Très haut débit : quand SFR veut fibrer la France tout seul

Par Pierre Manière  |   |  885  mots
D'après plusieurs analystes financiers, la proposition de SFR de fibrer la France tout seul s'apparente donc à un gros coup de pression. Photo : Patrick Drahi, le fondateur et propriétaire d'Altice (maison-mère de SFR).
Visiblement échaudé qu'Orange refuse de lui céder une part importante de la couverture des villes moyennes, et agacé des difficultés qu’il rencontre pour déployer la fibre dans les campagnes, SFR contre-attaque. L’opérateur du milliardaire Patrick Drahi propose donc de déployer tout seul, sur ses fonds propres, le très haut débit dans tout l’Hexagone.

C'est une opération coup de poing. Ce mercredi, Michel Paulin, le DG de SFR, a déclaré dans Les Echos que l'opérateur souhaitait « fibrer intégralement la France, et ce sans argent public ». Concrètement, l'industriel, filiale du groupe Altice qui appartient au milliardaire Patrick Drahi, compte créer une nouvelle société, Altice Infrastructures, « pour assurer l'ensemble des travaux ». Ceux-ci débuteront en septembre. « Nous fibrerons 80% du territoire en 2022, et l'intégralité d'ici 2025 », affirme Michel Paulin. Avant d'assurer que ce réseau sera ouvert à tous les opérateurs, et pourrait faire « économiser 8 à 15 milliards d'euros au budget de la France ».

Si cette proposition fait jaser, c'est parce que le déploiement de l'Internet fixe à très haut débit en France fait l'objet d'un complexe chantier industriel, impliquant à la fois le secteur privé et l'Etat. Lancé au printemps 2013, le Plan France Très haut débit (PTHD) vise à apporter une connexion ultra-rapide à tous les Français à horizon 2022. D'un coût estimé à 20 milliards d'euros, celui-ci repose essentiellement sur le déploiement de la fibre, qui doit progressivement remplacer le vieux réseau cuivré.

Drahi : « Je veux investir plus »

Le principe, c'est que dans les grandes villes, très rentables, les opérateurs déploient leurs infrastructures sur leurs propres deniers. Ici, environ 5,5 millions de logements sont concernés. Les villes moyennes et les périphéries des grandes agglomérations, en revanche, sont rentables pour peu qu'on n'y duplique pas les infrastructures. C'est pourquoi elles ont fait l'objet d'un partage, en 2011, entre les opérateurs. In fine, Orange et SFR ont préempté respectivement 80% et 20% de ces 13 millions de logements à raccorder d'ici à 2020. Pour accéder à ce marché, les deux autres grands opérateurs nationaux, Bouygues Telecom et Free, ont signé des accords pour co-investir dans ces zones. Enfin, dans les campagnes ou zones rurales les moins denses et les moins rentables - qui comptent pas moins de 17 millions de locaux et logements -, les collectivités passent des appels d'offres pour déployer des réseaux publics, en bénéficiant d'aides de l'Etat.

Problème : une grande partie de ces règles du jeu ne convient pas du tout à SFR, depuis que Patrick Drahi a racheté l'opérateur en 2014. Depuis longtemps, le chef de file d'Altice râle contre le partage des villes moyennes avec Orange. En juin 2016, lors d'une audition par la Commission des affaires économiques de Sénat, il s'est emporté :

« En rachetant SFR, j'ai trouvé une situation où Orange avait 80% de [cette] zone. [...] J'ai demandé un partage égal parce que je veux investir plus. Cela dit, je suis prêt à faire des doublons, car je ne souhaite pas être locataire du réseau des autres. »

Coup de pression

Depuis, SFR n'a cessé d'appeler à un partage des villes moyennes plus conforme à ses ambitions d'investissements via une révision des accords de 2011. Mais en mai dernier, face à la réticence d'Orange, l'opérateur de Patrick Drahi a assigné l'ex-France Télécom en justice.

Dans les campagnes et les zones rurales, le mode d'attribution des réseaux publics ne convient pas non plus à SFR. Pour Michel Paulin, ce système est « obsolète ». « Nous avons constaté que les conditions d'attribution des contrats publics manquent de clarté et connaissent de nombreux dysfonctionnements », a-t-il déclaré aux Echos. Fin juin, constatant qu'il n'était pas favori pour remporter l'énorme réseau public de la région Grand Est (qui comprend 900.000 prises), l'opérateur s'est montré menaçant. Michel Combes, son Pdg, a carrément menacé d'y déployer ses propres infrastructures en parallèle de celles déjà prévues s'il ne décrochait pas la timbale ! Même si avoir deux réseaux en fibre optique concurrents dans ces zones peu peuplées relève, a priori, d'une absurdité économique.

Orange reste de marbre

D'après plusieurs analystes financiers, la proposition de SFR de fibrer la France tout seul s'apparente donc à un gros coup de pression. Son objectif étant, au final, d'être propriétaire d'une part beaucoup plus grande du gâteau des réseaux très haut débit. Reste qu'interrogé par La Tribune, SFR affiche officiellement sa détermination à couvrir tout le territoire - même si l'initiative risque d'alourdir encore l'énorme dette d'Altice, qui s'élève aujourd'hui à plus de 50 milliards d'euros :

« Nous avons rattrapé notre retard dans le mobile en moins de deux ans, et avons désormais la première couverture 4G du territoire [mais pas en termes de qualité, NDLR]. La modernisation de nos réseaux câblés [dans les zones très denses] est quasiment terminée. Nous pouvons donc maintenant accélérer dans la fibre. Et tout cela sur fonds propres », nous dit-on.

Quoi qu'il en soit, chez Orange, la proposition de SFR laisse le leader français des télécoms de marbre :

« Dans le très haut débit, il y a eu énormément d'annonces ces dernières années... Il y en a de nouvelles de SFR qui veut fibrer toute la France ? Très bien ! Qu'ils fibrent! Nous, nous avons depuis longtemps une politique d'investissement volontariste dans la fibre, et nous allons la poursuivre comme prévu. Voilà tout. »

Egalement contactés par La Tribune, Free et Bouygues Telecom n'ont pas donné suite à nos sollicitations.