Immobilier : pourquoi faut-il lutter contre les rentiers fonciers

Par Mathias Thépot  |   |  1009  mots
L’inflation immobilière galopante du début du 21ème siècle en France a creusé les inégalités entre ménages, ainsi qu’entre générations.
Pour faire baisser des prix de l’immobilier trop élevés en France, la fondation Terra Nova propose de lutter contre la rétention foncière, clé de voûte pour accroître efficacement le nombre de logements.

L'entrée dans le 21ème siècle a été marquée par un accroissement vertigineux des prix de l'immobilier en France qui ont plus que doublé entre 2000 et 2012. Sur cette période, ils ont davantage crû dans l'hexagone qu'aux États-Unis, qu'en Espagne, qu'au Royaume-Uni, qu'en Italie, qu'aux Pays-Bas, ainsi qu'en l'Allemagne.
Cette inflation immobilière galopante a généré en France plusieurs effets négatifs, creusant les inégalités entre les ménages et entre les générations, tout en nuisant à la compétitivité des entreprises. Désormais, "il est souhaitable que ces prix baissent", prône la fondation Terra Nova, think tank proche du parti socialiste, dans une note publiée ce mardi.

Une baisse des prix de l'immobilier ne ferait pas que des heureux

Nécessaire, une diminution des prix des logements ne ferait en revanche pas que des heureux. "Les détenteurs de biens immobiliers, acquis à prix très élevés pour les acheteurs récents, devraient ainsi accepter une baisse de leur patrimoine", explique le think tank. "Une telle évolution pourrait être déstabilisante, même si des baisses parisiennes de près de 30% au début des années 90 avaient pu être absorbées par la plupart des ménages propriétaires", se souviennent tout de même les auteurs de la note.

Mettre à mal les intérêts des rentiers fonciers

Pour faire baisser les prix, Terra Nova milite comme beaucoup pour l'accroissement de l'offre de logements. Cependant, la fondation avertit : une telle politique ne saurait se faire sans mettre à mal "les intérêts des rentiers fonciers".

Concrètement, les auteurs proposent quatre grandes mesures pour stimuler l'offre de logements et lutter contre la rétention foncière. D'abord, ils soutiennent l'idée d'accroître l'intérêt financier des collectivités locales à construire des logements. Une pratique qui jusqu'ici s'accompagne de beaucoup de contraintes, comme le reflète l'adage "maire bâtisseur, maire battu". De surcroît, accueillir de nouveaux habitants génère souvent de nouvelles dépenses en matière d'équipements publics pour la collectivité (écoles, bibliothèques etc..) et ne rapporte pas suffisamment de recettes fiscales pour compenser.

Inciter les collectivités locales à construire

Terra Nova propose en conséquence "de rétablir un système d'incitation des collectivités locales plus favorable à la construction". L'Etat pourrait ainsi encourager "les élus bâtisseurs et pénaliser ceux qui pratiquent la rétention foncière" en agissant sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le montant pourrait être majoré en fonction du nombre de logements construits et prévus dans le plan local d'urbanisme (PLU). Ce qui permettrait de "couvrir les coûts engendrés par la construction de logements".
A l'inverse, si le nombre de logements construits est inférieur à l'objectif dans le plan local d'urbanisme, "la dotation globale de fonctionnement serait diminuée d'autant", est-il proposé dans la note.

Transfert des compétences d'urbanisme

Pour que les documents d'urbanisme soient élaborés de manière optimale, le think tank est également convaincu de la nécessité de transférer les compétences d'urbanisme au niveau intercommunal, ce que la nouvelle loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) instaure déjà sous conditions.

"Il est essentiel que le niveau démocratique de décision d'urbanisme revienne à l'agglomération, où les enjeux de satisfaction globale des besoins d'une part et de minimisation des gênes locales d'autre part peuvent être arbitrés sereinement", jugent les auteurs de la note. "Le niveau de l'agglomération est pertinent pour définir des politiques de logement en cohérence avec l'urbanisme et l'aménagement, les transports, le soutien à l'économie locale", ajoutent-ils.

En finir avec l'urbanisme passif

Mais encore faudra-t-il que ce qui est prescrit dans le PLU intercommunal soit appliqué en temps et en heure. Ainsi, Terra Nova regrette qu'en "France, des terrains sont déclarés constructibles sans déclencher nécessairement de nouvelles constructions dans des délais rapides".

Pour lutter contre cet "urbanisme passif", il faudrait, d'après le think tank, s'inspirer de ce qui est fait dans les pays du nord de l'Europe. Notamment en n'hésitant pas à instaurer davantage de contraintes pour que les PLU soient exécutés rapidement. Par exemple en imposant "à un propriétaire de construire dans un certain délai ( 5 ans) après l'achat du terrain ou après sa déclaration de constructibilité", faute de quoi il pourrait payer une taxe "sur le foncier bâti calculée avec la constructibilité maximale théorique du PLU" ; ou bien de manière plus radicale, être exproprié "à la valeur du foncier non constructible".

Dissocier le foncier et le bâti

Enfin, Terra Nova milite pour que soient développés des dispositifs qui dissocieraient le foncier du bâti, tout en maîtrisant les prix. L'entité publique consentirait ainsi sur ses terrains des baux emphytéotiques de très longue durée (99 ans) à des propriétaires-occupants sous plafonds de ressources, ou à des propriétaires-bailleurs avec plafonds de loyers. Le propriétaire bénéficierait d'une décote puisque son achat pour 99 ans serait "hors foncier", et des clauses de contrôle des prix à la vente seraient insérées.

"Ce nouveau type d'emphytéose permettrait aux collectivités publiques mettant à disposition le foncier de contrôler les prix à la revente et ainsi de maintenir leur effort initial pour l'accès à un logement à un prix abordable dans la durée tout en restant propriétaires du terrain", indiquent les auteurs de la note.

Une dissociation définitive du foncier et du bâti pour le logement pourrait aussi être envisagée. Dans ce cadre, Terra Nova n'exclut pas "l'implication possible pour le foncier d'autres investisseurs que les seules collectivités publiques".
Mais si ce type de dispositifs venait à être réellement créé, il faudrait prendre toutes les précautions nécessaire pour ne pas favoriser l'émergence de rentes infinies qui seraient déconnectées de l'intérêt du plus grand nombre.