Après la motion de censure, un remaniement de printemps ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1271  mots
François Hollande va devoir sans doute remanier le gouvernement pour protéger Manuel Valls de sa "majorité"
Manuel Valls a échappé à la motion de censure. Mais il va devoir encore affronter les "frondeurs" de sa majorité avant le congrès du PS en juin. Pour sauver son Premier ministre, François Hollande pourrait être tenter de remanier après les départementales pour calmer les esprits. La motion de censure a recueilli 234 voix, largement en dessous des 289 voix - la majorité absolue des députés - qui auraient été nécessaires pour renverser le gouvernement, a annoncé à la tribune le président de l'Assemblée, Claude Bartolone (PS).

Il n'y avait aucun suspens... Ce jeudi 19 février au soir, la motion de censure déposée par l'UMP et l'UDI n'a pas été votée par une majorité de députés... Même avec le renfort, inouï, des députés du Front de gauche qui ont voté avec la droite. La fameuse loi Macron sera alors considérée comme adoptée par l'Assemblée nationale et le psychodrame aura fait long feu. Sauf que...

La crise au sein du PS risque de s'aggraver

Cet épisode constitue un terrible aveu de faiblesse de la part de Manuel Valls. Il pensait avoir fait rentrer dans le rang une majorité de la quarantaine de députés « frondeurs » du PS. C'est raté et c'est même sans doute l'inverse... La fracture au sein du PS semble s'élargir. Mais comment pourrait-il en être autrement alors que le calendrier électoral s'accélère avec des élections départementales en mars, puis régionales en décembre. Sans parler de l'élection présidentielle, puis les législatives, en 2017, qui se profilent. Plus ces scrutins vont approcher, plus la majorité socialiste va se tendre. Quand les députés rentrent de leurs circonscriptions le lundi, après avoir « fait » les marchés, ils sont atterrés par les propos tenus par les Français : « où sont les résultats sur le chômage ? Pourquoi toutes les factures augmentent ; pourquoi les impôts ont-ils tant progressé ? ».... De nombreux députés commencent à songer que la seule façon, peut-être, de sauver les meubles pour eux et de se désolidariser de la politique menée par le gouvernement... Mais sans aller trop loin quand même pour ne pas provoquer une vraie crise qui pourrait conduire à une dissolution.... Mortelle pour eux dans le climat actuel.

Il y a une forme de hiatus. François Hollande, en 2012, n'avait pas mentionné durant sa campagne sa volonté de suivre une politique de l'offre. Jamais il n'avait dit qu'il accorderait plus de 40 milliards d'allègements de cotisations aux entreprises, via le pacte de responsabilité... Sans parler de l'instauration du Crédit compétitivité emploi (CICE). Certes, François Hollande n'a jamais promis la lune. Il n'avait dans sa besace que très peu de « cadeaux » sociaux. Et, sur ce point, il a tenu parole : revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire, départ anticipé à la retraite pour les « carrières longues », etc.

La crise de la parole politique

Le problème n'est pas là. Il est plutôt d'avoir cru et d'avoir fait croire que le retour de la croissance était au coin de la rue. Or, en 2015, le PIB ne devrait croître que d'un petit 1%... Il est également d'avoir imprudemment affirmé l'objectif que l'inversion de la courbe du chômage pourrait intervenir en 2013. Or, depuis l'arrivée de François Hollande à l'Elysée, il y a environ 500.000 demandeurs d'emploi de plus.

Fait aggravant, François Hollande avait annoncé en 2012 que son quinquennat serait divisé en deux parties : une première, consacrée à la reconstruction et au désendettement et une seconde, davantage portée vers la « distribution ».... Le moins que l'on puisse dire, alors que l'on a dépassé le mi-mandat, est que cette feuille de route n'est absolument pas respectée. Dans ces conditions, la parole politique n'est plus audible ni crédible. Pour le plus grand bonheur du Front National qui fait fructifier son capital sur cette cassure entre les politiques et l'homme de la rue.

Et il n'est pas certain que le spectacle que donne l'Assemblée nationale depuis 48 heures aide à la réconciliation entre les Français et leurs représentants. L'exécutif aurait tort de croire que « l'esprit du 11 janvier » a changé les choses. C'est la plus grande faute de Manuel Valls : avoir imaginé que les frondeurs rentreraient dans le rang au nom de l'unité nationale retrouvée. Et pourquoi aussi avoir présenté un projet de loi « facilitant la croissance et la reprise » aussi large - pas moins de 109 articles ? Plus un texte est copieux, plus le risque est grand d'augmenter le nombre des mécontents. C'est exactement ce qui s'est passé : des notaires aux syndicats en passant par les entreprises d'auto-école.... Chacun avait un motif d'insatisfaction avec cette loi Macron.

D'autres projets de loi à risque se profilent

L'épisode va laisser des traces. D'autant plus que le gouvernement va se heurter dans les mois à venir à d'autres sujets très sensibles. Que va-t-il se passer quand il présentera à l'Assemblée nationale son futur projet loi réformant les institutions représentatives du personnel dans les entreprises ? Avec une volonté de simplifier et de « gommer » les seuils sociaux. C'est peu de dire que ça ne passera pas chez une bonne partie des députés socialistes. Idem avec la volonté du gouvernement de revoir la loi sur l'emploi de juin 2013 afin de faciliter la conclusion d'accords sur « le maintien de l'emploi " qui permettent de diminuer les rémunérations et/ou d'augmenter le temps travail ». Là aussi, ça risque d'être très chaud...

Un remaniement pour éviter un congrès du PS sous pression ?

Et, cerise sur le gâteau, le PS tient en juin son congrès à Poitiers. Et malgré tous les efforts du Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis pour éviter les règlements de comptes à l'encontre du gouvernement, il n'est pas du tout certain qu 'il y parvienne. Surtout que la très probable « claque » que va se prendre la majorité lors des élections départementales sera présente dans tous les esprits.

La pression sera forte pour que le président décide une inflexion de sa politique pour tenter de sauver les meubles en 2017. Pour contrer cette révolte, François Hollande n'aura alors pas d'autre choix - la dissolution étant exclue - que de remanier une fois encore son gouvernement pour faire entrer quelques « frondeurs ». Du moins les plus « présentables » d'entre eux, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas issus de l'aile gauche du PS. En d'autres termes, les amis de Martine Aubry pourraient rejoindre l'équipe gouvernementale. Et ce, soit juste après les élections départementales, soit juste avant le congrès.

François Hollande table sur un autre atout : la division de l'UMP. Certes, le parti de Nicolas Sarkozy surfe actuellement sur les difficultés gouvernementales à faire voter « la petite loi Macron - comme la nomment tous les ténors de l'UMP - et joue l'unité retrouvée face à Manuel Valls. Mais cela ne va sans doute pas durer à l'approche des primaires UMP de 2016... Les couteaux s'aiguisent en coulisses. Nicolas Sarkozy n'aura pas une autoroute dégagée devant lui.

Reste que sans une baisse drastique du chômage, la première préoccupation des Français, la réélection de François Hollande est très loin d'être assurée. Pis pour le président en place, sans résultat sur ce front, il n'est même pas sûr qu'il se représente... C'est lui-même qui l'a dit.

Manuel Valls, lui, attendra patiemment 2022, cultivant son image de « moderniste » face aux « archéos » socialistes. L'épisode de la loi Macron lui donne l'occasion de prendre date et de préparer les esprits à la nécessité d'envisager une recomposition du paysage politique englobant, notamment, l'aile droite du PS et les centristes. Il se voit déjà en leader de cette nouvelle formation à venir... Le Parti socialiste né à Epinay en 1971 est déjà très mal en point. Le psychodrame de la loi Macron pourrait bien annoncer son avis de décès prochain.