Pour la France, la marge de manœuvre s'annonce étroite face à Bruxelles

Par Romaric Godin  |   |  1390  mots
La France ne sera pas en position de force pour négocier avec Bruxelles une nouvelle trajectoire budgétaire
François Hollande et Manuel Valls devront négocier avec Bruxelles et leurs partenaires pour réaliser les projets annoncés hier soir. Des discussions qui s'annoncent difficiles...

Le « programme à l'italienne » esquissé dans son intervention du 31 mars par François Hollande se heurte d'emblée à la question européenne. Les marges de manœuvre pour financer la relance du pouvoir d'achat semble en effet réduite à néant. Il va donc falloir laisser filer le déficit. Or, à la différence de l'Italie, la France ne dispose actuellement d'aucune marge budgétaire.

Pas de marge de manœuvre

Pour rappel, fin 2013, le déficit des administrations publiques en France était de 4,3 % du PIB, alors que le gouvernement français tablait sur 4,1 % du PIB et que, dans la trajectoire des finances publiques fixée avec Bruxelles, ce déficit devait être à 3,9 % du PIB. La France a donc déjà un retard considérable sur ses objectifs qui lui permettrait, en théorie de revenir en 2015 à un déficit inférieur sous les 3 % du PIB. Sur le papier, l'annonce de François Hollande est donc nulle et non avenue : la France devrait encore se serrer la ceinture et n'a donc aucune marge de manœuvre.

Elle en a d'autant moins que se profile déjà à l'horizon l'objectif fixé par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Ce traité, tant défendu après son élection par François Hollande, prévoit dans son titre III, le « pacte budgétaire » que « la limite inférieure de déficit structurel est fixé à 0,5 % du PIB » à partir de 2018. Certes, cette tâche est sans doute moins difficile puisqu'un déficit nominal de 3,9 % du PIB, selon la Commission, représente un déficit structurel de 1,3 % du PIB. Mais la tâche de consolidation n'en est pas moins encore à faire.

La France à l'amende ?

Si le gouvernement de Manuel Valls veut passer outre, elle devra ignorer ostensiblement les recommandations qui seront faites à la France dans le cadre du semestre européen et de la procédure du « two pack ». Or, cette ignorance est désormais sévèrement punie par le mécanisme dit du « Six Pack », entré en vigueur en 2011.

La Commission peut ainsi désormais faire entrer la France dans une procédure « d'application rigoureuse. » Cette procédure comporte le versement d'un dépôt et pouvant s'élever jusqu'à 0,1 % du PIB, soit pour la France, 2 milliards d'euros. Ce dépôt portera intérêt tant que le pays ne rentre pas dans le rang. Ce dépôt pourra devenir une amende. En cas de refus de se soumettre aux recommandations, Bruxelles pourra infliger, après deux rappels, des sanctions financières. Elles pourront, cette fois, prendre la forme d'une amende de 0,2 % du PIB (soit 4 milliards d'euros environ), ou d'un montant égal à la différence entre le ratio déficit sur PIB effectif et la cible de 3 %, ce qui alourdirait encore la sanction.

Si la France subit une telle procédure, elle sera forcément déstabilisée et le prix de la dette devrait s'en ressentir. Au final, la facture budgétaire sera alourdie - par les sanctions et par le coût de la dette - mais, surtout, la zone euro sera à nouveau déstabilisée. Voir la deuxième économie de la région refuser de se soumettre à la nouvelle architecture de la zone euro, ce sera l'échec de cette réforme. Sur les marchés, chacun spéculera à nouveau sur la survie de l'euro. On entrera à nouveau dans l'inconnu.

La Commission en position de force dans la négociation

Le gouvernement et ses partenaires ont donc tout intérêt à éviter ce bras de fer. L'idée avancée par François Hollande dans son allocution a été d'obtenir un assouplissement de la trajectoire budgétaire prévue moyennant un certain nombre de réformes. « Le gouvernement aura aussi à convaincre l'Europe que cette contribution de la France à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de ses engagements », a avancé le président de la République. Il va donc falloir négocier. Mais ce ne sera pas aisé.

Dès ce mardi 1er avril, la Commission a engagé la France à respecter ses engagements et a rappelé qu'elle avait déjà accordé deux sursis à Paris. Grâce au « Six Pack », Bruxelles est en position de force. Elle peut prendre des décisions de son propre chef, sauf si le Conseil européen bloque sa décision avec une majorité de 255 voix sur 325, soit 78 % des voix pondérées. C'est la procédure dite de la « majorité qualifiée inversée. » Elle rend très difficile le blocage des décisions de la Commission.

Dans ces conditions, il n'est plus possible de se mettre d'accord entre les gouvernements français et allemands pour, comme en 2005, ne pas sanctionner les pays qui sortent des clous. Une alliance de « petits pays » orthodoxes peut suffire à empêcher le blocage de la Commission. C'est donc bien avec cette dernière que la France va devoir discuter. Et elle ne sera pas en position de dicter sa loi…

L'espoir Schulz

L'espoir des deux têtes de l'exécutif français réside donc in fine dans une « victoire » de Martin Schulz aux Européennes et dans son accession à la présidence de la Commission. Si le candidat du centre-gauche l'emporte, Paris peut espérer qu'une nouvelle stratégie se mette en place à Bruxelles, plus « compréhensive » à l'égard de la France. Les « relances » mis en place en Italie et en France, mais aussi - pourquoi pas - en Espagne, pourrait ainsi participer d'une accélération de la croissance qui rendrait plus facile le retour aux respects des engagements. Ce serait le signe d'un vrai « changement » en Europe. En passant, cela permet de « repolitiser » l'élection européenne en lui redonnant de l'enjeu.

Quel président pour la Commission ?

Cette stratégie est cependant très fragile. D'abord, Martin Schulz n'a pas gagné, loin de là. La dernière projection en sièges pour les Européennes donnait une courte avance aux Conservateurs. Dans ce cas, Martin Schulz ne pourra pas prétendre diriger la Commission. Mais, quand bien même le Parti socialiste européen serait la première formation au parlement européen, il n'aura pas la majorité. Il faudra donc trouver un accord entre le PSE et le PPE, mais aussi au sein du Conseil européen, qui propose toujours à l'élection du parlement le président de la Commission. Il faudra donc trouver un compromis entre Paris et Berlin avant la négociation directe avec Bruxelles.

Le compromis sur la présidence de la Commission pourra prendre plusieurs formes. Martin Schulz pourrait devenir président de la Commission, mais le PPE exigerait un commissaire « orthodoxe » aux Affaires économiques et monétaires et des garanties dans la gestion des sanctions. Dans ce cas, la marge de manœuvre française se réduirait. Deuxième option : c'est un homme de « compromis » qui prend les rênes de la Commission, et dans ce cas aussi, la tâche de Paris sera difficile.

Compromis à définir avec Berlin

Mais avant cela, il faudra aussi trouver un accord avec Berlin. La force de la France sera de dire que l'intérêt de la zone euro n'est pas de laisser la France retomber en récession. L'exécutif français semble vouloir s'appuyer sur un axe franco-italien, Matteo Renzi souhaitant lui aussi « relancer » pour faire valoir ses choix. Mais, en face, Berlin fourbit aussi ses armes, se rapproche de Londres et revient sur son idée d'une modification des traités pour renforcer la discipline. Angela Merkel aura également à cœur de ne pas saper les bases de la nouvelle architecture institutionnelle qu'elle a mis en place entre 2010 et 2012 et de ne pas apparaître perdante face à son opinion.

La France obtiendra-t-elle une bienveillance du Conseil dans le choix du président de la Commission moyennant un accord pour un changement de traités et la mise en place de « contrats » de compétitivité tant souhaités par Angela Merkel ? C'est une option. L'autre option, c'est que Berlin, puis Bruxelles, exige que, moyennant un nouveau court délai, la relance française soit minimale, voire symbolique. Une chose est certaine : compte tenu de sa faible marge de manœuvre, Paris va devoir faire des sacrifices et des réformes difficiles à faire passer dans l'opinion.