Taxe Gafa : Donald Trump expose la "fake news" de Bruno Le Maire

Par Sylvain Rolland  |   |  1294  mots
(Crédits : Gonzalo Fuentes)
Dans une lettre adressée à l'OCDE, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a démenti les rumeurs lancées par Bruno Le Maire en début de semaine d'un retrait américain des négociations à l'OCDE pour réformer la fiscalité du numérique. Il s'agissait donc bien, pour la France, d'une tactique de diversion pour détourner l'attention des sanctions américaines en représailles de la "taxe Gafa". Explications.

C'est confirmé : Bruno Le Maire a lancé une "fake news" en début de semaine. Le ministre de l'Economie et des Finances avait déclaré lundi 2 décembre que les Etats-Unis font "machine arrière" sur le dossier de la réforme internationale de la fiscalité en cours à l'OCDE, qui vise à mieux taxer les géants du numérique comme les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) pour stopper la baisse des recettes fiscales des Etats. "Après avoir réclamé une solution internationale à l'OCDE, [Washington] n'est pas sûr d'en vouloir", avait-t-il tranquillement lâché.

Mais Washington n'a pas laissé passer l'affront. Dans une lettre envoyée à l'OCDE, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a fermement démenti les rumeurs de Bruno Le Maire. "Les Etats-Unis soutiennent les discussions à l'OCDE", écrit-il dans une missive datée du 3 décembre mais révélée ce matin. "Nous pensons qu'il est très important que ces discussions aboutissent à un accord afin d'éviter la prolifération de mesures unilatérales", ajoute-t-il. Cette dernière partie vise clairement la "taxe Gafa" française adoptée en juillet dernier, qui cible les géants américains en fonction de leur chiffre d'affaires réalisé en France, un critère contesté par la plupart des économistes de gauche comme de droite et non retenu par l'OCDE.

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Tactique de diversion pour détourner l'attention des médias et justifier les sanctions américaines

Comme nous le relevions, cette déclaration fracassante, sous-entendant que les Etats-Unis seraient en fait opposés par principe à une taxation plus forte de leurs géants du numérique, visait donc bien à détourner l'attention des médias sur l'échec politique et diplomatique de Bruno Le Maire et d'Emmanuel Macron. Car quelques heures après les déclarations du ministre français, les Etats-Unis annonçaient, comme craint depuis plusieurs jours, des sanctions économiques contre la France. En représailles de la "taxe Gafa", l'administration Trump a publié une liste de produits français qui pourraient être surtaxés jusqu'à 100% sur le sol américain. Fromages -dont le Roquefort-, vins pétillants, yaourts et produits cosmétiques comme les savons et le maquillage pourraient être concernés au terme d'une procédure qui doit encore durer quelques semaines.

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Problème : Bruno Le Maire et Emmanuel Macron s'étaient félicités d'avoir évité le risque de sanctions commerciales américaines après le G7 de Biarritz, qui s'est tenu en août dernier. A l'époque, le tandem avait vanté "un très bon accord" avec Donald Trump. "Après Biarritz, la menace s'éloigne. Elle n'est pas définitivement écartée, mais elle s'éloigne", s'était gargarisé Bruno Le Maire à plusieurs reprises dans les médias. Comme le montre la réaction américaine et comme nous l'écrivions alors, la France n'avait en fait rien obtenu de concret, bien au contraire. Donald Trump a bien lancé une enquête pour évaluer l'impact de la taxe Gafa sur les entreprises américaines, et ses conclusions ont abouti à la volonté des Etats-Unis de surtaxer des produits français à l'export. Un échec diplomatique cuisant, potentiellement lourd de conséquences économiques pour les filières concernées.

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Pourquoi, alors, Bruno Le Maire a-t-il lancé la rumeur d'un retrait américain de la table des négociations à l'OCDE ? Car présenter les Etats-Unis comme opposés à l'idée même de taxer les géants du numérique permet de justifier que la France conserve sa propre "taxe Gafa". Et donc relativiser les sanctions américaines en les présentant non pas comme la conséquence d'un échec français mais comme le prix à payer pour oser s'opposer à un Donald Trump déraisonnable. Lundi, Bruno Le Maire n'a pas hésité à dramatiser les enjeux à l'aide d'un vocabulaire entretenant l'idée que la France serait un courageux David face au méchant Goliath américain. "Mon message va être clair : nous n'abandonnerons jamais, jamais, jamais, cette volonté juste de taxer les géants du numérique", a-t-il déclaré solennellement.

La taxe Gafa : un succès de politique intérieure mais un désastre économique et diplomatique

En réalité, la France est embourbée jusqu'au cou dans une position intenable. L'OCDE souhaitait réformer la fiscalité internationale pour mieux taxer le numérique et stopper la réduction de l'assiette fiscale des Etats depuis 2011, mais les Etats-Unis bloquaient tout processus. Emmanuel Macron et Bruno Le Maire y ont vu une opportunité politique de placer la France comme un chevalier au service de la "justice fiscale". Dès l'élection d'Emmanuel Macron, en 2017, Bruno Le Maire s'est engagé dans une croisade fiscale anti-Gafa : d'abord en tentant de créer une taxe numérique européenne, puis, face à l'échec, en votant seul sa propre "taxe Gafa". Une taxe très populaire dans l'opinion (comment s'opposer à taxer davantage les multinationales américaines championnes de l'évasion fiscale ?) et devenue politiquement indispensable avec la crise des "Gilets jaunes". Bruno Le Maire et Emmanuel Macron jouent une partie de leur bilan économique sur la "taxe Gafa".

Rebondissement : la situation au niveau international s'est subitement débloquée en janvier 2019 lorsque les Etats-Unis ont accepté de relancer les discussions dans le cadre de l'OCDE. Le paradoxe est que la France a joué un rôle dans ce revirement. Inquiets par la taxe française et par le risque d'une multiplication des taxes nationales dans le monde, les Etats-Unis ont préféré s'inscrire dans le processus de l'OCDE pour faire en sorte que la future législation soit la moins contraignante possible. Avec succès: en mars, l'OCDE a publié une base de travail reprenant en grande partie les propositions américaines et écartant d'emblée la méthode française très décriée -taxer sur la base du chiffre d'affaires-. Et pour l'instant, tout indique que le futur accord sera "américano-compatible", d'autant plus que l'Oncle Sam, qui est l'un des pays les plus endettés au monde, a lui aussi besoin de récupérer davantage de recettes fiscales.

Le processus à l'OCDE étant enclenché avec la volonté politique affichée par 134 Etats d'arriver à un accord international au plus tard en juin 2020, les Etats-Unis ont alors exigé de la France l'abandon de la taxe Gafa. Leur argument : pourquoi conserver une taxe "discriminante" fondée sur des critères rejetés par l'OCDE ? D'autant plus que la plupart des autres pays qui voulaient eux-aussi lancer leur "taxe Gafa" ont abandonné ou gelé le processus, préférant attendre le verdict de l'OCDE.

Mais Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ne peuvent pas faire machine arrière. Ils ne veulent ni ne peuvent perdre le bénéfice politique de cette taxe populaire qui leur permet de se présenter aux yeux de l'opinion publique comme défenseurs de la justice fiscale. Surtout dans le contexte des "Gilets jaunes". Pour calmer Donald Trump, la France a donc cédé sur tout ce qu'elle pouvait : elle s'est engagée à supprimer la taxe dès l'annonce d'un accord international -et non pas dès son application réelle- et même à rembourser aux Gafa un éventuel trop perçu si la taxe internationale s'avérait plus avantageuse que la taxe française. Insuffisant pour le président américain, qui a donc déclenché la guerre commerciale.

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