Les pharmaciens réclament "un ballon d'oxygène" pour enrayer la vague de fermeture

Gilles Bonnefond, président délégué de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) a accordé un entretien à La Tribune pour faire un bilan sur la santé économique des pharmacies en France.

Après les annonces des mutuelles sur le déremboursement des médicaments jugés peu efficaces, et avant une réunion de négociation le 15 septembre avec les pouvoirs publics, il nous fait part de ces solutions pour répondre aux problèmes financiers rencontrés dans les officines.

Quelle est la situation des pharmaciens en France aujourd'hui ?

Nous disposons d'un très bon maillage à travers la France avec 23.000 officines sur tout le territoire, soit environ une pour 2.600 habitants. Les pharmacies sont ainsi une porte d'entrée dans le système de santé qui peut permettre au patient perdu de se faire conseiller sur les professionnels libéraux ou hospitaliers à consulter. Nous avons par ailleurs un très bon système d'approvisionnement, n'importe où en France on peut se procurer un médicament dans un délai de 24h, on a tendance à considérer cela comme normal mais c'est une chance d'avoir un aussi bon système.

Elle est donc plutôt bonne ?

La situation se dégrade pourtant. Nous avons recensé plus de 70 fermetures d?officines depuis le début de l?année, alors que dans la pharmacie cela n?est pas monnaie courante. Au-delà de ce nombre, ce qui est inquiétant c?est la l?accélération de la dégradation économique. Depuis 4 ans nous enregistrons une baisse de notre chiffre d?affaires, nos marges ont été réduite de 1.6 % entre 2005 et 2009 alors que dans le même temps les charges ont progressé. Les mesures économiques prises pour l?instant par les pouvoirs publics dans le cadre du déficit de la Sécurité sociale sont restées trop concentrées sur les pharmacies. Jusqu?à présent les conséquences n?étaient pas visible, il n?y avait pas de casse apparente. Aujourd?hui nous manquons de perspectives et le danger est de voir ce maillage se détériorer par la disparition des officines les plus fragiles. Dans certains quartiers difficiles et dans les zones rurales, la pharmacie est la seule activité de professionnel de santé à subsister. C?est le dernier lien social à préserver. Une autre menace pèse sur nous : si, comme il en est question, se sont désormais les hôpitaux qui approvisionnent les maisons de retraites en médicaments, et plus non les pharmaciens, beaucoup de nouvelles fermetures d?officines sont à attendre.

Quelles mesures envisagez-vous pour améliorer la situation financière des officines ?

Nous avons rendez-vous avec le directeur de cabinet de Roselyne Bachelot, le 15 septembre, et nous aurons deux demandes principales : l?arrêt des ventes des conditionnements trimestriels et une revalorisation de dix centimes sur la somme que nous touchons pour chaque boite de médicament vendue, les pharmacies ont besoin d?un ballon d?oxygène. La vente de conditionnement trimestriel de médicament a été mise en place il y a cinq ans pour les patients chroniques (tension, cholestérol?), mais cela a mal fonctionné puisque 27% des patients changent de traitement dans l?année. Quand on achète une boite pour trois mois, il y a du gaspillage par arrêt prématuré du traitement, nous l?avons chiffré, en ligne avec la Sécu, à 35 millions d?euros par an. Cela a aussi considérablement diminué nos marges, un manque à gagné annuel d?environs 100 millions d?euros sur l?ensemble des pharmacies en France. Sans compter la diminution de l?observance des autres médicaments présents sur l?ordonnance préjudiciable au patient. Ce n?est pas tenable alors que nous essayons de revaloriser nos marges. Résoudre ce problème est une priorité, on ne va pas remettre de l?eau dans la baignoire alors qu?elle est percée.

Comment s'annoncent les négociations avec le gouvernement ?

Il semble y avoir une vraie prise de conscience des difficultés des pharmacies et l'Etat est à l'écoute de nos demandes de revalorisation. Nous avons mené une enquête auprès des pharmaciens et sur les 1.000 réponses que nous avons dépouillées jusqu'à présent, 70% des pharmaciens annoncent avoir de sérieux problèmes de trésorerie et doivent renégocier des prêts ou injecter des apports personnels, ce qui est très significatif de l'état des pharmacies en France. Cette année, il ne faudra donc pas oublier les officines dans le projet de loi de financement de la Sécu. Par ailleurs la plupart de nos propositions, dont celles pour une meilleure coordination des professionnels de santé, sont dans l'esprit de la loi Bachelot, nous demandons simplement à ce qu'elle s'applique. Il faudra investir pour permettre aux pharmaciens de mieux se former pour opérer cette nouvelle coordination. Ces demandes sont légitimes, les patients se plaignent du manque de coordination entre médecins et pharmaciens. Il faut lancer au plus vite les expérimentations sur la coordination des professionnels avec les Agence régionales de santé.

Quel rôle pour les complémentaires santés, face à ces problèmes ?

Nous devrons bien sûr négocier avec elles. Nous proposons d?ailleurs la mise en place d?un forfait de remboursement allant jusqu?à 50 euros par an pour prendre en charge les ?médicaments conseils? que nous conseillons sans que le patient soit allé chez un médecin s?il n?a pas pu avoir de rendez vous et qu?une consultation n?était pas absolument nécessaire. Pour l?instant il y a une inégalité dans les régions où il y a peu de médecins, entre les patients qui peuvent se permettre de se passer d?ordonnance et donc de remboursement et ceux qui ne sont pas assez riches. Ce forfait pour les médicaments conseils pourrait être inclut dans les contrats que proposent les complémentaires sans qu?elles augmentent les frais de cotisation, puisqu?elles n?auraient plus qu?à rembourser le prix du médicament, alors qu?avant elles remboursaient aussi une consultation (à hauteur de 22 euros pour un médecin généraliste).

Cela concernerait quels médicaments ?

Il s'agirait de ceux pour lesquels l'ordonnance est facultative et permet seulement au patient de se faire rembourser. A nous de nous mettre d'accord avec les mutuelles sur les modalités de mise en place d'une telle mesure.

Elles cherchent pourtant à faire dés économies sur les médicaments. Leur objectif de déremboursement de ceux qui sont jugés peu efficaces se précise...

Elles ont tendance à considérer que les médicaments sont ce qui leur coute le plus cher, ce qui n?est pas faux, d?où leur envie d?en dérembourser certains. Mais au final ce sera les patients qui choisiront le contrat qui leur est le plus adapté. Même pour les mutuelles d?entreprises, les personnes au sein des sociétés qui sont chargés de signer les contrats sont très attentifs aux besoins de leurs employés et connaissent l?importance du remboursement des médicaments, surtout pour les jeunes. Les complémentaires devraient accompagner les patients par un remboursement de médicaments conseillés par le pharmacien. Les mutuelles étudiantes l?ont bien compris en remboursant d?ailleurs très bien les pilules qui ne sont pas prises en compte par la Sécurité Sociale, car ces médicaments représentent un poste de dépenses important pour ces patients. Dérembourser des médicaments jugés peu efficaces est une mesure très impopulaire chez les patients, ils condamnent ce type de contrat.

Vous avez parlé d'une meilleure coordination des professionnels de santé, qu'entendez-vous par là ?

Comme je le disais, nous avons un bon maillage qu?il faut veiller à ne pas gâcher. Il faut s?en servir pour faire fonctionner la coordination des soins avec les autres professionnels de santé. Notre réseau est mieux réparti que celui des médecins, il faut en tenir compte. Il ne s?agit surtout pas d?échanger les rôles mais de mieux se coordonner, de définir un protocole où chacun à une fonction à occuper. Il faut renforcer le rôle de premier contact, d?intermédiaire du pharmacien. Nous proposons de mettre en place, dans les communes sans médecins, des outils de téléconsultation, permettant aux patients se rendant dans des officines d?être mis facilement en contact avec des médecins, lorsque leur pathologie ne nécessite pas d?examen approfondi. Les solutions existent mais il faut encore s?équiper en matériel et définir un tarif pour cette téléconsultation. Concrètement nous proposons une modification de l?organisation sur trois niveaux : la possibilité pour les patients d?être remboursés lorsque nous leur délivrons sans ordonnance un médicament pour des pathologies bénignes (rhume, diarrhée?). Le deuxième niveau concerne le suivi des patients chroniques : on pourrait définir un protocole de soins où le patient choisit les professionnels de santé et accepte d?être suivi régulièrement. Cela lui permettrait notamment de mieux comprendre sa pathologie et la façon dont on le soigne. D?autre part le suivi régulier par les pharmaciens, permettrait d?anticiper des situations d?urgence et d?éviter des hospitalisations. Au troisième niveau ce suivi concernerait les patients qui rentrent d?une chimiothérapie ou de soins palliatifs. Il serait souhaitable de mieux organiser l?équipe (pharmacien, kiné infirmières médecins) qui doit accueillir les patients qui sortent de plus en plus tôt de l?hôpital.

Qu'en pensent les médecins ?

Le problème c'est que les syndicats de médecins, comme nous, sont en campagne électorale, mais le bon sens va ramener ceux qui hésitent à la réalité. Quand il y a des régions, comme l'Auvergne ou le Cantal, avec un déficit de médecin qui s'accélère, il est évident qu'on ne va pas pouvoir emmener tout le monde à l'hôpital. Il y a de moins en moins de médecins disponibles et ils vont être amenés à devoir plus se concentrer sur des pathologies lourdes.

Que proposez-vous ?

Nous proposons une meilleure organisation du système de santé par une coordination entre tous les professionnels de santé et pour une meilleure prise en charge du patient tant en ville qu?à l?hôpital. Nous avons la chance d?avoir en France un maillage pharmaceutique de qualité qui favorise cette mise en place dans le cadre de la loi Bachelot. Il va falloir mettre à profit cette opportunité, mais cela nécessitera aussi un soutien financier pour préserver notre réseau.

Commentaires 2
à écrit le 29/03/2012 à 9:20
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Ils oublient de parler de l'attitude des lobbyistes envoyés à Bruxelles par les grands laboratoires pharmaceutiques pour taper sur la tête des revendeurs de compléments alimentaires, le décret de 2006 signé par les ministre DE VILLEPIN, BERTRAND, BR...

à écrit le 02/12/2010 à 16:24
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Je suis bien d'accord avec lajaunie. Ma compagne est pharmacien assistant depuis 2 ans dans une pharmacie mutualiste touche l'équivalent du coefficient 450 c'est a dire 18.24 euro/h x 151.66 h/mois elle touche environ 2766 euros brut. ce qui donne en...

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