Non, François Hollande ne devient pas social-démocrate, il l'a toujours été

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1408  mots
François Hollande n'a pas changé, il est toujours partisan d'une politique de l'offre
Depuis les vœux présidentiels du 31 décembre, François Hollande est présenté comme s'étant converti à une politique en faveur de l'offre. Or, en réalité, François Hollande défend ce credo depuis les primaires socialistes.

2014 ! Le François Hollande nouveau est arrivé! Le vrai changement, c'est maintenant! Le président accepte, enfin, d'endosser les habits du social-démocrate qu'il a en vérité toujours été. Il serait totalement converti au "socialisme de l'offre". Voilà ce qu'on lit ou entend depuis les vœux présidentiels du 31 décembre.

Conformément au traditionnel effet domino, la plupart des observateurs reprennent cette antienne les uns après les autres et brodent sur le thème "le président revendique enfin une politique de l'offre" et "tend la main aux entreprises via  un pacte de responsabilité".  On peut pour le moins s'étonner. Un virage, mais quel virage pour celui dont on annonce tous les six mois la conversion à la social-démocratie ?

Un discours sur l'offre rodé depuis la campagne des Primaires socialistes

Depuis la campagne présidentielle, voire même durant la phase des primaires socialistes, François Hollande tient exactement le même discours sur la nécessité première de redresser les finances du pays et de favoriser " l'offre" des entreprises, donc le " made in France". Il a toujours dit que la première phase de son quinquennat, en cas d'élection, serait consacrée à ce redressement, accusant son prédécesseur d'avoir creusé les déficits de 600 milliards d'euros entre 2007 et 2012. Aucune envolée lyrique durant sa campagne, on était très loin du " changer la vie" de 1981. François Hollande a très peu fait de promesses sociales basées sur la redistribution.

Et il ne lui a pas fallu trois mois après son élection pour "liquider" les quelques engagements pris : le retour à la retraite à 60 ans pour les salariés ayant eu des carrières longues; une revalorisation de 25% de l'allocation de rentrée scolaire et un "coup de pouce" à la hausse du Smic (et encore, il s'agissait davantage d'une "avance"). C'est quasiment tout. Et pour cause, répétons-le, les engagements de campagne sur ce terrain étaient rarissimes. Rien à voir, donc, avec la relance par la consommation décidée par le gouvernement Mauroy au début du premier septennat de François Mitterrand. Au grand dam, d'ailleurs, du Front de Gauche qui lui a toujours reproché un continuum avec la politique de Nicolas Sarkozy, à quelques oripeaux près.

Très peu de promesses de redistribution durant la campagne

Une fois élu, François Hollande est resté fidèle à cette ligne. Mieux (ou pis), il s'est même rapidement débarrassé des quelques principes qui auraient pu faire penser que le socialisme "à l'ancienne" avait encore de l'avenir. Il en va ainsi de l'interventionnisme de l'État en matière industrielle. Les salariés d'Arcelor Mittal de Florange l'ont appris à leurs dépens. Et le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, apôtre d'une nationalisation temporaire de Florange, a été renvoyé dans ses buts. Quant au fameux projet de loi sur la reprise d'un site, qu'il a fait miroité durant la campagne, il a été largement vidé de sa substance.

Même constat sur le pouvoir d'achat. Quasiment jamais depuis son élection, le président n'évoque cette problématique, sauf quand il s'agit des plus démunis (titulaires des minima sociaux ou de petites retraites). Le maintien du pouvoir d'achat n'est pas un thème prioritaire pour lui - on l'a vu avec la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires -, encore une rupture avec la doxa socialiste. Et pour cause, reprenant largement à son compte les arguments développés par Arnaud Montebourg durant les Primaires socialistes, le président élu s'est emparé, tout de suite, de la question de la compétitivité des entreprises, donc de la politique de l'offre.

Le crédit d'impôt compétitivité emploi, symbole de la politique en faveur des entreprises

L'apothéose, en la matière, a été atteinte en novembre 2012 avec l'annonce de la création du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), fruit du rapport Gallois. Avec le CICE, ce sont 20 milliards d'euros qui étaient accordés aux entreprises pour baisser le coût du travail sur les salaires jusqu'à 2,5 Smic, sans aucune contreparties demandées.

En matière de "socialisme de l'offre" - le mot socialisme semble même totalement superfétatoire en la matière -, on ne pouvait guère faire mieux. D'ailleurs, le patronat a applaudi, même si, bien sûr, il souhaitait davantage. Une politique de l'offre qui s'est poursuivie depuis. Résultat, dans le budget 2014, si les ménages connaissent 12 milliards de hausses d'impôts - dont 6 milliards pour financer le CICE, via la hausse de la TVA - les entreprises, elles, paieront globalement deux milliards d'impôts de moins qu'en 2013. C'est donc plutôt dans les rangs traditionnels de la gauche que les dents grincent.

LIre aussi: "Politique fiscal, moins d'impôts pour les entreprises, beaucoup plus pour les ménages"

Une politique polluée par de l'impréparation

Mais le problème de François Hollande, c'est que cette action en faveur des entreprises a été totalement polluée par des débats et des interrogations étalées sur la place publique qui laissent entendre que c'est davantage une politique de gribouille qui est menée : d'où les mouvements des " pigeons" sur la taxation des plus-values de cession, des auto-entrepreneurs, etc. D'où aussi les saillies du Medef, quand il est question de créer un nouvel impôt sur l'excédent brut d'exploitation (plutôt que sur le bénéfice, pour limiter l'évasion fiscale). Autant de mesures, mal ficelées, mal préparées et mal expliquées qui, additionnées, ont donné l'impression aux entreprises de vivre un "matraquage fiscal", au même titre que les ménages.

Coût du travail: une préoccupation déjà ancienne

Sur le terrain social, le tropisme de François Hollande en faveur de" l'offre" n'est pas non plus nouveau. Lorsqu'à l'occasion de la dernière réforme des retraites, le gouvernement annonce une hausse des cotisations, c'est pour immédiatement baisser la contribution des entreprises affectées à la politique familiale… pour ne pas alourdir le coût du travail. En revanche, les salariés, eux, devront supporter l'augmentation de cotisation retraite…

Et que dire de l'accord national interprofessionnel sur l'emploi, conclu le 11 janvier 2013 par le patronat et les syndicats et repris dans une loi parue en juin 2013. Outre un raccourcissement des délais en cas de plan de licenciements collectifs et davantage de flexibilité, cette loi vient officialiser la possibilité de conclure des accord de "maintien de l'emploi" qui permettent de baisser les salaires - pour ceux supérieurs à 1,2 Smic - durant une période de deux ans si cela peut contribuer à éviter des licenciements. On comprend, là aussi, pourquoi les trois organisations patronales ont signé, in fine, ce texte les yeux fermés… Même si elles souhaitaient davantage, comme toujours.

On pourrait ainsi multiplier les exemples. C'est inutile. François Hollande n'a pas changé. En bon héritier de Jacques Delors et soucieux de prouver que la Gauche est aussi capable que la Droite de gérer les affaires du pays, il n'a jamais sombré dans un socialisme lyrique.

Certes, il a tenu des propos du style  "la finance, voilà l'ennemi", mais outre que Nicolas Sarkozy a tenu quasiment les mêmes en son temps, il s'agissait de propos de campagne destinés à galvaniser les troupes. D'ailleurs, la "Finance" n'a pas l'air de lui en tenir trop rigueur, vu la faiblesse des taux d'emprunt dont bénéficie la France…

Une persistance de positionnement qui pose cependant problème

Il est donc inexact de parler de "virage" du président. Tout au plus, on concédera que François Hollande prend de moins en moins de gants pour présenter sa politique social-démocrate. Comme s'il ne ressentait plus le besoin de ménager sa gauche. Le président est donc un social-démocrate affirmé, il l'était et il le reste.

Mais son positionnement demeure son gros problème. Il aura beau flatter le patronat dans le sens du poil et donner gages sur gages en matière de fiscalité et de coût du travail, il sera toujours considéré dans ce milieu comme  "n'en faisant pas assez". Et, de l'autre côté, avec la persistance d'un chômage élevé, la stagnation du pouvoir d'achat, les hausses d'impôts, le président se coupe des classes populaire et moyenne. Pour l'instant.