Le financement des syndicats est enfin clarifié par une loi

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  994  mots
Le ministre du Travail Michel Sapin veut instaurer la transparence dans le financement du syndicalisme
Le ministre du Travail Michel Sapin a fait adopter en conseil des ministres un texte réformant la formation professionnelle. Surtout, le projet instaure un financement "transparent" des organisations patronales et syndicales, via une contribution des entreprises qui remplace les sommes prélevées, jusqu'ici, sur les fonds de la formation pour financer les missions d'intérêt général remplies par le patronat et les syndicats.

Près de trente pages d'exposés des motifs, 69 articles dont certains destinés à en finir avec l'opacité du financement des organisation patronales et syndicales… Du costaud ! Le ministre du Travail Michel Sapin a fait adopter ce 22 janvier en Conseil des ministres le projet de loi relatif à "la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale". Maintenant, c'est un sprint parlementaire qui attend le ministre. Il faut en effet que tout soit bouclé avant l'interruption des travaux de l'Assemblée et du Sénat le 28 février pour cause d'élections municipales. Aussi, l'urgence a été déclarée sur le projet, qui ne fera donc l'objet que d'une seule lecture par les deux chambres : à compter du 5 février par l'Assemblée, puis le 18 février pour le Sénat.

Réforme de la formation professionnelle...

Pour Michel Sapin, ce texte "s'inscrit pleinement dans le pacte de responsabilité", cher à son ami le président de la République. Certes, le texte rénove le dispositif français de formation professionnelle, en reprenant l'accord national interprofessionnel finalisé le 14 décembre 2013 par le patronat et les syndicats (à l'exception de la CGPME et de la CGT). Il institue ainsi une nouvelle contribution ramenée de 1,6% à 1% ; la création d'un compte personnel de formation (doté au minimum, de 150 heures de formation) accessible aux chômeurs comme aux salariés.

.... Et du financement des organisations syndicales et patronales

Mais, surtout, le ministre du Travail souhaite qu'à l'avenir, le financement du paritarisme soit totalement déconnecté des sommes allouées au fonctionnement de la formation professionnelle.

Jusqu'ici, en effet, la règle tout à fait légale du "préciput" autorisait les organisations patronales et syndicales à prélever pour leur fonctionnement jusqu'à 1,5% des sommes mutualisées pour la formation professionnelle. Ce mécanisme permettait aux partenaires sociaux de collecter entre 60 et 80 millions d'euros par an. Bien pratique alors qu'aucune organisation n'arrive à couvrir ses frais avec les seules rentrées des cotisations. Ainsi, selon des éléments rassemblés par le conseiller d'État Raphaël Hadas Lebel, on parvenait grosso modo à la situation suivante : 220,6 millions de budget dont 145 millions hors cotisations pour la CGT ; 138 millions de budget dont 69 millions hors cotisations pour la CFDT ; 61 millions de budget dont 26 millions hors cotisations pour FO ; 60 millions de budget dont 48 millions hors cotisations pour la CFTC. Et, côté patronal, la CGPME percevrait 2,3 millions de cotisations... pour 16 millions de subventions.

Création d'un fonds paritaire

Pour l'avenir (à compter du 1er janvier 2015), le projet de loi met donc fin à ce système et instaure un nouveau mécanisme de financement des organisations syndicales et patronales basé sur une contribution des entreprises et de l'Etat à un fonds paritaire. S'agissant de la contribution des entreprises, son montant sera fixé lors d'une négociation paritaire entre les organisations syndicales et patronales. Faute d'accord, l'Etat fixera par décret le montant de cette contribution qui sera égale à un pourcentage de la masse salariale. Au ministère du Travail, on estime que cette future contribution sera comprise dans une fourchette allant de 0,014 à 0,02% de la masse salarial. A titre d'exemple, dans le secteur de l'artisanat, précurseur en la matière, un accord paritaire conclu en 2001, a fixé une contribution égale à 1,5% de la masse salariale pour assurer le fonctionnement du paritarisme. Au ministère, on insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une taxe nouvelle puisqu'elle remplace l'ancien "préciput formation".

Des sommes destinées financer les missions d'intérêt général

Etant entendu également que les somme ainsi récoltées doivent servir à couvrir les frais induits par la participation des représentants patronaux et syndicaux aux multiples organismes où ils doivent remplir des missions d'intérêt général (gestion de l'assurance-chômage, de la sécurité sociale, des caisses de retraites complémentaires, de la formation professionnelle, des commissions sur la concurrence, etc.). Les sommes seront, côté syndicats de salariés, attribuées au prorata de leur audience respective, à toutes les organisations syndicale dont l'audience est supérieure au niveau national à 3%. Ainsi, seraient concernées (dans l'ordre décroissant) les organisations CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa et Solidaires. Pour les organisations patronales, il faudra attendre 2017 et l'entrée en vigueur des nouvelles règles relatives à la représentativité des organisations patronales pour connaitre les clés de la répartition. Au ministère on insiste là aussi sur le fait que les bénéficiaires des fonds devront rendre compte de leur utilisation.

Les organismes paritaires pourront aussi contribuer

A noter que, outre le montant de la contribution des entreprises, patronat et syndicats, lors de la future négociation, pourront aussi décider d'une éventuelle participation financière d'autres organismes paritaires, comme l'Unedic qui gère l'assurance-chômage, ou encore l'Agirc ou l'Arrco qui gèrent les retraites complémentaires. Quant à la participation de l'Etat à ce fonds, elle pourrait provenir d'une partie des sommes économisées par l'abandon de l'organisation du scrutin prud'homal (90 millions d'euros).

Bref, une vraie tentative de clarification… On verra à l'usage ce qui adviendra. En tout cas pour Michel Sapin : "Il y avait beaucoup trop de boîtes noires, je veux que la démocratie sociale soit une boîte transparente car il en va de sa légitimité". Dont acte !

Enfin, pour tenter d'éviter à l'avenir certaines dérives apparues ici ou là, le texte prévoit par ailleurs un meilleur contrôle des comités d'entreprise (CE), en rendant obligatoire pour les plus grands la certification de leurs comptes..

A noter que le projet de loi acte aussi le renforcement du rôle des inspecteurs du travail et modifie à la marge les dispositions applicables aux contrats de génération.

En revanche, il ne contient plus la réforme du scrutin prud'homal. Celui-ci fera l'objet au printemps d'une procédure d'adoption particulière, par ordonnance. Pour ce faire, une loi d'habilitation pour réformer par ordonnance a également été adoptée ce 22 janvier en Conseil des ministres.

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