Un amendement "anti-Google" à la loi Macron fait polémique

Par Delphine Cuny  |   |  657  mots
Le Sénat vient d'adopter un article imposant à un moteur de recherche ayant "un effet structurant" sur le marché de proposer trois sites alternatifs sur sa page d'accueil. Une ineptie juridique et économique selon certains acteurs du Web. Le ministre prône une régulation européenne.

Après la Commission européenne, c'est au tour du Sénat français de s'attaquer à Google, sans le nommer. Les sénateurs ont voté jeudi à l'unanimité un amendement au projet de loi Macron sur la croissance et l'activité, qui encadre les pratiques des moteurs de recherche.
Le gouvernement avait émis un avis défavorable sur cet amendement 995 à l'article 33, déposé par la sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly, qui vise « tout exploitant d'un moteur de recherche susceptible, compte tenu de son audience, d'avoir un effet structurant sur le fonctionnement de l'économie numérique », comprendre Google.

Le texte impose à ce moteur de mettre sur sa page d'accueil « au moins trois autres moteurs de recherche sans lieu juridique », de préciser « les principes généraux de classement ou de référencement », de fonctionner « de manière loyale et non discriminatoire » et d'exiger l'exclusivité à un tiers « proposant des solutions logicielles ou des appareils de communications électroniques », par exemple un constructeur de smartphone ou tablette.


En outre, l'article ajouté confie à l'Arcep, le gendarme des télécoms, la mission de « veiller au bon fonctionnement des marchés de l'économie numérique », et le pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire allant sanctionner jusqu'à 10% du chiffre d'affaires consolidé hors taxe en cas de manquement aux obligations ainsi imposées à l'exploitant du moteur.

Les acteurs du Web résolument contre


L'Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (Afdel) est montée au créneau dans un communiqué cinglant, estimant que le texte était une « ineptie juridique et économique. » Ce syndicat professionnel, qui a pour membres des acteurs du logiciel mais aussi Apple France, Google et Facebook, rejette fondamentalement toute volonté de réguler en amont les « plateformes numériques », en particulier par l'Arcep, notant que « l'actualité récente montre que la régulation ex-post par le droit de la concurrence conserve toute sa pertinence dans l'environnement numérique », en référence sans doute à l'annonce des accusations d'abus de position de dominante de la Commission européenne contre Google.


L'Arcep ne fait pas de commentaire sur le sujet. Cependant, le nouveau président de l'autorité, Sébastien Soriano, est très sensible à la question de la « loyauté des plateformes numériques » : dans sa contribution à la consultation du Conseil national du numérique, l'Arcep préconise la création d'un principe de "loyauté minimale" vis-à-vis des utilisateurs de ces grands services devenus des carrefours incontournables (Google, Facebook etc) et souligne « le besoin de renforcer le contrôle des grands acteurs structurants pour l'économie numérique. »

Macron favorable à une régulation européenne


Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, a dit partager le constat et l'objectif de la sénatrice mais jugé qu'il ne fallait « pas se tromper de méthode : le seul bon niveau d'impact possible est une intervention coordonnée au niveau européen », alors que la Commission doit présenter le 6 mai sa stratégie numérique qui intégrera bien « des propositions pour une régulation des plateformes. »


L'obligation de présenter des moteurs de recherche alternatifs, qui fait penser à celle imposée par Bruxelles à Microsoft sur les navigateurs autres qu'Internet Explorer, est « peu praticable et disproportionnée : demanderiez-vous à Renault d'indiquer sur le pare-brise d'une de ses voitures qu'il est également possible d'acheter une Peugeot ou une Fiat ? » Ce serait probablement anticonstitutionnel en raison d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.


Ensuite, Emmanuel Macron considère que doter l'Arcep d'un pouvoir de contrôle sur un périmètre « évolutif et difficile à définir » n'est « pas souhaitable » et que le niveau de sanctions proposé est « manifestement disproportionné. »

Plus généralement, les dispositifs envisagés « se heurteraient comme les différents projets de taxe Google, à l'absence d'implantation en France des activités concernées, la seule implantation française de Google est liée à sa régie publicitaire, non au moteur de recherche en tant que tel. »