sur la lutte contre les contenus haineux et l'accès à la pornographie en ligne pour les mineurs. Une loi est en préparation pour lutter contre les contenus haineux. Y en aura-t-il une autre sur la limite d'accès à la pornographie aux mineurs ?

Il y a beaucoup de pression de la part des enseignants, des parents et des directeurs d'école, qui sont désemparés. Une mission va être lancée pour examiner nos options. J'ai déjà mentionné la possibilité de mettre en place un vérificateur d'âge [fournir une pièce d'identité pour accéder aux contenus pornographiques]. D'autres moyens vont aussi être analysés.

De nombreux économistes de tous bords, mais aussi les fédérations professionnelles du numérique et certaines ONG marquées à gauche, estiment qu'une taxe fondée sur le chiffre d'affaires par pays est une mauvaise solution au problème de la fiscalité des Gafa. Qu'en pensez-vous ?

La taxation sur la base du chiffre d'affaires, c'est la pire solution ! Cela pénalise l'activité à la place de taxer la valeur créée sur le territoire. Et pourtant c'est ce qu'on fait, car c'est l'option que l'on choisit quand on n'a plus aucune autre option. Cela signifie que l'on n'a pas réussi à traiter le vrai problème, c'est-à-dire chiffrer la création de valeur des géants du Net dans chaque pays en déterminant à la fois une assiette pertinente de l'impôt à l'ère numérique, et sa territorialité. Cette question cruciale nécessite un accord au niveau international, via l'OCDE.

Si la taxe Gafa telle qu'elle est prévue en France est « la pire des solutions », pourquoi la défendez-vous ?

On ne peut pas attendre qu'un compromis mondial soit trouvé. Cette taxe n'est pas parfaite mais elle va apporter un peu d'argent à l'État [400 millions d'euros par an, soit 0,03% des recettes publiques, ndlr]. Surtout, en agissant dès à présent, la France oblige tout le monde à se mobiliser. Le résultat est que les choses n'ont jamais avancé aussi vite que ces dernières semaines au niveau de l'OCDE.

Vraiment ? La solution française ne fait même pas partie des pistes de travail de l'OCDE révélées en février. Difficile de voir dans l'accélération récente du calendrier de l'OCDE la main de la France...

L'engagement de la France dans sa propre taxe a poussé les États-Unis à changer de doctrine vis-à-vis des négociations à l'OCDE. Depuis huit ans, ils bloquaient tout. Aujourd'hui, ils veulent trouver une solution le plus rapidement possible, comme l'a réaffirmé mi-mars à Bercy le secrétaire d'État américain au commerce. Même Google se bat dans ce sens-là, alors qu'il agissait jusqu'à présent pour prolonger le statut quo le plus longtemps possible. Donc oui, c'est en partie grâce à nous. C'est aussi grâce à tous les pays qui ont annoncé leur volonté de faire une taxe nationale comme le Royaume-Uni ou l'Espagne. Il était temps de dire « stop » pour mobiliser la communauté internationale. J'espère que la taxe française sera appliquée le moins longtemps possible. Dès qu'une solution à l'échelle de l'OCDE est trouvée, peut-être dès 2020, on supprimera cette taxe.

Quel maire voulez-vous être pour Paris et quels thèmes voulez-vous mettre en avant pour gagner l'investiture de votre parti puis la mairie ?

Je pense que Paris, mais c'est aussi valable pour la France, a besoin d'élus ayant une vision entrepreneuriale et pragmatique des choses, tout en mettant l'humain et la proximité avec les citoyens au cœur de l'action publique. La bataille pour gagner Paris sera difficile, à commencer par l'investiture LREM. Il faudra quelqu'un de populaire, de solide, qui le veuille très fort et qui sera prêt à se battre.

Je suis né à Paris, j'y ai grandi, j'ai envie de rendre à cette ville tout ce qu'elle m'a donné. Partout où je serai dans les prochaines années, qu'il s'agisse de Paris, d'un autre ministère ou ailleurs, je garderai la même philosophie d'action : performance et humanité. Le numérique et Paris sont mes deux passions. Le numérique est une opportunité majeure pour développer l'activité économique au service de tous. Je crois que Paris peut être à la fois une ville moderne et innovante, et que ce progrès peut aider à favoriser les talents issus de la diversité, de la mixité, et avoir un impact positif sur les personnes les plus fragiles.

Lorsque vous avez annoncé vote candidature au journal Le Parisien, vous avez eu un discours très marqué à gauche, notamment sur le logement et la démocratie participative, ce qui vous positionne davantage comme un rival pour Anne Hidalgo que pour vos concurrents LREM, notamment Benjamin Griveaux. Votre stratégie est-elle de rivaliser avec Anne Hidalgo sur la gauche tout en élargissant votre électorat ?

Le développement économique n'est pas forcément de droite et le social n'est pas forcément de gauche. J'ai rejoint LREM car j'ai estimé que l'appartenance philosophique à la gauche ou à la droite ne voulait plus rien dire. Par contre, est-ce que je me réveille le matin en ayant d'abord une douleur pour les moins favorisés, la réponse est oui. Je pense que la solution est de permettre à ceux qui vont plus vite de réussir pour créer de l'emploi, innover, afin de pouvoir redistribuer les richesses au service du plus grand nombre. C'est pour cela que j'ai été délégué syndical et entrepreneur. Je suis en phase avec le discours de Bruno Le Maire, qui dit qu'il faut d'abord créer les richesses avant de les redistribuer. Ma méthode à moi pour la création de richesse, ce n'est pas l'industrie mais l'hyper-technologie. Mais sans perdre de vue le sens. Je veux une ville connectée et intelligente pas parce que c'est à la mode, mais pour servir les gens, leur permettre de mieux manger, de mieux se déplacer, de trouver des emplois.

Matignon et l'Élysée ne vous ont pas trouvé très courageux de dire que vous quitterez le gouvernement uniquement si vous êtes désigné comme le candidat de LREM. Vous maintenez ?

Après les événements de samedi derniers liés aux « gilets jaunes », après le Grand débat, partir maintenant alors que les Français attendent beaucoup de réponses dans les mois à venir serait très lâche. Il est courageux de rester ministre dans un moment difficile comme celui-là. C'est ce que j'ai dit Benjamin Griveaux. Ce n'est pas le moment de déserter. Il ne faut pas perturber ni les élections européennes ni le Grand débat en provoquant un remaniement. C'est pour cela que je souhaite repousser les investitures pour les municipales le plus loin possible, en juin.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaires 11
à écrit le 24/03/2019 à 11:32
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Si quelqu'un peut m'expliquer le lien entre GJ et Start Up nation? Encore de la logorrhée verbale de politicien professionnel....

à écrit le 23/03/2019 à 23:55
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"startup nation", "french tech", "french fab", "pass culture", et cætera. Savent-ils encore parler le français ? En fait, sont-ils véritablement français ?

à écrit le 23/03/2019 à 18:12
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"start up nation" n'est qu'un non sens, car ce mot fait table rase de la nation et par conséquent du peuple. "gilet jaune" est le signal de détresse du peuple nié les hauts fonctionnaires de l'Etat.

à écrit le 23/03/2019 à 12:21
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Il est vrai que le rapport entre les deux est évident. Ce genre de phrase est du pur jargon technocratique. Du pipotron déchaîné pur sucre.

à écrit le 23/03/2019 à 12:20
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et il n y aura pas de charte de bonne conduite pour le traitement des salariés? AH mon pauvre monsieur, c'est la compétition, ils pourraient partir, c'est donc aux salariés à faire des efforts, au fait, combien est valorisé amazon et que rapporte t ...

à écrit le 22/03/2019 à 20:13
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avec une noisette de gomina, je t'en fais un Benalla, c'est ca une startup.....

à écrit le 22/03/2019 à 16:22
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Une nation ne peut pas être que startup tout comme elle ne pas pas être que gilet jaune elle doit donner sa place à chacun

à écrit le 22/03/2019 à 14:21
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Toujours taxer les bénéfices des autres …. et ne rien créer d'équivalent ….c'est à terme de l'appauvrissement…!

à écrit le 22/03/2019 à 13:48
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Sacré Mounir, ça serait la pire nouvelle pour sa future carrière en effet :) Mieux vaut une charte de bonne conduite qui les convaincra à coup sur d'arreter de gagner des centaines de millions sur le dos des Etats... Pathétique...

à écrit le 22/03/2019 à 13:22
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Il faut tuer les outils d'évitements fiscaux qui sont fournis aux GAFA et Cie, aux entreprises, aux grands patrons, aux oligarques, et au blanchiment. Donc les cibles de l'OCDE et de l'EU devrait être seulement et uniquement les paradis fiscaux, afin...

le 22/03/2019 à 16:49
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Le 1er titre de cet article, ce midi, était : "Taxer le chiffre d'affaires des Gafa, c'est la pire solution" (Mounir Mahjoubi) Justification de mon commentaire décalé. Ce n'est pas moi qui me suis emmêlé les crayons !

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