Italie : la crainte d'un "bain de sang" après la vente des fréquences 5G

Par Pierre Manière  |   |  783  mots
Telecom Italia, dont Vivendi est le principal actionnaire, a dépensé pas de moins de 2,4 milliards d'euros pour ses nouvelles fréquences 5G. (Crédits : Stefano Rellandini)
De l'autre côté des Alpes, les enchères visant à attribuer les fréquences pour la 5G ont crevé le plafond. Au total, les opérateurs vont débourser plus de 6,5 milliards d'euros. Une situation qui inquiète analystes et observateurs.

En Italie, officiellement, le gouvernement se félicite de ce résultat. Les enchères visant à attribuer de nouvelles fréquences dédiées à la 5G ont explosé tous les compteurs. In fine, les opérateurs mobile vont débourser la somme, faramineuse, de 6,55 milliards d'euros. Telecom Italia, l'opérateur historique, et Vodafone vont tous les deux payer 2,4 milliards d'euros. La filiale italienne de Xavier Niel, elle, dépensera 1,2 milliard d'euros. Wind Tre, de son côté, ferme la marche avec un chèque d'environ 500 millions d'euros. Ce pactole ira directement dans les poches de l'État. Mais si l'exécutif se frotte les mains - Rome attendait de ces enchères un minimum de 2,5 milliards d'euros -, la nouvelle inquiète de nombreux observateurs, investisseurs et analystes. Beaucoup redoutent que ces dépenses viennent plomber l'industrie italienne du mobile.

À La Tribune, un analyste parisien n'y va pas par quatre chemins:

"Le risque, c'est que cette histoire se termine en bain de sang, avertit-il. Après avoir autant surpayé ces fréquences, les opérateurs vont devoir rentabiliser cet investissement. Ils peuvent choisir d'augmenter les prix. Mais je ne crois guère à ce scénario puisqu'Iliad vient d'arriver sur le marché [avec l'ambition, en cassant les tarifs, d'étoffer rapidement son portefeuille de clients, Ndlr]. L'autre possibilité, qui est tout à fait probable, c'est que les opérateurs soient contraints de lancer d'importants plans d'économies, via, entre autre, des licenciements."

"Des enchères absolument folles"

En outre, il rappelle que, mécaniquement, ce qui est dépensé dans les fréquences ne l'est pas dans les réseaux. Ce qui pourrait plomber les investissements à venir. "En Espagne, les fréquences 5G se sont vendues six fois moins cher, poursuit-il. Ils devraient donc avoir la 5G plus vite - ou, dans tous les cas, disposer d'une industrie du mobile en bien meilleure santé..."

Analyste chez Raymond James, Stéphane Beyazian tire, lui aussi, la sonnette d'alarme.

"En Italie, nous avons assisté à des enchères absolument folles, affirme-t-il. Nous avons quelques-uns des opérateurs les plus endettés d'Europe, sur un marché où les prix sont très bas, et qui payent les licences d'utilisation de fréquences les plus chères. Tout est dit... Aujourd'hui, il est totalement inintéressant pour les investisseurs sur les marchés financiers de continuer à soutenir des stratégies financières de surinvestissement dans des technologies, qui, malheureusement, n'ont jamais de résultats financiers à la hauteur des résultats commerciaux. À l'instar, par exemple, de la 4G."

Selon lui, les conséquences pourraient être douloureuses pour l'industrie italienne du mobile. Il compare cette situation à celle des Pays-Bas où, en 2012, les opérateurs ont payé des prix "tout aussi délirants" pour des fréquences 4G:

"Quatre mois plus tard, KPN, l'opérateur historique [qui a déboursé 1,35 milliard d'euros ses nouvelles fréquences, Ndlr], a été contraint de procéder à une augmentation de capital à 1,06 euro par action - soit à un cours de Bourse divisé par deux en raison d'une situation de quasi-faillite."

Rome a voulu maximiser ses recettes

Pourquoi les enchères italiennes ont-elles débouché sur des prix si élevés ? Deux types de fréquences étaient proposées aux opérateurs: des blocs de fréquences basses (dans la bande des 700 MHz), et des blocs de fréquences hautes (dans la bande des 3,7 GHz). L'opérateur Wind Tre a choisi de se tenir à l'écart des enchères pour les fréquences basses. En l'absence d'une vraie concurrence entre Telecom Italia, Vodafone et Iliad (qui bénéficiait pour sa part d'un bloc réservé) celles-ci sont parties à prix raisonnable. En revanche Wind Tre a tout misé sur les enchères pour les fréquences hautes. Sur ce créneau, il s'est retrouvé en concurrence frontale avec ses trois rivaux, et les choses se sont emballées. Un mauvais calcul, puisqu'en définitive, Wind Tre n'a pu décrocher, en tout et pour tout, qu'un modeste bloc de 20 MHz de fréquences hautes, sur les 200 MHz disponibles.

Outre le choix de Wind Tre, Rome, pour maximiser ses recettes, a également fait en sorte que les prix des fréquences hautes grimpent, en proposant aux opérateurs d'enchérir sur quatre blocs de tailles différentes (deux gros blocs de 80 MHz et deux petits de 20 MHz). Pourquoi? "Parce que ces fréquences hautes sont immédiatement disponibles, et donc payables tout de suite. Et ce, à la différence des fréquences 700 MHz, dont le paiement n'interviendra qu'en 2022", souligne notre analyste parisien. Sous ce prisme, si l'industrie italienne du mobile devait se dégrader dans les années à venir, son actuel gouvernement ne sera, certainement pas, exempt de tout reproche.