Télécoms : les opérateurs ne croient plus à un marché à quatre

Par Pierre Manière  |   |  852  mots
Depuis longtemps, Stéphane Richard milite pour une concentration du marché français des télécoms, dont il fustige la guerre des prix depuis l'arrivée de Free.
Les discussions concernant un mariage entre Orange et Bouygues Telecom semblent montrer que désormais, dans l’Hexagone, plus personne, y compris Numericable-SFR et Free, ne croit à l’avenir d’un marché avec quatre acteurs convergents (présents à la fois dans l’Internet fixe et le mobile). Décryptage.

C'est peut-être le principal enseignement à tirer de l'agitation et du brouhaha qui règne actuellement chez les opérateurs télécoms français. Annoncées par Bloomberg la semaine dernière, les « discussions préliminaires » concernant un mariage entre Orange et Bouygues Telecom semblent montrer que plus personne ne croit à l'avenir d'un marché à quatre. Ou plus précisément, à quatre acteurs dits « convergents » - qui soient présents à la fois dans l'Internet fixe et dans le mobile au niveau national.

En premier lieu, comme le laissait présager l'absence de démentis des informations de Bloomberg par Orange et Bouygues, les deux opérateurs parlent bien de la possibilité d'un mariage. A La Tribune, une source interne de l'opérateur historique confirme que « le département fusions et acquisitions a entamé des discussions à ce sujet ». En outre, le scénario le plus probable demeure une entrée de Bouygues au capital d'Orange, en échange de la cession de sa filiale télécoms. D'après un analyste financier, « c'est bien la preuve que Martin Bouygues a changé d'avis ». Et ce, alors qu'il assurait, dans la foulée du refus de l'offre de Patrick Drahi (le patron d'Altice, la maison-mère de Numericable-SFR) pour Bouygues Telecom en juin dernier, que son groupe était armé pour poursuivre son cavalier seul.

Mettre fin à la guerre des prix

Du côté d'Orange, Stéphane Richard, son PDG, n'a jamais caché qu'il ne croyait pas à la pérennité et à la viabilité d'un marché à quatre acteurs, étant donné les très lourds investissements actuels dans les infrastructures dédiées à l'Internet fixe (via la fibre optique) et au mobile (à travers le déploiement d'antennes 4G). Chez Altice, le retour à trois opérateurs est depuis longtemps perçu comme un moyen de stabiliser le marché, a minima en mettant fin à la guerre des prix qui plombe les revenus du secteur depuis 2012 et l'arrivée de Free Mobile.

Xavier Niel, le patron du trublion low cost, disait en mars dernier qu'il ne croyait pas à une concentration du secteur, jugeant que Martin Bouygues ne vendrait jamais « sa femme », en faisant référence à Bouygues Telecom. Non seulement la donne a bien changé. Mais en plus, Xavier Niel n'a jamais fermé la porte à la consolidation, précisant opportunément qu'elle ne pourrait de toute façon se faire sans lui... En résumé, « même s'il n'y a pas de deal entre Orange et Bouygues, tous les opérateurs semblent aujourd'hui convaincus qu'il n'y a pas de place pour quatre acteurs en France », assure un autre analyste.

Les conditions idéales pour un « oui »

Toutefois, il semble que jamais le marché n'ait été aussi proche d'un retour à trois. Pour beaucoup, les conditions sont réunies pour que Martin Bouygues dise « oui » à Orange. Pourquoi ? D'une part, parce qu'un mariage avec l'opérateur historique lui offrirait des garanties solides en matière d'emploi dans sa filiale. D'autre part, parce qu'en devenant actionnaire d'Orange, il ne quitterait pas les télécoms, et aurait son mot à dire sur la marche de la nouvelle entité. Surtout, dans le petit monde des télécoms françaises, chacun sait que Martin Bouygues a beaucoup plus d'estime pour Stéphane Richard que pour Patrick Drahi ou Xavier Niel. C'est peu dire... Et ce, même si Martin Bouygues en a voulu à Orange d'avoir mis le pied à l'étrier de Free en lui permettant d'utiliser ses antennes 3G lorsqu'il s'est lancé dans le mobile il y a trois ans.

Pour autant, la partie est encore loin d'être jouée. Fort de ce statut de « gendre idéal », nul doute qu'Orange voudra tirer profit de la situation. La semaine dernière, dans un communiqué, l'opérateur a affirmé que « de tous les acteurs des télécoms français, Orange est celui qui a le moins besoin de la consolidation ». Comme si, d'une certaine manière, la concurrence devrait « faire des efforts » s'il devait être moteur d'un retour à trois opérateurs...

Une mise en concurrence de Drahi et Niel ?

Or sur le fond, la cote de Bouygues Telecom est actuellement très élevée, à 10 milliards d'euros, soit le prix proposé il y a six mois par Patrick Drahi. En parallèle, pour satisfaire les autorités de la concurrence, Orange devrait notamment revendre une très grande partie du réseau mobile de Bouygues Telecom. Pour que l'opération soit à son avantage, il a donc intérêt à en tirer le meilleur prix possible.

Orange devrait le proposer à Free, qui est l'acheteur naturel de cet actif puisqu'il bâtit le sien. Il y a six mois, lorsque Patrick Drahi a voulu racheter Bouygues Telecom, le chiffre de 2 milliards d'euros a circulé concernant le chèque que Xavier Niel était prêt à signer pour ce réseau. Mais pour faire grimper les enchères, Orange pourrait aussi solliciter Numericable-SFR. Et pour cause : l'opérateur de Patrick Drahi pourrait être tenté par le rachat d'une partie du réseau mobile qu'il partage actuellement avec... Bouygues Telecom. Une fois n'est pas coutume, les négociations promettent d'être animées.