Les douze travaux d'Altice pour rééchelonner sa dette

Par Pierre Manière  |   |  788  mots
Patrick Drahi, le propriétaire d'Altice, la maison-mère de SFR.
Lesté d'une dette de près de 50 milliards d'euros, le groupe de télécoms et de médias de Patrick Drahi, maison-mère de SFR en France, multiplie les opérations de refinancement pour repousser toujours plus loin ses échéances de remboursement.

Il n'y a pas de temps à perdre. Depuis quelques mois, le groupe de télécoms et de médias de Patrick Drahi est particulièrement actif sur le front de la dette. Il faut dire qu'après les acquisitions de SFR (pour 17,4 milliards d'euros) et des câblo-opérateurs américains Suddenlink et Cablevision (pour un total de 23,6 milliards d'euros), celle-ci se situe désormais à 49 milliards d'euros. Un niveau stratosphérique atteint en un temps record puisqu'en 2013, elle n'était que de 2,7 milliards d'euros. C'est pourquoi aujourd'hui, profitant des taux d'intérêt bas, le groupe multiplie les opérations de refinancement. L'objectif est double: repousser les échéances de remboursement tout en diminuant, au passage, les frais financiers.

Ce lundi, Altice a annoncé avoir refinancé quelque 2,3 milliards d'euros de dettes de SFR auprès d'investisseurs institutionnels. Dans un communiqué, le groupe précise que l'opération va porter la maturité moyenne de la dette de l'opérateur de 7,3 à 7,6 ans, en réduisant son coût moyen pondéré de 5,3 à 5,2%. D'après Dennis Okhuijsen, le directeur financier d'Altice, le groupe a fait de ce type de renégociations une de ses grandes priorités. Dans le communiqué, il précise que depuis début 2016, Altice "a refinancé un peu plus de 20 milliards d'euros de dettes, prolongeant la maturité moyenne de la dette du groupe de 18 mois, tout en conservant son coût moyen".

L'ombre de Jean-Marie Messier

En communiquant largement sur les "succès" de telles opérations, Altice souhaite couper l'herbe sous le pied de ses détracteurs. Patrick Drahi n'est pas dupe : il sait que son énorme dette renvoie souvent l'image d'un colosse aux pieds d'argile, ce qui inquiète plus d'un observateur. Tous ont notamment en mémoire la chute de Jean-Marie Messier, l'ex-tout puissant patron de Vivendi. Lequel, plombé par une dette monstre, a vu son conglomérat mêlant télécoms et médias s'effondrer à la charnière des années 2000.

Ainsi, chez Altice, pas question de faire de la dette un tabou. Au contraire. Interrogé à ce sujet, Michel Combes, DG du groupe et PDG de SFR, l'assure: "Notre situation est d'un confort absolu", a-t-il asséné, un brin provocateur, dans nos colonnes la semaine dernière. Pour justifier ses dires, il explique qu'Altice n'a pas d'échéance majeure de remboursement "avant 2023". D'après une source proche du dossier, le groupe de Patrick Drahi sera en fait confronté à de grosses échéances à compter de 2022. A cette date, il devra rembourser environ 9 milliards d'euros. Et l'année suivante, il devra sortir quelques 7 milliards d'euros. Même si bien sûr, le groupe fera tout d'ici là, tant qu'il le pourra, pour rééchelonner encore ses dettes.

"Ne pas se faire trop casser la tête"

Pour Michel Combes, Altice n'a donc guère de soucis à se faire. D'une part la dette du groupe "est en grande partie à taux fixe", dit-il. D'autre part, ajoute le dirigeant, sa génération de cash "permet amplement de faire face à une remontée des taux". Le groupe se situe-t-il donc vraiment dans une situation de "confort absolu"? "C'est faux", indique d'emblée un analyste parisien. Avant de souligner que s'"il faut effectivement que le free cash flow soit au rendez-vous", ce n'est pas pour autant gagné. Car pour y arriver, "Altice ne doit pas se faire trop casser la tête en France et aux Etats-Unis sur l'opérationnel".

En d'autres termes, dans l'immédiat, cela signifie que Michel Combes et Patrick Drahi doivent remettre aussi vite que possible SFR sur les rails. Sachant que l'opérateur, qui a perdu 1 million de clients sur un an, est tombé dans le rouge au premier semestre, essuyant une perte de 84 millions d'euros. Pour relever la tête, Michel Combes a lancé une vaste restructuration chez SFR, qui compte se séparer de 5.000 collaborateurs, soit un tiers de ses effectifs.

Des marchés encore peu "rassurés"

Or il n'est pas dit que cette énorme vague de départs, même couplée à des investissements, permette au groupe de retrouver des couleurs. Fin juillet, Agathe Martin, analyste en charge des télécoms chez Exane-BNP Paribas, nous l'expliquait : "Bien sûr, un tel plan social aiderait le groupe à atteindre son objectif de marge à long terme de 45%. Mais cela ne contribue pas à rassurer le marché sur la capacité du groupe à se redresser", jugeait-elle. Car à ses yeux, cette saignée constitue de facto "un pari important sur l'augmentation de la productivité des salariés restants". Et c'est bien de leur travail que, in fine, dépendra la capacité de Patrick Drahi à rembourser les dizaines de milliards d'euros que les banquiers lui ont jusqu'à présent prêté sans sourciller.