Qui est Delphine Ernotte, la future présidente de France Télévisions ?

Par Delphine Cuny  |   |  922  mots
Le CSA a choisi "une femme dotée de solides compétences de management et d'une expérience reconnue dans la gestion du dialogue social" a-t-il justifié. (Crédits : DR)
Pur produit France Télécom, cette centralienne a gravi les échelons chez l’opérateur et son nom a même été cité pour prendre un jour la tête d'Orange. Cette bosseuse, amatrice de théâtre mais goûtant peu les paillettes, a piloté depuis cinq ans le paquebot d’Orange France, qui a su résister face au tsunami Free Mobile. Une expérience utile pour aider le mastodonte de la télévision publique à se réformer.

« Une femme PDG d'une boîte du CAC 40, ça aurait de l'allure », se prêtait à imaginer un haut fonctionnaire à Bercy il y a quelques mois, quand son nom était cité pour succéder à Stéphane Richard à la tête d'Orange en cas d'empêchement judiciaire dans l'affaire de l'arbitrage Tapie-Adidas-Crédit lyonnais. Ce sera finalement la présidence de France Télévisions, comme en a décidé le CSA ce jeudi : Delphine Ernotte-Cunci sera la première femme présidente du groupe d'audiovisuel public, à compter du 22 août, pour un mandat de 5 ans. Cette centralienne de 48 ans est un pur produit France Télécom où elle est entrée en 1989 comme analyste financier, avant de gravir les échelons et de s'imposer dans ce royaume des X-Télécoms.

La discrète, bosseuse et pragmatique


C'est Stéphane Richard qui a propulsé cette femme de terrain plutôt discrète sans être effacée, accessible tout en gardant ses distances, au comité exécutif en 2010, en la nommant directrice adjointe d'Orange France avant de lui en confier l'entière responsabilité opérationnelle un an plus tard, alors que le corps social de l'entreprise se remettait à peine de la terrible « crise des suicides. ». Celle qui rêvait, petite fille, d'être archéologue, doit surtout son ascension à ses compétences, reconnues, son expérience de terrain et sa qualité d'écoute. Elle cite cependant le coup de pouce de Jean-Paul Cottet, à l'époque directeur d'Orange, qui lui a « changé la vie » professionnelle en lui donnant sa chance dans l'opérationnel. Et c'est Thierry Breton, alors PDG, qui l'a repérée parmi les hauts potentiels et lui a confié en 2004 une grosse direction régionale, Centre Val de Loire, alors qu'elle n'a pas 40 ans.

Bosseuse, reconnue pour son pragmatisme et son sens du collectif, cette mère de deux adolescents pilote depuis cinq ans une entité générant quelque 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires - cinq fois celui de Free. Un paquebot de 75.000 salariés, aux deux tiers fonctionnaires, dont il a fallu tenir fermement la barre pendant le choc de l'arrivée de Free Mobile début 2012. Un « tsunami » pendant lequel elle a incarné la solidité de l'opérateur historique et su souder les équipes en leur redonnant l'envie d'en découdre. Une expérience utile pour aider le mastodonte de la télévision publique à se réformer. En comparaison, France Télévisions emploie un peu plus de 10.000 équivalents temps plein et son budget s'élève à 2,8 milliards d'euros.

D'ailleurs le Conseil supérieur de l'audiovisuel justifie son choix ainsi dans son avis motivé :

« En désignant Mme Delphine Ernotte-Cunci, le Conseil a fait le choix de confier la présidence de France Télévisions à une femme dotée de solides compétences de management et d'une expérience reconnue dans la gestion du dialogue social, qui a exercé des fonctions de direction au sein de l'un des plus grands groupes numériques européens, imprégné d'une forte culture de service public. »

Et le CSA d'ajouter qu'il a « apprécié son triple souhait d'innover davantage dans les programmes afin de toucher tous les publics, notamment les plus jeunes, de placer les nouveaux usages numériques au coeur de l'offre et de faire émerger un nouveau modèle économique pour la diffusion des programmes. »

Campagne très (trop ?) discrète mais efficace

Cette amatrice de natation et de théâtre - son mari est le comédien Marc Ernotte - mais ayant peu de goût pour les paillettes, siège aussi aux conseils d'administration de Suez Environnement, de l'École Centrale Paris et de l'établissement artistique le 104.

Delphine Ernotte-Cunci a su mener campagne dans la plus grande discrétion, trop grande discrétion selon le Syndical national des journalistes (SNJ) de France Télévisions qui critique la démarche de cette "candidate de l'ombre, sans rien dévoiler de son projet" dans un communiqué. Une discrétion qui a visiblement servi sa candidature, que certains opposants ont tenté de torpiller par des rumeurs malveillantes sur son bilan à Orange, peu critiqué en interne chez l'opérateur.

Mais la dirigeante avait plusieurs atouts de poids. Notamment le soutien de David Kessler, ex-conseiller culture et communication à l'Elysée, ex-président du CNC, très bon connaisseur des milieux audiovisuels, arrivé chez Orange en décembre pour prendre la direction d'Orange Studios, et l'aide de Xavier Couture, ex-directeur de la communication du groupe, dont il est resté proche, passé par TF1, Canal Plus, Endemol. La candidature de la dirigeante d'Orange France était semble-t-il bien vue au gouvernement.

« Je tiens à féliciter chaleureusement Delphine pour sa nomination à la Présidence de France Télévisions, qui témoigne de ses très grandes qualités managériales et humaines » a réagi Stéphane Richard, le PDG d'Orange, dans un communiqué. « Je remercie Delphine d'avoir rempli cette mission avec succès, en s'entourant d'équipes talentueuses et combatives, et en ayant pris toute sa part à l'apaisement du climat social. Delphine a en particulier réussi le lancement du déploiement, aujourd'hui accéléré, du Très haut débit fixe et mobile, avec la fibre et la 4G, permettant d'affirmer clairement notre position de leader en France »

Il assurera lui-même directement, à partir du 27 avril prochain, la direction d'Orange France « afin d'assurer la transition managériale chez Orange France dans les meilleures conditions ainsi que le déploiement opérationnel du nouveau plan stratégique Essentiels2020 » précise-t-il.