Travail dominical : le recours aux ordonnances est-il vraiment possible ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  983  mots
Le gouvernement envisage de généraliser le travail du dimanche via un recours aux ordonnances.
Le gouvernement songe a étendre le travail dominical via la procédure des ordonnances. Des voix syndicales s'élèvent et rappellent que la loi prévoit que toute modification du Code du travail doit donner lieu à une concertation préalable. Le gouvernement invoque l'urgence pour contourner ce principe.

Ainsi le gouvernement songe à généraliser la possibilité du travail du dimanche en agissant via la procédure des ordonnances. C'est-à-dire dans l'urgence. En effet, les ordonnances, prisent sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, permettent au gouvernement de légiférer sans avoir à débattre du contenu du texte dans le détail devant l'Assemblée Nationale et le Sénat. Dans le camp syndical, on commence à s'émouvoir du fait que Manuel Valls pourrait retenir cette solution.

Le gouvernement veut faciliter rapidement le travail dominical, via une ordonnance ...

Vendredi 29 août, Matignon a fait savoir que le futur projet de loi sur la croissance, qui sera défendu par le nouveau ministre de l'Economie Emmanuel Macron, comporterait notamment des « habilitations à agir par ordonnances, par exemple sur le repos dominical".  Mais ceci n'est pas encore certain, même si Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement a souligné que « Quand vous touchez à 50 articles du Code du Travail , par exemple sur ce sujet du travail du dimanche, vous pouvez avoir la volonté de simplifier par ordonnance »... Une façon de dire que la décision est prise ?

Concrètement donc, le gouvernement, dans le cadre de la loi sur la croissance, demanderait au Parlement de voter une habilitation lui permettant de modifier la législation sur le travail du dimanche, via une ordonnance.  Une fois l'ordonnance prise, le gouvernement devra déposer dans un laps de temps imparti une loi de ratification à son tour votée par le Parlement.
Cette disposition prévue dans la Constitution de la Vème République permet d'aller vite. Elle a été régulièrement utilisée, y compris sur les questions sociales. Mais le gouvernement joue cependant la prudence.

... mais la loi Larcher de 2007 impose une concertation préalable sur les sujets sociaux

Et pour cause, il n'est pas encore absolument certain qu'il ait le droit d'agir par ordonnances sur un tel sujet. En effet, depuis la loi Larcher - du nom de l'ancien ministre délégué à l'Emploi de Jacques Chirac -  du 31 janvier 2007:

« tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives de travail, de l'emploi (...) fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs (...) en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation ».


Pratiquement, cela veut dire que, depuis cette loi, le gouvernement ne peut légiférer sur un domaine précis touchant au droit du travail sans avoir auparavant laissé une chance aux partenaires sociaux de conclure une négociation sur ce même domaine. C'est ce que l'on appelle la « démocratie sociale » et « l'autonomie des partenaires sociaux ».

Ce mécanisme s'est concrétisé ces derniers temps par la conclusion de grands accords nationaux interprofessionnels (ANI) comme ceux sur les réformes du marché du travail et de la formation professionnelle en 2013. Pour les syndicats, c'est donc cette démarche qui doit aussi s'appliquer pour une éventuelle extension du travail dominical : ce sujet doit faire l'objet d'une négociation et, en cas d'accord, il doit être repris dans une loi.
Intervenant ce lundi 1er septembre sur Radio Classique, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, n'a pas dit autre chose : « avant d'élaborer le texte, notamment sur le travail du dimanche, il faut une concertation ». Pour sa part, la Fédération FO des employés et cadres dénonce aussi ce recours aux ordonnances et rappelle qu'elle à saisi l'Organisation international du Travail (OIT) pour faire respecter sa convention 106 sur « le repos hebdomadaire commun ».


La notion "d'urgence" au cœur du débat

Du côté politique, on se montre également sceptique. Le Parti de Gauche refuse un recours aux ordonnances sur le travail du dimanche... Tout comme le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. En revanche, le président du groupe PS à l'Assemblée Nationale, admet qu'il pourrait accepter cette option « car il y a urgence ».

La notion « d'urgence », c'est là le cœur du débat. Pourquoi ? Car la loi de Gérard Larcher de 2007 prévoyait en effet que les dispositions obligeant à une concertation préalable entre partenaires sociaux ne sont pas applicables « en cas d'urgence » :

« lorsque le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l'absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations [patronales et syndicales] en la motivant dans un document avant de prendre toute mesure nécessitées par l'urgence".

Si le gouvernement décide donc d'un recours aux ordonnances pour faciliter le travail dominical, il devra justifier sa démarche auprès des partenaires sociaux et notamment expliquer en quoi il y a « urgence », cette notion n'étant pas strictement définie par la loi. Bien entendu, Manuel Valls et Emmanuel Macron, justifieront « l'urgence » par le besoin absolu de trouver toutes les sources d'emplois possibles et que le travail dominical fait partie des pistes potentielles. Les syndicats rétorqueront que la question du travail dominical est sur la table depuis des mois, voire des années, et qu'une sorte de compromis avait été trouvé à la suite de la remise du rapport Bailly (du nom de l'ancien président de La Poste) remis au Premier ministre en décembre 2013 après les affaires Leroy-Merlin et Castorama qui avaient défrayé la chronique. Pour les syndicats, il n'y a donc pas une « urgences absolue ».
Surtout, dans le camp syndical, on s'inquiète du fait que l'initiative gouvernementale, si elle se confirme, ne crée un précédent et permette à l'avenir de détourner le principe posé par la loi Larcher de 2007 sous prétexte de « l'urgence ». Il reste quelques jours au gouvernement pour déminer le terrain et s'assurer auprès du Conseil d'Etat qu'il peut utiliser sans risque la notion d'urgence en la matière...