SFR et le spectre d’une « casse industrielle »

Par Pierre Manière  |   |  979  mots
Patrick Drahi, le propriétaire d'Altice, maison-mère de SFR.
Pour sortir la tête de l’eau et rembourser ses dettes, Patrick Drahi veut tailler à la hache dans les effectifs de SFR. A compter de juillet 2017, il prévoit de supprimer un tiers de ses troupes, soit 5.000 postes, avec l’objectif de ramener le groupe à 9.000 collaborateurs. Si la manœuvre pourrait lui permettre d’économiser environ 300 millions d’euros par an, elle pourrait néanmoins dégrader un outil industriel déjà, pour beaucoup, en surrégime.

La Bourse n'a pas cillé. Depuis mercredi et l'annonce que la direction de SFR souhaitait supprimer un tiers de ses effectifs, soit 5.000 emplois, pour ramener le groupe à 9.000 collaborateurs, le titre fait du sur-place aux alentours de 21 euros. Bref, pour les investisseurs, cette probable saignée est tout sauf une surprise. Au contraire. Il faut dire que Patrick Drahi a bien préparé le terrain. Le mois dernier à New York, le magnat des télécoms et propriétaire de SFR depuis deux ans a donné le ton.

Au moment du rachat de l'opérateur au carré rouge par Numericable, « on a donné une garantie sur l'emploi de trois ans. [...] Aujourd'hui, on est dans une situation où les gens savent que la garantie s'arrête dans un an (en juillet 2017, Ndlr). C'est un peu comme chez Darty quand vous avez une garantie de trois ans. Au bout de trois ans, [si] la machine à laver tombe en panne, on fait comment ? On paie. Ils savent qu'on est en sureffectif. »

Du côté des analystes aussi, la nouvelle n'a étonné personne. La direction de SFR les avait déjà prévenus qu'ils souhaitaient économiser, a minima, entre 200 et 300 millions d'euros par an en réduisant la masse salariale. D'après Agathe Martin, analyste chez Exane-BNP-Paribas, l'économie de coûts liée à ce plan de départs pourrait se situer entre 250 et 300 millions.

Les « adaptations » de Michel Combes

Chez SFR, ces coupes d'effectifs sont devenues la priorité des priorités. Il faut dire que l'échec du rachat de Bouygues Telecom par Orange au mois d'avril a mis un terme à la perspective d'une consolidation du secteur. Après des années de guerre des prix, les industriels misaient largement dessus pour rehausser les prix et doper leurs bénéfices. Or dans ce marché à quatre, SFR est aujourd'hui en mauvaise posture. Après avoir perdu plus d'un million de clients l'an dernier, il a bouclé un premier trimestre 2016 préoccupant, marqué par une perte de 41 millions d'euros contre un bénéfice de 743 millions à la même période un an plus tôt.

Pour redresser l'opérateur, Patrick Drahi a nommé son vieil ami Michel Combes à la tête de son bébé. L'ex-chef de file d'Alcatel-Lucent n'a jamais caché son intention de réduire les coûts. Sur un ton moins rentre-dedans que Patrick Drahi, il a argué le mois dernier que des « adaptations » seraient bientôt « nécessaires ». Et ce, « pour que SFR puisse rester compétitif sur le marché difficile qui est le nôtre ». Mais aussi, au passage, pour permettre en partie à Patrick Drahi de rembourser les 50 milliards d'euros de dette accumulés chez Altice, la maison-mère, au fil de ses faramineuses emplettes à travers le monde.

Augmentation de la productivité

Toutefois, chez SFR comme chez les spécialistes du secteur, beaucoup se demandent si la direction ne fait pas fausse route. Leur crainte ? Que cette saignée ne brise l'outil industriel et envoie l'opérateur en plein dans le mur. A ce sujet, les syndicats de SFR sont très inquiets. « Comment l'entreprise va-t-elle pouvoir fonctionner avec si peu de salariés ? », s'interroge Laurence Barma, de la fédération CFDT F3C, auprès de l'AFP. Désabusée, elle estime que les collaborateurs du groupe « paient le surendettement de leur patron ». Même son de cloche à la CGT, qui déplore une politique de « casse industrielle ».

Chez les analystes financiers, la perplexité règne. « Bien sûr, un tel plan social aiderait le groupe à atteindre son objectif de marge à long terme de 45%, souligne Agathe Martin. Mais cela ne contribue pas à rassurer le marché sur la capacité du groupe à se redresser. » Pourquoi ? Parce que qu'à ses yeux, cette réduction d'effectif constitue « un pari important sur l'augmentation de la productivité des salariés restants »...

Un autre analyste, lui, n'est guère plus optimiste :

« De mon point de vue, ces réductions d'effectifs connues à l'avance sont une mauvaise nouvelle. La priorité doit être le retour à une dynamique commerciale au moins stabilisée, ce qui nécessite des équipes commerciales, réseaux et support motivées et pas amoindries. »

Des salariés « pressurisés à l'extrême »

Or le climat social chez SFR n'est pas au beau fixe. Loin de là. En mars dernier, déjà, Xavier Courtillat, délégué syndical de la CFDT décrivait une ambiance délétère :

« Les gens sont inquiets, écœurés par le manque de respect, de reconnaissance, et le cynisme de la direction. Ils ne voient pas d'avenir dans le groupe et il y a beaucoup plus de démissions. En plus des difficultés internes, les collaborateurs sont affectés par les remarques qu'ils essuient à l'extérieur concernant la mauvaise qualité du réseau, ou les fournisseurs qui ne sont pas payés. »

A La Tribune, un ancien cadre de SFR fait le même constat. Sous couvert d'anonymat, il fait état de « gens brutalisés par la nouvelle équipe », de collaborateurs « vraiment en souffrance », souvent « pressurisés à l'extrême » par des clients mécontents.

D'après lui, nombre de collaborateurs digèrent mal la manière dont Patrick Drahi parle de SFR, qu'il a qualifié de « fille à papa » trop dépensière après l'avoir racheté à Vivendi. Dans un style encore plus corrosif, il a précisé le fond de sa pensée en septembre dernier à New York, lors d'une conférence sur les télécoms : « Je n'aime pas payer des salaires. Je paie aussi peu que possible. » Si les banquiers qui l'écoutaient alors ont pu être séduit par cette philosophie - y voyant peut-être, qui sait, une garantie sérieuse pour lui prêter encore de l'argent -, l'effet a sans nul doute été dévastateur auprès de ses collaborateurs en France. Lesquels savent, plus que jamais, à quoi s'en tenir.