Laprimaire.org : qui sera le candidat citoyen pour défier Fillon, Macron, Mélenchon, Le Pen et les autres ?

Par Sylvain Rolland  |   |  2175  mots
Michel Bourgeois, Nicolas Bernabeu, Charlotte Marchandise, Roxane Revon et Michael Pettini (de gauche à droite) sont les cinq finalistes de laprimaire.org. Les votes sont ouverts.
Entre la primaire de la droite de novembre et celle de la gauche de janvier se tient une autre primaire, moins médiatique mais inédite, celle des citoyens. Plus de deux cents personnes étaient sur la ligne de départ, cinq sont toujours en lice en finale. Le vote en ligne commence jeudi 15 décembre et s'achèvera à la fin du mois.

Ils s'appellent Michel Bourgeois, Roxane Revon, Charlotte Marchandise, Nicolas Bernabeu et Michael Pettini. Ils ont entre 30 et 52 ans. Ils vivent en Corse-du-Sud, en Île-et-Vilaine, dans le Lot-et-Garonne, à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Leur point commun ? Ces hommes et femmes sont les cinq finalistes de laprimaire.org, une primaire ouverte, démocratique, hors de tout parti politique, et en ligne. Ces citoyens font campagne, à leur rythme et loin des médias, depuis avril. A la fin du mois, l'un d'entre eux gagnera son ticket pour concourir à l'élection présidentielle de 2017, aux côtés de François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et tous les autres candidats "traditionnels", issus des formations politiques.

Réformer le processus de désignation des candidats

Créée par un avocat, David Guez, et un ingénieur/entrepreneur, Thibauld Favre, laprimaire.org est une association qui s'inscrit dans le mouvement des Civic Tech. Son objectif : insuffler un renouveau démocratique, donner aux citoyens, grâce à Internet, un nouveau moyen de se faire entendre. Et présenter à l'élection présidentielle "le seul candidat vraiment issu du peuple", comme l'explique Thibauld Favre :

"Les partis politiques représentent 365.000 personnes, soit 0,5% de la population française. Ils désignent des candidats aux élections que les citoyens rejettent massivement et de plus en plus systématiquement, car ils contestent leur légitimité. Le vote tel qu'il est aujourd'hui est d'ailleurs moins un vote d'adhésion que d'élimination. Nous pensons que le problème de fond est la professionnalisation de la politique, l'enfermement que créent les partis traditionnels. Il n'est pas normal que le peuple ait le choix entre des candidats qu'il n'a pas choisi. Il faut donc changer le mode de désignation des candidats."

Certes, mais permettre aux citoyens de choisir leur candidat, n'est-ce pas précisément le but des primaires ? Celle de la droite et du centre, qui s'est tenue en novembre, a mobilisé pas moins de 4,2 millions de personnes au premier tour, et 4,4 millions au second. "C'était un exercice démocratique salutaire, mais encore une fois, les votants n'ont pas directement choisi leurs candidats, précise Thibauld Favre. Ils ont dû départager les stars de la droite. Tous sont là depuis très longtemps". Loin d'un Barack Obama en 2008, bénéficiaire d'une ascension express au sein du Parti Démocrate américain, et même de Donald Trump en 2016, qui se situait à la marge du Parti républicain avant de gagner sa primaire et de triompher d'Hillary Clinton, perçue comme la candidate d'un système à bout de souffle.

     | Lire. Comment les Civic Tech redonnent du pouvoir aux citoyens

500 candidats sur la ligne de départ, un(e) seul(e) à l'arrivée

L'aventure de laprimaire.org a débuté fin 2015. Avec un credo : tout le monde peut se présenter, toutes les idées sont les bienvenues. Pendant plus de trois mois, David et Thibauld font un tour de France pour dénicher les premiers candidats. « En avril 2016, lors du lancement officiel de la plateforme, nous n'en avions que 20 », raconte Thibauld Favre.

Finalement, d'avril à juillet, 215 citoyens déclarent leur candidature. Mais pour accéder au premier tour - et éliminer les farfelus et autres touristes peu motivés -, il faut recueillir au moins 500 soutiens citoyens. Le 15 juillet, à la clôture de la phase de pré-sélection, 16 candidats avaient atteint cet objectif : douze hommes, quatre femmes, de 24 à 71 ans, grâce à une intense campagne de mobilisation sur les réseaux sociaux et sur la base d'une ébauche de programme.

D'août à octobre, les seize qualifiés ont constitué une équipe et peaufiné leur programme, thème par thème (économie, environnement, fiscalité, Europe, institutions, agriculture, migrations, culture, société...), en l'ouvrant, pour certains, aux propositions des internautes. Quatre d'entre eux ont fini par renoncer, dont trois pour se ranger derrière un candidat aux idées similaires.

     | Lire. Les Civic Tech à suivre pour les primaires et la présidentielle

Une méthode de vote innovante : le jugement majoritaire

Le premier tour s'est tenu sur internet, par un vote électronique, du 26 octobre au 6 novembre. 11.304 votants y ont participé. Avec une forte innovation dans la méthode de vote. "Nous voulions créer un système où on ne vote plus par défaut ou contre une personne, mais pour un projet", précise Thibauld Favre.

Cette méthode s'appelle le "jugement majoritaire". Elle a été inventée par deux mathématiciens du CNRS, Michel Balinski et Rida Laraki. Plébiscité par de nombreux chercheurs dans le monde, il s'agit d'un mode de sélection positif, basé sur l'adhésion, dont les résultats sont censés illustrer la volonté des électeurs.

Pour sélectionner les cinq finalistes, chaque votant s'est vu attribuer, aléatoirement grâce à un algorithme, un "lot" de cinq candidats. Il a ensuite dû les noter à l'aide de mentions: "insuffisant", "passable", "assez bien", "bien" ou "très bien". A l'issue du vote, les cinq candidats dont la mention majoritaire était la plus positive se sont qualifiés pour la finale.

"Les lots aléatoires tirent la démocratie vers le haut. Chaque candidat est assuré d'être vu un nombre similaire de fois. Pour recueillir la mention majoritaire la plus positive possible, ils doivent s'illustrer par leur crédibilité et par la qualité de leurs propositions. Ce système évite le vote sanction, et prémunit contre les tentatives de manipulation et de stratégie électorale, car l'attribution des candidats dans les lots est complètement aléatoire", précise Thibauld Favre.

La blockchain dans le vote électronique : une première mondiale

Pour garantir la sécurité de ce vote particulier, les organisateurs ont choisi de passer par la blockchain. Cette technologie émergente, base technique des crypto-monnaies sécurisées comme le bitcoin, est la seule qui permette de garantir l'anonymat des votants, la transparence du scrutin et la fiabilité et l'inaltérabilité des votes. La blockchain rend les votes non-piratables et permet d'en garder une trace sur un registre impossible à falsifier.

Problème : la technologie, qui traite chaque transaction l'une après l'autre, n'est pas encore assez forte pour supporter un grand nombre d'actions simultanées. Et le premier tour, qui a attiré plus de 11.000 votants, a connu quelques bugs. "Le dernier week-end, il y a eu des perturbations, on a dû mettre en pause les votes à plusieurs reprises en raison de l'affluence. C'était vraiment un crash-test pour la blockchain, mais il est réussi. Pour le second tour, on a renforcé la solidité technique", assure Thibauld Favre. C'était une première mondiale pour un vote à l'échelle d'un pays.

     | Pour en savoir plus sur comment fonctionne la blockchain, lire cet article.

Le vainqueur bénéficiera du soutien d'un parti politique provisoire

Depuis la fin du premier tour, les cinq finalistes enchaînent les débats "physiques", dans les métropoles françaises, à la rencontre d'autres citoyens. L'occasion de goûter à l'ambiance d'une campagne électorale, d'affûter ses arguments, de se confronter à l'adversité. Ils se départageront dans les urnes (électroniques) à partir du jeudi 15 décembre à 14h. Le vote est ouvert jusqu'à la fin du mois. Toujours selon la méthode des mentions, mais sans les lots aléatoires, puisqu'il ne reste que cinq candidats. Encore une fois, celui ou celle qui obtiendra la majorité de mentions la plus positive gagnera.

Pour ce second tour, les organisateurs attendent au moins 50.000 votants. Car depuis le premier tour, laprimaire.org gagne de nombreux inscrits. Le 29 novembre, la plateforme a dépassé les 100.000, ce qui était son objectif initial. "Cela veut dire que nous irons au terme de l'aventure, jusqu'à mai prochain", confirmeThibauld Favre.

Désormais, laprimaire.org devient un parti politique. Mais un parti provisoire, qui se dissoudra après l'élection et se reformera à chaque fois que la plateforme fera émerger un candidat à une élection. Puisque les élections législatives suivront l'élection présidentielle et qu'il existe 577 circonscriptions, laprimaire.org va donc créer 577 partis citoyens provisoires dès l'élection du nouveau chef de l'Etat.

En vue de l'élection présidentielle, le parti laprimaire.org se mettra derrière son champion pour l'aider à obtenir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter devant les Français, puis pour lui apporter un soutien logistique et financier pour faire campagne. Les maires "susceptibles d'aider", c'est-à-dire, pour la plupart, des élus sans-étiquette de petites communes, ont déjà été approchés. Thibauld Favre pense qu'obtenir les 500 parrainages ne devrait pas poser trop de problèmes. Restera, ensuite, la "vraie" campagne. Pour la financer, laprimaire.org a lancé une campagne de financement participatif : pour l'instant, 900 donateurs ont alimenté une cagnotte de 65.000 euros. L'objectif est de récolter 300.000 euros.

Des finalistes qui ressemblent beaucoup au public CSP+ des Civic Tech

Il faut donc choisir. Hasard ou pas, les cinq finalistes présentent, malgré des différences notables sur certains thèmes, des profils similaires. Leurs propositions se situent plutôt à gauche ou au centre droit de l'échiquier politique. Tous sont pro-Europe (même si Roxanne Revon veut une Europe fédérale tandis que Nicolas Bernabeu veut désobéir aux traités actuels), promeuvent le renouvellement des institutions, soutiennent l'écologie et le développement durable.

Il y a deux médecins (le Lot-et-Garronais Michael Pettini et le Corse Nicolas Bernabeu), un avocat (Michel Bourgeois, des Alpes-Maritimes), une professeur et metteur en scène (Roxane Revon, parisienne d'adoption et provençale d'origine), et une formatrice (Charlotte Marchandise, d'Île-et-Vilaine). Tous ont au moins un Bac +5, sauf cette dernière (qui a repris ses études après quelques années de vie professionnelle). Ces hommes et ces femmes incarnent un public qu'on retrouve souvent dans les Civic Tech: plutôt jeune, diplômé, connecté, engagé dans la vie locale, d'un milieu social plus élevé que la moyenne.

La politique à l'ancienne (et actuelle) n'a pas encore compris qu'elle est déjà morte

Tous aussi, se sont engagés car ils ne se reconnaissent plus dans la politique et dans ses représentants. Ils sont lassés des clivages des partis (l'écologie plutôt classée à gauche, l'assouplissement du travail plutôt classé à droite) et estiment qu'ils peuvent, grâce à leur positionnement hors-parti, mieux parler à leurs concitoyens:

« Je veux amener de nouveaux débats et apporter une voix dissonante. Laprimaire.org est l'occasion pour toute une génération, celle qui n'a jamais cru en la politique, de pouvoir enfin prendre la parole sans avoir à prendre sa carte dans un parti », explique Roxanne Revon, 30 ans.

« Je suis convaincue qu'il faut sortir d'un système de partis qui aujourd'hui ne me semble pas répondre à son but premier (éducation politique, mobilisation populaire, constructions de projets partagés autour de valeurs communes) mais qui est devenu un instrument au service du pouvoir d'une minorité de personnes avec tous les dérapages qu'on leur connaît», ajoute Charlotte Marchandise, 41 ans.

Nicolas Bernabeu, 31 ans, est poussé par la lutte contre les inégalités et le sentiment que la politique ne défend plus les plus faibles:

« Je viens d'un milieu très modeste et j'ai dû me battre pour avancer. D'autres n'ont juste eu qu'à naître pour tout avoir... Il suffirait que les gens votent pour quelqu'un de différent, non issu de cette caste, guidé par des valeurs solides et animé par une volonté inébranlable, pour que les choses changent réellement. »

Idéalisme ? Pas du tout, selon les candidats, qui pensent que la politique à l'ancienne n'a pas encore compris qu'elle est déjà morte. Le gagnant risque de se faire écraser face aux candidats expérimentés, "professionnels", soutenus par une machinerie plus puissante ? Pas grave : la présence inédite d'un candidat citoyen dans les débats télévisés montrera qu'il est possible de changer le système, estime Thibauld Favre.

Vote ouvert jusqu'à la fin du mois

Du côté des programmes, les candidats poussent plusieurs « priorités ». Europe fédérale et nouvelle économie pour Roxane Revon ; réinvention du vivre-ensemble et développement durable pour Michel Bourgeois ; réforme de la santé et transition démocratique et écologique pour Charlotte Marchandise ; sixième République et réforme fiscale majeure pour Michael Pettini ; revenu universel et sixième république pour Nicolas Bernabeu. Entre autres. Tous ont pensé et écrit un programme détaillé.

La plateforme a-t-elle un agenda politique ? Des idées qu'elle souhaite diffuser ? Aucunement, répond Thibauld Favre:

« Nous nous sommes engagés à soutenir le candidat qui gagnera quel que soit son programme. Il y a eu de tout : extrême-droite, extrême-gauche, libéralisme débridé... Mais le système du jugement majoritaire, probablement parce qu'il pousse les électeurs a effectuer un choix positif, a éliminé les candidats les plus extrêmes. Quant à nous, même si le gagnant était d'extrême-droite, nous le soutiendrions. Notre but est de pousser un mouvement citoyen, pas de contrôler ce qu'il est ».

Verdict à la fin du mois.