Le Medef se divise sur la ligne à adopter face au gouvernement Valls

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1344  mots
Pierre Gattaz, président du Medef, cherche à concilier les différentes tendances à l'oeuvre au sein de l'organisation patronale.
Deux tendances distinctes apparaissent de plus en plus clairement au sein de l'organisation patronale. Une tendance "dure" veut en découdre ouvertement avec un gouvernement Valls affaibli. Une autre mouvance, pragmatique, veut profiter de tous les avantages liés au pacte de responsabilité. Au milieu, Pierre Gattaz est obligé de pratiquer le grand écart.

«On a parfois l'impression que Pierre Gattaz tient des propos incohérents. Un jour il tape sur le gouvernement et le lendemain il défend le pacte de responsabilité initié par le même gouvernement. En vérité, ce grand écart se justifie par son besoin de maintenir le consensus au sein du Medef et ce n'est pas tous les jours facile ». Ces propos tenus par un cacique du Medef expriment la ligne de fracture qui se creuse actuellement au sein de l'organisation patronale. Certes, ce n'est pas (encore) la guerre mais de nombreux observateurs soulignent tout de même que la situation se tend en interne. Résultat, pour maintenir la paix, Pierre Gattaz en est réduit à satisfaire... les deux camps à la fois. Situation toujours difficile.


Une ligne "dure" qui veut en découdre avec le gouvernement Valls

L'enjeu est bien sûr l'attitude que doit adopter le Medef face au gouvernement. Valls. Pour une première tendance patronale, emmenée par Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef, il faut en découdre avec ce gouvernement qui « fait un pas en avant et deux pas en arrière ». Ce camp, par exemple, a été dernièrement outré par la publication des décrets sur le compte pénibilité ou par les obligations de la loi Hamon d'informer les entreprises deux mois avant la vente d'une entreprise. Bien entendu, la liste de leurs griefs est bien plus longue que ces deux exemples. Cette mouvance pense que le mouvement patronal devrait profiter de la situation de désarroi dans laquelle se trouve l'équipe Valls pour exiger beaucoup plus, notamment en matière de flexibilité du marché du travail.  Et d'estimer que, au nom de la lutte contre le chômage, principale préoccupation des Français, ça pourrait marcher.
Cette « ligne Roux de Bézieux », notamment défendue par les fédérations des banques, de l'assurance et du bâtiment, s'appuie sur une base patronale très remontée. « C'est vrai qu'à chaque assemblée on constate que les patrons de PME sont de plus en plus courroucés, explique un permanent patronal d'Ile-de-France, on nous reproche même d'avoir signé des accords interprofessionnels, notamment celui du 11 janvier 2013 sur le marché du travail qui ne va absolument pas assez loin ».


Une ligne "pragmatique" défendue par la Métallurgie

L'autre ligne, plus conciliatrice, est défendue par la Fédération de la métallurgie (UIMM) et son délégué général Jean-François Pilliard, également vice-président du Medef. Bien entendu, cette tendance n'est pas entièrement satisfaite de la politique gouvernementale. Mais, pragmatique, elle estime que les 41 milliards d'euros sur trois ans d'allègements de cotisations et d'impôts pesant sur les entreprises, décidés par le gouvernement dans le cadre du pacte de responsabilité, sont toujours bons à prendre. Pour elle, il ne faut pas forcer les lignes, ne pas en faire trop. « Actuellement, c'est plutôt encore cette tendance qui l'emporte », note notre cadre patronal qui remarque que Jean-François Pilliard s'exprime systématiquement sur tous les sujets juste après Pierre Gattaz, alors que Roux de Bézieux est davantage en retrait. "Mais attentions, la ligne Roux de Bézieux est en train de marquer de nombreux points au sein de la base patronale qui en a ras le bol ».

Vers un grand rassemblement patronal à Paris?

C'est d'ailleurs pour tenter de canaliser cette colère montante que les trois organisations patronales, Medef, CGPME et UPA (les artisans employeurs) ont décidé d'organiser une semaine d'actions partout sur le territoire du 1er au 5 décembre. La CGPME envisage même de faire descendre dans la rue ces troupes, ce que récuse le Medef. Il n'en reste pas moins que toutes les organisations patronales se retrouvent pour estimer que si ce signal  envoyé au gouvernement s'avère insuffisant, alors il sera temps d'organiser quelques chose de plus important encore. Un gigantesque rassemblement patronal à Paris pour dire « ça suffit » est actuellement à l'étude. Un peu sur le mode de ce qu'avait fait le 4 octobre 1999 le premier président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, qui avait réuni au parc des expositions Porte de Versailles plus de 20.000 chefs d'entreprise pour dire « non aux 35 heures ». Côté patronal, on « sent » que le « timing » est le bon avec un gouvernement affaibli.

La négociation sur le dialogue social, enjeu de cette ligne de fracture

Ces bisbilles patronales ont déjà eu des conséquences concrètes. C'est en effet ce 13 novembre que devait se tenir une nouvelle séance de négociation patronat/syndicats sur la modernisation du dialogue social, finalement retardée. Au centre des discussions:  la représentation des salariés dans l'entreprise et la question des seuils sociaux. Une négociation qui doit aboutir pour la fin de l'année. A défaut, le gouvernement reprendra la main. Le 30 octobre, la délégation patronale avait présenté un projet d'accord considéré comme une véritable « provocation » par les syndicats. Le patronat proposait de supprimer l'obligation d'élire des délégués du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés. Dans celles de plus de 50 salariés, il souhaitait instituer un « Conseil d'entreprise », instance unique de représentation du personnel, qui se substituerait à toutes les instances actuelles : comité d'entreprise, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégué du personnel et délégué syndical.
Pour la ligne « dure » du Medef, il est temps de « changer de paradigme » en matière de représentation du personnel et, surtout, de faire sortir les syndicats de l'entreprise. La CGPME est également plutôt sur cette ligne. Ce n'est pas tout a fait l'avis de Jean-François Pilliard et de l'UPA. Certes, Jean-François Pilliard tient à ce que les seuils sociaux soient relevés et que la représentation soit simplifiée.

Donc l'idée d'un « Conseil d'entreprise » ne disparaitra pas des prochaines propositions du Medef qui seront présentées le 21 novembre lors de la nouvelle séance de négociation. Mais le texte pourrait évoluer sur le seuil, ce n'est peut-être pas dans les entreprises de plus de 50 salariés que ce « Conseil » serait institué mais plutôt dans celles de plus de 200 ou 300 salariés. Quant à la représentation des salariés dans les entreprises de moins de 50 salariés, elle pourrait, finalement, être assurée par des « commissions territoriales syndicales » extérieures à l'entreprise. L'UPA défend cette idée. Et pour cause, dès 2001, au grand dam de la CGPME et à l'époque du Medef, elle avait conclu un accord instituant un dialogue social pour les petites entités de moins de 11 salariés, via des commissions territoriales paritaires dénommées « commissions paritaires régionales interprofessionnelles » (CPRIA).

L'idée continue de faire hurler la CGPME. C'est d'ailleurs pour se donner le temps de réécrire le texte patronal présenté le 30 octobre aux syndicats et qui avait fait tant scandale que la réunion patronat/syndicat du 13 novembre a finalement été annulée. Il fallait davantage de temps pour rédiger de nouvelles propositions plus acceptables. L'idée étant d'arracher in fine un accord avec une majorité de syndicats.

Un scénario qui fait faire la moue à l'aile dure patronale qui aurait bien voulu que le Medef campe sur une ligne plus intransigeante, quitte à mettre à mal le « paritarisme à la française » tel qu'il existe actuellement.. et qui ne satisfait pas cette mouvance patronale qui le trouve « trop formel et trop rigide ». Pour elle, le fait de laisser la gestion du dossier au gouvernement valait avertissement, du genre : « le Medef ne se satisfait plus de conclure un texte au consensus mou ».

Si cette fracture interne au Medef se prolonge, il va être de plus en plus difficile à Pierre Gattaz de pratiquer le grand écart et d'envoyer des signaux contradictoires pour tenter de satisfaire tout le monde. La ligne patronale à adopter devra alors être définitivement tranchée par les instances de l'organisation patronale.