Croissance : la France a-t-elle perdu une décennie ?

Par Fabien Piliu  |   |  1249  mots
Passation de pouvoir, le 3 avril 2014, de Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, à Michel Sapin, nouveau ministre des Finances et des Comptes publics et à Arnaud Montebourg, nouveau ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique.
L’Insee a dévoilé les résultats détaillés du PIB au troisième trimestre. La consommation et la variation des stocks sont les seuls moteurs de la croissance…

Au début des années 2000, l'exécutif avait un rêve : modifier le modèle de croissance économique de la France. Afficher entre 1,8% et 2,5% de croissance annuelle en moyenne n'était pas suffisant. En cause ? Le poids trop important de la consommation des ménages, la faiblesse de l'investissement réalisé par les entreprises et la perte de vitesse des exportations, perte de vitesse que le gouvernement pensait alors pouvoir stopper. En 2003, personne ne pouvait imaginer que la balance commerciale n'afficherait plus d'excédent avant longtemps...

Copier l'Allemagne, déjà

Déjà, certains économistes avançaient que l'Allemagne, qui entamait la réforme de son marché du travail était le modèle à suivre. Il devenait urgent d'agir pour que les entreprises puissent investir davantage, pour augmenter la valeur ajoutée du "made in France" et pour que les entreprises partent à la conquête des pays en forte croissance dans le sillage des grands groupes. Certains dispositifs étaient simplifiés et modernisés. Ce fut par exemple le cas du crédit impôt recherche (CIR) pour stimuler la recherche et développement. Ubifrance, l'agence pour le développement international, s'engageait dans une vaste réforme structurelle. Le plan Gazelles était lancé avec pour objectif d'accélérer le développement des champions de demain. Fusion de l'Agence nationale de la valorisation de la recherche (Anvar) et de l'Agence pour l'innovation industrielle (AII), Oseo prenait son envol tout comme France Investissement. La mission de ces deux institutions ? Fluidifier le financement des entreprises.

Dans le même temps, ou presque, les 71 pôles de compétitivité s'enracinaient dans les territoires avec pour objectif de faire émerger des entreprises innovantes, fruit de la collaboration entre les TPE, les PME, les grands groupes et les laboratoires de recherche publics et privés.

Quelques rapports, beaucoup de recommandations

Un exemple ? En mai 2004, Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre des Finances, avait demandé à Michel Camdessus, l'ancien directeur général du FMI, de réfléchir aux « limites de notre modèle de croissance, à un moment où d'autres zones du monde font la preuve d'un dynamisme économique important ».

Comme ceux de la commission Attali plus tard, en 2008, les experts réunis par Michel Camdessus formulaient une série de recommandations -110 au total - pour réformer le modèle de croissance français. La "commission pour la libération de la croissance française" présidée par l'ancien conseiller de François Mitterrand fera pour sa part 316 propositions.

Des points positifs

Toutes ces intentions étaient bonnes. Mais les outils, a priori bien conçus, ont-ils produits les effets escomptés ? Ont-ils permis à l'économie française de se doter d'un tissu d'entreprises de taille intermédiaires capables de rivaliser en Europe et ailleurs avec leurs concurrentes allemandes ?
Au regard de la situation française actuelle, la réponse est évidente même si tout n'est pas à jeter. En effet, une étude récente de l'Insee témoigne des effets positifs de toutes ces mesures sur le développement des entreprises. Depuis 2010, le nombre d'entreprises dont les effectifs oscillent entre 200 et 499 salariés ont augmenté, passant de 5.968 à 6 .121 en 2011, 6.171 en 2012 et 6.217 en 2013. Cette augmentation est faible, mais elle est indéniable. Le nombre d'entreprises qui emploient entre 500 et 1.999 personnes s'inscrit également en hausse ces dernières années. Il est passé de 1.569 en 2011 à 1.624 en 2012 et 1.673 en 2013. Enfin, l'Insee recensait 125 entreprises de plus de 2.000 salariés en 2010, puis 127 en 2011, 134 en 2012 puis 138 en 2013. Soit une augmentation de 10,4%.

Un échec total, une absence de vision

En revanche, l'objectif plus global consistant à modifier la structure même de la croissance tricolore a lamentablement échoué. Pire, la crise de 2008-2009 et ses soubresauts encore visibles aujourd'hui ont amoindri le potentiel de croissance de l'économie française. Concrètement, le modèle croissance est le même mais il a perdu en puissance. Quand la Banque de France estimait à 2% le taux de croissance potentiel de la France entre 1990 et 2005, il n'oscillait plus qu'entre 0,7 % et 1,3 % en 2014 selon l'Insee. La Commission européenne l'estime à 1,2%.

Le gouvernement actuel est-il à blâmer ?

Les détails du PIB au troisième trimestre publiés ce mardi par l'Insee sont, de ce point de vue, éloquents. Certes, compte tenu de la morosité de la conjoncture depuis 2011, il faut se réjouir de la "performance" de l'économie française cet automne. Une hausse de 0,3% du PIB est "une bonne nouvelle". Mais il ne faut pas omettre que cette progression trouve son origine dans le seul sursaut de la consommation des ménages et une variation des stocks de... 0,3%. L'investissement fut désespérément stable. Quant au commerce extérieur, il a retiré 0,2 point de PIB à la croissance.

Le gouvernement de Manuel Valls est-il responsable de la situation ? On ne peut le nier. Mais le gouvernement actuel et, avant lui, celui de Jean-Marc Ayrault ne sont pas les seuls à qui l'on peut reprocher une absence de vision stratégique de l'économie. Les maux de l'économie française ne datent pas d'hier. Tous les gouvernements qui se sont succédés depuis le début des années 2000 et notamment les 13 ministres de l'Economie qui se sont succédés depuis 2000 et leur cohorte de ministres délégués et de secrétaires d'Etat méritent tout autant d'être accusés de faiblesse crasse. Tous ont leur part de responsabilité dans la perte de vitesse de l'économie française et la dégradation de sa compétitivité, symbolisée par le creusement abyssal du déficit commercial. Certes, l'augmentation brutale du nombre de demandeurs d'emplois trouve ses racines dans la crise de 2008-2009 mais cette explosion du chômage n'aurait-elle pas été plus limitée si le modèle de croissance français avait été profondément modifié ?

Des alternatives existent

S'agit-il de dupliquer à toutes forces le modèle allemand ? Il est vrai que le taux de chômage allemand, actuellement de 4,9% de la population active, et les 200 milliards d'euros d'excédent commercial invitent à l'imitation. La question est en suspens. D'autres modèles de croissance sont-ils envisageables ? Certains pressent la France de se libérer de son complexe vis à vis de l'Allemagne et de s'engager sur une voie différente, qui lui serait propre, en profitant notamment - et enfin - des opportunités que lui offre son domaine maritime, le deuxième plus vaste au monde.

La semaine dernière, les économistes appartenant au projet Independent Annual Growth Survey (IAGS) réalisé par un groupe d'instituts européens qui réunit notamment l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'allemand IMK et le danois ECLM, ont émis l'idée de relancer l'investissement public, seul capable de relancer l'emploi et la croissance sur le Vieux continent. De quelle manière ? La solution choisie est radicale et a le mérite de l'originalité. Elle consiste à déclencher un choc sur le prix du carbone.

Plusieurs scénarios sont proposés, le plus offensif étant de fixer une taxe de 100 euros sur la tonne de CO2. Le coût des énergies carbonées explosant sous le coup de cette décision, les États n'auraient pas d'autres choix que d'investir massivement dans les énergies renouvelables, accélérant ainsi une transition énergétique qui peine à se mettre en place. Selon Xavier Timbeau, le directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, Bruxelles a jeté un oeil attentif à ces propositions. En revanche, on ne sait toujours pas publiquement ce que Bercy en pense.